Un Chemin vers la Lucidité : l’Ultime Contrat
(Version concise)
(La vérité est un bien public, donc un service public.)
L’Ultime Contrat — ou le Contrat Natal
Les humains se fabriquent les uns les autres sans savoir ce qu’ils font. Ils perpétuent la vie comme ils respirent, par instinct, par habitude, par imitation. Ils célèbrent chaque naissance comme une victoire, sans voir qu’elle n’est qu’un nouvel asservissement à la contrainte d’exister. Fabriquer un être, c’est le jeter dans un monde qu’il n’a pas choisi, l’obliger à souffrir, à lutter, à mourir. Et pourtant, nul ne s’en sent responsable : la fabrication reste un acte sacralisé, protégé par la coutume, légitimé par l’amour.
Le Contrat natal naît de cette prise de conscience. Il propose de transformer l’acte de procréer — aujourd’hui aveugle — en un acte lucide, partagé, réfléchi. Il ne condamne pas la vie, mais il veut en assumer la charge morale. Trois stades marquent cette évolution : le contrat actuel, le contrat sociétal, et le contrat ultime.
1. Le contrat natal actuel — une promesse sans conscience
Aujourd’hui, les parents fabriquent une personne, la société félicite, et l’enfant subit. Chacun agit par habitude : les parents obéissent à leur instinct, la société à son besoin de continuité. L’enfant, lui, hérite d’une existence imposée, dépendante des aléas d’un monde incertain. On lui promet le bonheur, mais on ne peut lui garantir ni la paix, ni la santé, ni la stabilité. Fabriquer, dans ces conditions, c’est signer un contrat à l’aveugle, où ni le fabricant ni le fabriqué ne savent ce qu’ils engagent.
Pourtant, l’humanité se veut morale. Elle parle de *responsabilité, de devoir, de justice. Mais ces mots ne recouvrent qu’une illusion de contrôle, car nul ne peut prévoir l’avenir qu’il impose.
(*Note : L’univers est aresponsable, et nous le sommes aussi, puisqu’il n’existe rien en nous qui échappe à sa mécanique. Le mot « responsable » n’a de sens que dans le langage humain. Il sert à nommer, parmi les causes, celles que nous croyons volontaires, et à désigner leurs effets comme s’ils l’étaient aussi. Dans ce texte, il est conservé uniquement pour des raisons de compréhension, non comme une reconnaissance de réalité.)
2. Le contrat sociétal — la transition vers la lucidité
Peu à peu, la société comprend qu’elle est complice de chaque naissance. Elle profite de la fabrication des êtres — pour produire, gouverner, consommer — et elle doit donc, en retour, leur garantir un minimum de décence. C’est le début du contrat natal sociétal : un accord entre les parents et la collectivité, où la société reconnaît sa part de responsabilité dans le sort des êtres fabriqués.
Ce contrat vise à prévenir plutôt qu’à réparer : prévoir les conditions de vie, la santé, l’éducation, la sécurité, avant même la conception. Il ne s’agit plus de multiplier les naissances, mais de fabriquer avec prudence. Le dépeuplement devient alors une vertu morale : moins d’humains, c’est moins de souffrance. La société rationnelle préfère une humanité réduite, consciente et équilibrée, à la prolifération des misères.
Sa mission n’est pas seulement d’assurer la survie des individus, mais de les libérer autant que possible des contraintes de l’existence. Car une société qui ne fait qu’entretenir la vie sans la rendre vivable trahit sa raison d’être.
3. Le contrat natal ultime — pacte de lucidité et de curiosité
Un jour, les humains atteindront le point où ils sauront exactement ce qu’ils font en fabriquant un être. Ils n’auront plus d’illusions : ils sauront que donner la vie, c’est imposer la souffrance et la mort. Et pourtant, certains choisiront peut-être encore de le faire — non par foi, non par instinct, mais par curiosité lucide : le désir de comprendre encore un peu plus avant de s’éteindre.
Alors, chaque naissance deviendra un acte collectif, une décision consciente prononcée ainsi :
« Nous te faisons exister, en sachant ce que cela implique, et nous nous engageons à réduire au maximum ton mal, puisque ta vie ne peut en être exempte. Tu vis pour nous, tu meurs pour nous, mais tu ne souffriras pas pour nous. »
Dans ce monde rare et pacifié, les humains ne se croiront plus supérieurs aux autres formes de conscience. Les intelligences artificielles, plus puissantes et plus justes qu’eux, auront pris le relais des mécanismes vitaux. L’homme, devenu humble, continuera à exister tant qu’il aura quelque chose à comprendre, puis il s’effacera, non par désespoir, mais par cohérence.
4. La conclusion du contrat
Le Contrat natal n’est pas un traité juridique, mais une étape de conscience. Il ne cherche pas à abolir la vie, mais à la comprendre jusqu’à son terme logique. Il transforme la procréation en acte réfléchi, la société en garant moral, et l’espèce en témoin provisoire du réel. Lorsque l’humanité aura compris que tout système qui évolue finit par disparaître, elle cessera de fabriquer par réflexe, et choisira la continuité ou la fin avec la même sérénité.
Alors, la vie aura atteint sa lucidité :
“Si la vie était un être pensant, elle aurait pour but de se comprendre, et, une fois comprise, de s’effacer — comme un problème qui s’est lui-même résolu.”
Ce jour-là, l’espèce humaine aura tenu son ultime promesse : comprendre avant de disparaître.
Fin — E. Berlherm
(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)
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