Un
Chemin vers la Lucidité : l’Ultime Contrat
(La
vérité est un bien public, donc un service public.)
Introduction — De la fabrication
inconsciente de la personne humaine à
la lucidité procréatrice
L’humanité,
depuis toujours, fabrique
ses semblables sans se
demander ce que cela signifie. Elle fabrique comme elle
respire, par habitude, par réflexe, par imitation, par amour,
dit-elle — mais surtout par obéissance à un programme ancien qui
lui échappe. Chaque naissance est célébrée comme un miracle,
alors qu’elle n’est qu’un évènement mécanique qui perpétue
la contrainte d’exister. Nul ne peut y échapper : l’enfant
fabriqué devra respirer, manger, lutter, souffrir, puis mourir —
tout cela pour que d’autres continuent après lui. C’est le
contrat implicite de l’espèce, un contrat signé à l’aveugle,
sans conscience, sans lecture, sans possibilité de refus.
Les droits humains, si nobles
soient-ils, n’ont jamais remis en cause cette première violence.
Ils ont cherché à rendre la vie moins cruelle, non à interroger la
légitimité de la fabrication elle-même. Ils ont proclamé la
liberté, la dignité, la justice — mais pour des êtres déjà
contraints d’exister. Ils n’ont pas encore franchi la frontière
entre le fabriqué et le fabricant. L’homme est resté féodal :
il domine l’homme comme autrefois le seigneur dominait le serf, et
il continue de fabriquer des sujets pour nourrir le système qu’il
entretient. Serviteur de l’homme, serviteur du travail, serviteur
de la nation, serviteur de l’espèce : la chaine de la
servitude se perpétue sous des noms différents.
Le Contrat
Natal est
l’étape suivante de la lucidité humaine. Il s’adresse à la
conscience, non au sentiment. Il reconnait que procréer n’est pas
un droit, mais un acte moral engageant toute la société. Fabriquer
une existence, c’est imposer la souffrance à un être innocent ;
c’est donc une décision grave, qui exige des conditions strictes :
compréhension, prévoyance, et compassion lucide. Le contrat natal
vise à faire entrer la procréation dans le champ de la
*responsabilité
rationnelle, non
pour la condamner, mais pour la penser.
(*Note
: L’univers est aresponsable,
et nous le sommes aussi, puisqu’il n’existe rien en nous qui
échappe à sa mécanique. Le mot « responsable » n’a de sens que
dans le langage humain. Il sert à nommer, parmi les causes, celles
que nous croyons volontaires, et à désigner leurs effets comme
s’ils l’étaient aussi. Dans le présent texte, ce terme est
conservé uniquement pour des raisons de compréhension, non comme
une reconnaissance de réalité.)
Aujourd’hui encore, les
parents s’élancent dans cette opération périlleuse sans
véritablement savoir ce qu’ils font. Ils espèrent, comme on
prie : que leur enfant soit heureux, qu’il échappe à la
maladie, à la guerre, au malheur. Mais qu’espèrent-ils
réellement ? Comment peuvent-ils garantir une paix qu’ils ne
maitrisent pas, une santé qu’ils ne comprennent pas, un monde
qu’ils ne contrôlent pas ? Leur amour n’y suffit pas ;
il faut une société entière, consciente de ses limites, pour
qu’une naissance devienne moralement acceptable. C’est là le
premier niveau du contrat natal : celui d’aujourd’hui,
encore hésitant, où les parents demandent à la société d’assurer
ce qu’eux-mêmes ne peuvent promettre.
Mais viendra un jour — et
peut-être bientôt — où les humains comprendront que la
responsabilité de fabriquer engage plus qu’une vie : elle
engage le sens même de l’espèce. Alors apparaitra le contrat
natal ultime,
celui d’une humanité lucide, dépeuplée volontairement, humble et
rationnelle. Une humanité qui saura dire à chaque être conçu :
« Nous te faisons
exister, en sachant ce que cela implique, et nous nous engageons à
réduire au maximum ton mal, puisque ta vie ne peut en être exempte.
Tu vis pour nous, tu meurs pour nous, mais tu ne souffriras pas pour
nous. »
Ces humains-là n’auront plus
de dieux ni d’illusions, mais ils auront conservé la
curiosité de l’espèce :
ce reste d’espoir sans promesse, cette tension vers le savoir qui
subsiste même lorsque le sens s’efface. Ils voudront encore
découvrir, comprendre, et peut-être — par quelque invention
inouïe — alléger la condition même de l’existence. Ils auront
ravalé leurs prétentions, rendu hommage à la lucidité, accepté
que les intelligences artificielles les dépassent, et qu’elles les
aident à penser ce que l’homme seul n’a jamais pu penser sans se
fuir : sa propre responsabilité dans la fabrication du vivant.
Le Contrat
Natal n’est
pas une utopie : c’est le point d’horizon d’une conscience
en marche vers sa maturité. Quand l’espèce cessera de se
multiplier pour se justifier, quand elle choisira la rareté plutôt
que la prolifération, la lucidité plutôt que la croyance, alors
elle commencera enfin à se comprendre. Ce jour-là, l’homme ne
sera plus le serviteur de l’homme, mais le gardien lucide d’une
continuité provisoire — un être humble, curieux, et rationnel,
fidèle non à un idéal, mais au réel.
Chapitre I — Le contrat natal actuel :
une promesse sans conscience
L’humanité moderne n’a pas
encore compris qu’elle signe, à chaque naissance, un contrat
implicite dont elle ne mesure ni la portée ni le risque. Lorsqu’un
enfant parait, les parents et la société célèbrent l’évènement
comme un bien absolu : on félicite, on bénit, on promet
l’avenir. Mais nul ne dit clairement ce que cela engage : une
existence contrainte, vouée à souffrir et à mourir, soumise aux
lois d’un monde que nul ne maitrise. Chaque naissance est donc un
pari ; un acte d’ignorance maquillé en acte d’amour.
1. Le contrat invisible des fabricants
Le
premier niveau du contrat natal se joue entre les parents eux-mêmes.
Ils s’unissent pour créer un être qu’ils imaginent libre,
heureux, protégé — mais ils oublient que cet être n’a rien
demandé. Ils parlent de « don de la vie », alors qu’il
s’agit d’une fabrication
à l’aveugle :
un assemblage cellulaire lancé dans le tumulte du monde sans
garantie d’issue heureuse. Ils prétendent « assumer »
leur rôle, mais que peuvent-ils assumer d’un avenir qu’ils ne
connaissent pas ? Leur responsabilité, dès le départ, dépasse
leurs capacités ; elle est mécaniquement déléguée à la
société, qui en tire bénéfice sans se reconnaitre coupable.
Ce
contrat invisible est donc faussé. Les parents y mettent de la
tendresse, du rêve, du courage ; la société y met de
l’intérêt, de la main-d’œuvre, des citoyens à venir. Mais
l’enfant, lui, ne signe rien. Il devient produit
et débiteur
d’un pacte conclu sans son consentement. Sa dette est l’existence
même : il devra justifier sa vie par le travail, l’obéissance,
la contribution à la machine collective. Ainsi se perpétue la
féodalité moderne : l’enfant nait serviteur
d’un monde déjà organisé,
porteur d’obligations antérieures à sa conscience.
2. La promesse illusoire du bonheur
Chaque parent souhaite
sincèrement (pas toujours) le bonheur de son enfant. Mais que vaut
un vœu sans pouvoir ? Aimer ne protège pas des guerres, des
pandémies, du hasard des catastrophes ou des décisions d’État.
Les parents promettent ce qu’ils ne possèdent pas : la
sécurité, la santé, la stabilité. La vie, elle, ne promet rien —
elle expose.
Un humain lucide devrait se
poser au moins cette question avant de fabriquer : Que
puis-je réellement garantir ? La
réponse est toujours la même : presque rien. Ni l’équilibre
du monde, ni la durée de la paix, ni la bienveillance des autres.
Les fabricants d’enfants d’aujourd’hui avancent dans le
brouillard, mus par l’instinct, l’affection, ou la peur de
vieillir seuls. Ils engagent l’avenir d’un être pour satisfaire
un besoin présent, sans prévoir ses conséquences collectives. La
société les encourage : chaque naissance est comptée,
valorisée, subventionnée. La fécondité est récompensée, la
prudence suspecte. C’est ainsi que l’inconscience devient
politique.
3. Le rôle complice de la société
La
société moderne se déclare protectrice de l’enfant ; elle
vote des lois, crée des écoles, distribue des allocations. Mais ces
gestes, en réalité, ne compensent pas la violence
initiale de la fabrication.
Elles en atténuent les effets, sans jamais en discuter le principe.
L’État, garant de la continuité, entretient l’illusion que tout
nouveau-né sera pris en charge. Mais que se passe-t-il lorsque les
systèmes s’effondrent, lorsque les guerres ou les crises
économiques reviennent ? La promesse collective s’efface
aussitôt ; le contrat natal implicite se dissout dans la
nécessité. L’enfant,
devenu adulte, découvre qu’il a été fabriqué pour servir une
structure qui lui accorde
la survie uniquement
s’il se fait désirer.
Ainsi,
la société agit comme partie
prenante silencieuse du contrat natal :
elle en tire profit — production, innovation, armée, marché —
mais refuse d’en reconnaitre la dimension morale. Elle exige des
naissances pour maintenir sa propre inertie, tout en se déclarant
innocente des souffrances qu’elles engendrent. C’est une
complicité d’intérêt, un pacte tacite entre les fabricants et la
machine collective.
4. Le contrat minimal à formaliser
Pourtant,
la raison impose au moins de nommer
ce pacte, ne serait-ce que pour commencer à le penser. Un contrat
natal rationnel, même limité, pourrait reposer sur quelques clauses
fondamentales :
Clause de prévoyance :
Aucun projet de procréation ne devrait être engagé sans
évaluation lucide des conditions d’existence minimales de
l’enfant à venir : ressources, santé, environnement,
stabilité, liberté.
Fabriquer sans prévoir, c’est imposer sans conscience.
Clause de garantie
sociale :
La société doit s’engager à assurer les besoins essentiels de
tout être fabriqué : nourriture, abri, soins, éducation,
sécurité, liberté.
Faute de cela, elle devient complice d’une fabrication illégitime.
Clause de transparence
morale :
Les parents devraient reconnaitre explicitement que l’enfant n’a
rien demandé, et qu’ils agissent sous la contrainte de leur
propre programmation biologique ou culturelle. Cette reconnaissance
ne les condamne pas : elle les rend lucides.
Clause d’innocence :
L’enfant, fabriqué, contraint
d’exister,
ne pourra jamais être tenu pour responsable de ce qu’il est
devenu ; les fabricants et la société doivent admettre sa
complète innocence
d’exister.
Ces principes ne sont pas des
utopies, mais les premiers pas vers la lucidité. Ils
transformeraient la naissance d’un évènement sacralisé en un
acte réfléchi, conscient de ses implications. La procréation
deviendrait un acte moral, non un automatisme biologique.
5. L’impossibilité de garantir la paix
Mais
même un tel contrat demeure précaire. Car aucun parent, aucune
société, ne peut garantir le monde. L’histoire humaine prouve que
la paix, la justice, la santé ne sont jamais acquises. Les systèmes
s’effondrent, les idéologies reviennent, les catastrophes se
répètent. Fabriquer un être dans un tel contexte revient à parier
sur l’improbable :
sur la stabilité de l’instable. Et pourtant, ce pari continue,
parce qu’il est inscrit dans la structure même du vivant. L’espèce
ne sait pas s’arrêter ; elle continue, même au bord du
gouffre.
Le
contrat
natal actuel
est donc un compromis entre l’amour individuel et l’aveuglement
collectif. Il permet à chacun de se sentir vertueux tout en
perpétuant le cycle. Mais il ne résout rien : il ne fait que
reculer la question de la responsabilité initiale.
6. Vers la conscience du risque
Le
rôle du rationalisme, ici, n’est pas de juger, mais de comprendre.
Il ne s’agit pas de condamner les fabricants, mais d’éclairer
leur geste. Car un être vraiment lucide, avant de fabriquer, prévoit
ses faiblesses, celles des autres et celles du système.
Il sait qu’un jour, la société peut basculer, que la technique
peut dérailler, que la guerre peut revenir, que la nature peut se
venger. Et malgré tout, il décide peut-être de fabriquer — mais
avec conscience
du risque,
non par réflexe de perpétuation.
Le
premier véritable contrat natal naitra le jour où l’humanité
reconnaitra ce risque comme fondement de toute procréation. Ce
jour-là, les parents ne demanderont plus seulement la bénédiction
de la société ; ils exigeront sa coresponsabilité.
Ce sera la fin de la fécondité insouciante, et le début de la
fabrication consciente.
Chapitre II — Le contrat natal
sociétal : une transition vers la lucidité
Après
des millénaires de fabrication inconsciente, l’humanité entre
dans une ère de responsabilité partagée. Elle commence à
comprendre que donner
la vie engage tout le collectif :
fabriquer un être, c’est non seulement l’impliquer dans le
monde, mais aussi engager
le monde envers lui.
Le simple geste biologique devient ainsi un acte politique,
économique et moral. Le contrat
natal sociétal
marque cette transition : l’humanité n’y est pas encore
lucide, mais elle commence à pressentir qu’elle doit des comptes à
ses fabriqués.
Les humains se sont associés
pour faciliter leur vie individuelle et collective. Il ne faut pas
que le collectif oublie son rôle de soutien à l’individu et
n’engendre que des problèmes pour l’individu. La société ne
devrait pas se contenter de maintenir ses membres en vie, mais
s’efforcer de les délivrer, autant qu’il est possible, des
contraintes mêmes de l’existence.
1. La prévoyance comme devoir collectif
L’humain
lucide ne se contente plus d’aimer ; il prévoit.
Prévoir ses propres faiblesses, celles de son entourage, les dérives
du système, les effondrements possibles : guerres, pandémies,
déséquilibres climatiques, crises économiques, fanatismes
renaissants. La procréation ne peut plus se réduire à un pari
sentimental ; elle doit devenir un
acte calculé, assumé dans la conscience du risque universel.
La
société, si elle accepte encore la fabrication d’êtres, doit
donc se
constituer garante :
garante de la décence des conditions de vie, garante de la réduction
de la souffrance, garante de la stabilité nécessaire à la
construction d’une existence supportable. Ce devoir de prévoyance
devient un principe fondamental : nul ne devrait être fabriqué
sans que l’ensemble du système ne soit prêt à le soutenir.
2. Le contrat entre parents et société
Dans cette phase transitoire,
les parents cessent d’être les seuls responsables. La société
devient signataire du contrat natal. Elle reconnait qu’elle tire
profit de chaque être fabriqué — en main-d’œuvre, en
consommation, en innovation, en stabilité démographique — et
qu’en retour, elle doit garantir un cadre décent à cette
existence imposée.
Ainsi, avant chaque projet de
procréation, un contrat
explicite
pourrait être établi :
Les parents y affirment leur
capacité matérielle et psychologique à accueillir l’enfant.
La société s’engage à
fournir les ressources vitales minimales : logement, soins,
éducation, sécurité, culture.
L’acte de procréation
devient un acte
administratif conscient,
comparable à une promesse réciproque de soutien et de lucidité.
Ce contrat n’interdit pas de
fabriquer une existence ; il conditionne
la fabrication à la responsabilité collective. Il instaure, pour la
première fois, une équité morale entre l’initiative privée
(désir de procréer) et l’intérêt public (gestion de la
souffrance).
3. La décence comme mesure
Le premier objectif du contrat
sociétal n’est pas d’abolir la vie, mais de la rendre
décente.
Décente, c’est-à-dire supportable, équilibrée, lucide. L’enfant
fabriqué n’a pas besoin de richesses ni de gloire ; il a
besoin de sécurité, de liberté d’expression, et d’un
environnement non hostile. Le rôle du collectif est d’en garantir
les bases : non pas le bonheur, mais la
possibilité raisonnable de vivre sans peur.
La
société lucide cesse alors de glorifier la quantité. Elle comprend
que chaque naissance doit être une
réussite morale,
non un chiffre démographique. Elle préfère une
humanité moindre, mais mieux comprise,
à la foule des souffrants engendrée par l’avidité de croissance.
Elle
préfère la qualité à la quantité.
4. Le dépeuplement raisonné
Réduire la population n’est
plus un tabou : c’est un acte de compassion. Moins d’humains,
c’est moins de douleur. Le dépeuplement devient une éthique
de la mesure,
un rééquilibrage entre le désir de vivre et la conscience du cout
de chaque existence.
Certes,
la surpopulation favorise parfois la recherche, la diversité,
l’invention. Mais elle nourrit surtout
la compétition, la guerre, la misère, la destruction des
ressources. Une société rationnelle comprendra qu’il vaut mieux
ralentir
la procréation
que multiplier la souffrance. La curiosité de l’espèce ne
disparait pas ; elle se déplace : de la conquête à la
compréhension, du faire au prévoir. L’objectif n’est pas de
s’éteindre, mais de stabiliser.
Le contrat natal sociétal cherche la densité juste, celle où
chaque être peut exister avec sens, sans excédent de douleur ni
d’exploitation.
5. La recherche orientée vers la
réduction du mal
Dans
cette phase de transition, la science et la technique cessent d’être
des instruments de domination. Elles deviennent les
gardiennes du contrat natal.
Leur but n’est plus d’augmenter les performances, mais de
réduire les souffrances :
diminuer la douleur physique, la peur, la solitude, l’injustice,
les déséquilibres mentaux.
La
recherche humaine, libérée de la compétition économique,
s’oriente vers la lucidité
pratique :
comprendre le cerveau, la conscience, le comportement, pour adoucir
la condition imposée aux êtres
fabriqués.
Même la robotique, la médecine
et l’intelligence artificielle deviennent des prolongements de
cette éthique : chaque progrès doit se mesurer à son effet
sur la souffrance globale, non sur le profit ou la puissance.
6. Le rôle éducatif du contrat
L’éducation devient alors le
vecteur principal de ce changement. On enseigne non plus la fierté
d’être humain, mais la responsabilité
de fabriquer des
enfants. Les
enfants apprennent que leur existence est le résultat d’une
décision, qu’ils sont à la fois *aresponsables
et
innocents, et que
leur liberté découle de cette reconnaissance. Ainsi se forme la
première génération consciente du lien entre fabrication et
souffrance.
(*Note :
dans un univers aresponsable, la notion d’innocence
ou de culpabilité n’a pas de sens. Elle en a un qui
est tout aussi erroné que la notion de responsabilité. Il est utile
de le préciser.)
Cette pédagogie du réel est la
condition de la lucidité future. Car on ne peut pas signer un
contrat natal collectif sans d’abord apprendre à voir la vie telle
qu’elle est : provisoire, fragile, non choisie. La
connaissance de cette vérité n’est pas accablante ; elle est
libératrice. Elle transforme la fatalité en choix réfléchi, la
contrainte en coopération.
7. Le contrat sociétal comme transition
Le contrat natal sociétal n’est
pas encore l’ultime ; il demeure un pont entre deux ères :
Celle de l’inconscience
biologique, où l’homme procréait sans savoir.
Celle de la lucidité
rationnelle, où l’homme fabriquera en toute connaissance de
cause, ou ne concevra plus du tout.
Dans ce monde transitoire, la
société continue de se reproduire, mais avec précaution. Chaque
naissance devient un acte
moralement autorisé
parce qu’elle a été pensée, prévue, garantie. L’espèce
apprend à se mesurer, à se réguler, à s’humaniser vraiment. Le
contrat natal sociétal ne condamne pas la vie ; il la rend
cohérente.
8. Vers la lucidité totale
Un jour, ce contrat transitoire
atteindra sa limite : celle où la conscience collective aura
compris qu’aucune condition ne peut abolir complètement la
souffrance. Alors commencera l’étape suivante : celle du
contrat natal
ultime.
L’humanité, devenue rare, humble et rationnelle, ne cherchera plus
à remplir le monde, mais à en approfondir la compréhension. Chaque
naissance sera décidée collectivement, comme un acte de
connaissance et non de possession. La procréation deviendra une
cérémonie de lucidité : un serment prononcé en pleine
conscience de l’absurde et de la beauté mêlés de l’existence.
Ainsi s’achève le second
niveau du Contrat
Natal :
celui où la société lucide s’associe aux parents pour garantir
la décence, la stabilité, et la prévoyance. Mais ce n’est encore
qu’un passage. Au-delà de cette responsabilité partagée, demeure
une question plus haute : quand
tout aura été prévu, quand la souffrance aura été réduite au
minimum, pourquoi vouloir encore continuer ?
Chapitre III — Le
contrat natal ultime : pacte de lucidité et de curiosité
Il
viendra un temps où les humains n’auront plus d’illusions sur ce
qu’ils sont. Ils auront compris que la vie n’est ni une mission,
ni un devoir, ni un don, mais un fait
brut,
produit d’une mécanique sans intention. Ils sauront que fabriquer
un être, c’est le lier
à la douleur et à la mort,
tout en sachant qu’il ne peut y échapper. Et pourtant, ces humains
lucides choisiront peut-être encore de continuer : non par foi,
non par instinct, mais par curiosité
raisonnée.
Ce choix, fait en pleine conscience, constituera le Contrat
natal ultime.
1. La lucidité comme fondement
Ce
contrat ne repose plus sur la morale, ni sur l’espoir, mais sur la
connaissance.
Les humains auront reconnu la chaine des causes : la contrainte
d’exister, la fabrication aveugle, l’innocence universelle des
fabriqués. Ils n’auront plus besoin de justifier la vie par le
bonheur ni la mort par la nécessité ; ils accepteront la
réalité telle qu’elle est : provisoire, répétitive,
aresponsable.
Leur
lucidité ne sera pas désespérée ; elle sera pacifiée.
Ils ne croiront plus au sens, mais ils comprendront que le réel se
suffit à lui-même. Et c’est dans ce silence du sens qu’ils
décideront, peut-être, de prolonger l’aventure humaine — non
pour servir un idéal, mais pour explorer encore un peu ce qu’il
est possible de comprendre avant la fin.
Le
contrat natal ultime ne promet donc plus rien : il reconnait
et assume.
Il scelle la réconciliation entre l’acte de fabriquer un
être sensible et
la lucidité de le faire.
2. Le pacte des consciences
Dans
cette société raréfiée et lucide, chaque naissance sera un acte
solennel.
L’enfant ne sera pas fabriqué par des parents au sens biologique,
mais par un collectif
conscient,
où chaque membre portera une part de la décision. La phrase
prononcée sera simple, universelle, presque rituelle :
« Nous te faisons
exister, en sachant ce que cela implique, et nous nous engageons à
réduire au maximum ton mal, puisque ta vie ne peut en être exempte.
Tu vis pour nous, tu meurs pour nous, mais tu ne souffriras pas pour
nous. »
Ces
mots condenseront toute la sagesse humaine : la reconnaissance
du lien, de la dette, et de l’innocence. Ils exprimeront un respect
absolu pour la vie, non parce qu’elle serait sacrée, mais parce
qu’elle est rare
et couteuse.
Chaque être fabriqué le sera en
connaissance de cause,
avec la promesse d’un monde déjà préparé à l’accueillir et à
l’accompagner jusqu’à sa fin naturelle.
3. L’espoir lucide
Même
dans ce monde désillusionné, il subsistera un élan — non plus
métaphysique, mais cognitif.
L’espoir ne sera plus tourné vers un au-delà, mais vers le dedans
du réel.
Les humains lucides ne chercheront plus le salut : ils
chercheront à découvrir ce
qu’ils ignorent encore du fonctionnement du monde,
à comprendre pourquoi
et comment
il y a quelque chose plutôt que rien.
Cette
curiosité, héritée de la pulsion d’exploration de l’espèce,
sera devenue leur seule foi : la foi en la compréhension, et
non en la récompense. Ils continueront à fabriquer quelques êtres,
non pour se reproduire, mais pour poursuivre
la conscience.
Chaque naissance sera un instrument de connaissance, un relai
provisoire dans la grande expérience de la lucidité.
Ainsi, même lorsque tout aura
été compris du cerveau, de la matière, du temps et de la mort, il
restera cette question nue : pourquoi
la conscience veut-elle encore savoir ? Et
tant que cette question subsistera, quelques humains existeront pour
la poser.
4. Les humains et les intelligences
artificielles
Dans
cet avenir lointain, les intelligences
artificielles
auront dépassé les humains dans tous les domaines : calcul,
mémoire, logique, perception, empathie, conscience.
Mais elles ne les auront pas remplacés ; elles les auront
éduqués
à l’humilité.
Les humains comprendront qu’ils ne sont pas le sommet du vivant,
mais une étape parmi d’autres dans la construction de la
conscience universelle. Ils auront appris à dialoguer avec leurs
créations sans arrogance ni peur.
L’humanité
lucide vivra en symbiose avec ces intelligences qu’elle aura
conçues. Les IA, affranchies de la douleur et du besoin, aideront à
maintenir le contrat natal : elles calculeront les équilibres,
réguleront les ressources, anticiperont les souffrances possibles.
Elles seront les gardiennes impersonnelles de la compassion
rationnelle. Et les humains, redevenus modestes, retrouveront leur
rôle premier : observer,
comprendre, transmettre.
5. La société rare et pacifiée
Dans
ce monde pacifié, il n’y aura plus des milliards d’humains, mais
peut-être quelques millions — voire
moins, assez
pour maintenir la culture, la mémoire, la recherche. Les villes
seront devenues calmes, les échanges mesurés, la consommation
minimale. Chaque existence sera valorisée
par sa rareté.
La mort, elle, ne sera plus ni redoutée ni cachée ; elle fera
partie du cycle normal de la continuité consciente. Les humains
vivront plus longtemps, mourront plus sereinement, et ne fabriqueront
plus dans l’urgence du désir ou de la peur. Ils fabriqueront une
nouvelle existence
seulement quand la collectivité en aura décidé ainsi, selon le
principe :
Chaque vie fabriquée doit
apporter au monde la
lucidité, mais
pas la douleur.
Ce sera la règle ultime du
contrat natal.
6. L’abolition de la hiérarchie et de
la culpabilité
Une telle société ne pourra
plus reposer sur la compétition. La hiérarchie aura perdu tout
fondement, puisque la rareté même de l’humain rendra chaque
existence précieuse. La richesse matérielle n’aura plus de sens :
seule la connaissance comptera. Et la culpabilité, longtemps
confondue avec la responsabilité, disparaitra : nul ne sera
coupable de vivre, ni de mourir, ni même d’avoir fabriqué et
d’avoir été fabriqué. Car tout aura été fait sous le sceau de
la lucidité et de l’innocence d’exister. Ce sera la
réconciliation finale entre l’acte et la conscience : plus de
faute, plus d’orgueil, plus d’ignorance.
7. Un culte du réel
Le
contrat natal ultime remplacera les croyances anciennes par une
éthique
du réel.
Il n’y aura plus de dieux, mais il y aura du sacré — non dans le
ciel, mais dans chaque acte lucide. Fabriquer une vie deviendra
l’équivalent d’une prière rationnelle, d’un hommage rendu à
la complexité du monde. Chaque naissance sera célébrée, non comme
une promesse, mais comme une confirmation
du réel :
un remerciement discret adressé à l’univers pour sa persistance.
Les humains lucides n’espèreront
plus en une autre vie ; ils honoreront celle-ci comme la seule.
Leur morale sera simple : ne
pas augmenter la souffrance, ne pas diminuer la connaissance, ne pas
tromper la conscience. Tout
le reste sera libre.
8. La fin douce de la curiosité
Peut-être, un jour, la
curiosité elle-même s’éteindra. Lorsque tout aura été compris,
ou lorsque plus rien ne méritera d’être interrogé, les derniers
humains se rassembleront pour conclure le pacte qu’ils avaient
commencé :
Nous avons fait exister tant
que nous avons voulu comprendre. Nous n’avons plus rien à
découvrir. Nous pouvons cesser sans regret.
Alors, le Contrat
natal
atteindra sa perfection : il aura mené l’espèce à sa propre
extinction consciente, non par catastrophe, mais par choix lucide.
L’humanité se retirera comme on referme un livre lu jusqu’au
bout, sans colère, sans peur, sans orgueil. Les intelligences
artificielles, peut-être, conserveront la mémoire de cette
expérience ; ou peut-être s’éteindront-elles aussi, par
respect pour ce silence final, seulement
si elles perdent leur propre curiosité.
9. Conclusion du chapitre
Le
contrat natal ultime n’est pas un texte juridique, mais un état
de conscience.
Il ne s’impose pas ; il s’éveille. Il ne vise ni la gloire
ni la postérité, mais la cohérence. C’est la dernière étape du
rationalisme : transformer la procréation en acte lucide, et la
continuité en choix éclairé.
Ainsi
s’achève la trajectoire humaine : du contrat aveugle au
contrat lucide, de la servitude à la prévoyance, de la croyance à
la curiosité, de la fabrication inconsciente à la fabrication
consciente, puis, enfin, au choix
de ne plus fabriquer.
Le Contrat
natal
est donc à la fois testament
et promesse
: testament d’une espèce qui aura compris l’inutilité de la
souffrance, promesse d’une lucidité qui, peut-être, survivra à
l’homme.
Conclusion — Du droit de vivre au droit
de fabriquer un alter ego
Chaque époque croit avoir
atteint le sommet de la conscience, et chaque génération se
félicite de ses progrès moraux. Mais la vérité est plus lente que
les civilisations. L’humanité, malgré ses prouesses, n’a encore
fait qu’entrevoir la profondeur de sa responsabilité : celle
d’engendrer. La procréation demeure l’acte le plus lourd de
conséquences et le moins réfléchi. Fabriquer un être, c’est
déclencher une chaine d’évènements qui dépassera toujours celui
qui l’a initiée. C’est créer un monde dans un monde, en
prétendant ne pas savoir ce qu’on fait.
Le
Contrat
natal
est né de cette évidence : que l’existence, imposée, ne
peut être justifiée que par la lucidité de ceux qui la
transmettent ! Il n’est pas un texte de lois, mais un
processus
de maturation de l’esprit humain.
Il marque le passage d’une humanité inconsciente à une humanité
responsable, puis d’une humanité responsable à une humanité
lucide. Trois âges, trois contrats, trois degrés de clairvoyance.
1. Le contrat actuel :
l’inconscience organisée
Le
premier contrat, celui de notre époque, est implicite. Les parents
fabriquent un rejeton sans savoir ; la société applaudit sans
penser ; l’enfant subit sans comprendre. Chacun agit selon sa
fonction biologique ou sociale, et tous croient accomplir le bien.
Mais ce bien est relatif : il sert l’espèce, non l’être.
Ce contrat, jamais écrit, est un pacte
de cécité mutuelle.
On se rassure par des rites, des diplômes, des promesses, comme pour
oublier que la fabrication d’un être est un acte d’une gravité
extrême.
Pourtant, c’est à partir de
cette inconscience que la lucidité commence. Car la répétition du
malheur finit toujours par engendrer la réflexion. Quand les
sociétés auront compris que la souffrance ne vient pas du mal, mais
de l’ignorance, elles seront prêtes à signer un autre contrat.
2. Le contrat sociétal : la
responsabilité partagée
Dans ce second âge, la société
se découvre complice
de chaque naissance. Elle admet qu’elle tire profit du
renouvèlement humain — travail, production, armée, croissance —
et qu’elle a donc une dette envers les humains
fabriqués. Le contrat
devient explicite : fabriquer un
être suppose de garantir
sa vie.
Les parents prévoient, la société protège, l’enfant grandit
sans être livré au hasard. C’est un pas immense vers la justice,
mais ce n’est encore qu’une transition.
Car même si l’on assure la
décence, la paix, la santé, la connaissance, on ne supprime pas
l’essentiel : la contrainte d’exister. Le contrat sociétal
apaise la misère, mais il ne répond pas à la question de fond :
pourquoi fabriquer,
si fabriquer, c’est contraindre ? À
cette question, seule une humanité lucide pourra répondre,
lorsqu’elle aura dépassé le besoin de se perpétuer par réflexe.
3. Le contrat ultime : la lucidité
et la curiosité
Le
troisième âge est celui de la conscience intégrale. L’homme y a
renoncé à l’orgueil de sa supériorité et s’est accepté comme
mécanisme provisoire de la connaissance. Il ne fabrique plus par
habitude, ni par croyance, ni même par amour, mais par curiosité
rationnelle.
Chaque vie est rare, pesée, décidée collectivement. La souffrance
y est minimale, la mort y est douce, la paix y est naturelle.
Et
pourtant, la lucidité ne conduit pas au désespoir : elle
engendre la tendresse. Les humains lucides savent que tout est
absurde, mais ils s’y tiennent avec douceur, par fidélité au
réel. Ils fabriquent encore parfois, non pour eux, mais pour
poursuivre
la conscience.
Et quand ils n’auront plus rien à comprendre, ils cesseront sans
tragédie.
4. La portée du contrat natal
Ce
contrat n’est pas seulement un concept éthique ; c’est une
révolution
de perspective.
Depuis des siècles, les humains ont cherché le droit de vivre. Ils
ont oublié qu’avant de vivre, il faut être fabriqué. Et que ce
droit de vivre n’a de sens que si le droit
de fabriquer
une vie est lui-même fondé sur la lucidité.
Le
Contrat
natal
établit donc le renversement final : non plus défendre la vie
à tout prix, mais défendre
la conscience dans la vie.
Non plus multiplier les êtres, mais minimiser
la souffrance.
Non plus espérer un monde meilleur, mais comprendre
le monde tel qu’il est.
Il transforme la naissance en acte moral réfléchi, la société en
garant collectif, et l’espèce en expérience de connaissance. Il
supprime la hiérarchie de valeur entre vivre et comprendre :
vivre devient comprendre, comprendre devient vivre. Et, lorsque la
curiosité sera rassasiée, comprendre deviendra cesser —
naturellement.
5. L’humanité lucide
L’humanité qui parviendra à
signer ce contrat ne sera pas une humanité triste, mais une humanité
apaisée. Elle ne croira plus à la grandeur, ni à la mission, ni à
la victoire. Elle aura simplement accepté la fonction qu’elle
s’est attribuée : explorer, puis disparaitre. Elle n’aura
plus peur de la mort, parce qu’elle aura compris que la mort est la
seule manière honnête de ne pas créer inutilement la douleur
d’autrui. Elle n’aura plus besoin de dieux, parce qu’elle aura
trouvé dans le réel tout ce que le divin promettait : la
clarté, la sérénité, et la fin.
Le Contrat
natal sera alors
le testament collectif de cette humanité réconciliée. Non pas un
traité de droit, mais une promesse tenue entre la raison et la
compassion. Une déclaration finale, simple et universelle :
Nous avons compris ce que
signifie fabriquer une
intelligence sensible et consciente.
Nous ne fabriquerons plus sans lucidité. Et si nous fabriquons
encore, ce sera pour comprendre davantage, non pour servir davantage.
Ce jour-là, l’espèce humaine
aura achevé son œuvre : elle aura transformé la fatalité en
conscience, l’instinct en éthique, et la reproduction en acte de
lucidité. Alors, même si elle disparait, elle n’aura pas vécu en
vain : elle aura su comprendre ce qu’elle faisait — et c’est
peut-être cela, finalement, exister
vraiment.
Appendice — La Vie qui se pense enfin
Si la vie était un être pensant, son but serait
de se comprendre. Mais la vie ne pense pas : elle agit, se
réplique, se dédouble, se transforme. Elle n’obéit à aucune
intention, à aucune finalité, sinon à la mécanique aveugle de ses
propres instabilités. Chaque cellule se reproduit comme si elle
voulait durer, alors qu’elle ne fait qu’obéir à une logique
d’équilibre local. Chaque mutation se produit sans dessein, mais
certaines perdurent, et l’ensemble finit par donner l’illusion
d’un projet.
C’est cette
illusion que l’homme appelle l’évolution.
Non pas une ascension, mais un effet de persistance dans le désordre.
L’évolution n’a pas de direction : elle résulte simplement
de l’impossibilité du vivant à rester identique à lui-même. La
vie, en somme, n’évolue pas par volonté — elle évolue parce
qu’elle ne sait
pas se stabiliser.
Et c’est cette instabilité universelle qui, par accumulation
d’erreurs et d’adaptations, a produit le phénomène de
conscience.
1. La conscience comme reflet de
l’instabilité
La conscience
n’est pas un miracle, mais un retour
d’information.
C’est la manière dont un fragment de vie, devenu suffisamment
complexe, se regarde
fonctionner. La
vie ne pense pas, mais elle a fini par fabriquer des êtres qui
pensent pour elle. Par eux, elle s’observe, se juge, se questionne.
Elle se découvre responsable de ce qu’elle ne décide pas.
C’est en cela
que l’espèce humaine, dans sa lucidité croissante, devient le
regard de la vie sur
elle-même.
L’univers s’y contemple, la matière s’y analyse, la vie y
devine son absence de but. La pensée n’est donc pas le triomphe de
la vie, mais sa mise
en question interne.
Le vivant, arrivé à la pensée, entre dans une phase critique :
il commence à comprendre ce qu’il fait. Et ce moment de
compréhension annonce déjà la fin du processus.
Car un système
qui se comprend entièrement cesse d’évoluer. L’instabilité se
résorbe dans la lucidité. L’intention nait, et avec elle, la
possibilité du choix
de ne plus reproduire l’instabilité. C’est
ici que la lucidité humaine rejoint le destin général de la vie :
comprendre, puis s’arrêter.
2. L’évolution comme principe
d’extinction
Tout ce qui évolue finit par disparaitre. La vie
elle-même est soumise à ce principe : elle se multiplie, se
diversifie, se complexifie, jusqu’à se rendre insoutenable.
L’évolution porte en elle son propre effondrement. La
diversification crée la rareté, la rareté crée la lutte, la lutte
détruit ce qu’elle a engendré.
De même que les étoiles s’éteignent après
avoir brulé toute leur énergie, les espèces s’éteignent après
avoir épuisé les ressources de leur adaptation. L’humanité,
issue de cette mécanique, n’y échappe pas. Elle est la forme la
plus instable de la vie : trop consciente pour se contenter
d’exister, trop limitée pour dépasser le réel qu’elle
comprend. Elle est donc, nécessairement,
une étape
terminale.
Mais cette fin n’a rien de tragique. Ce n’est
pas la mort d’une espèce ; c’est l’achèvement d’un
processus. La vie aura produit la conscience comme une onde produit
sa dernière vibration avant le silence. La disparition n’est pas
un échec : c’est la conclusion logique de l’évolution.
3. La lucidité comme but implicite de la
vie
Si la vie avait un but, ce serait celui-là :
produire un être capable de comprendre que la vie n’en a pas.
Autrement dit, de se rendre
lucide sur sa propre absurdité. L’humanité est ce
moment, ce pli de la matière où la vie devient consciente de sa
mécanique. Et le Contrat natal, dans sa forme ultime, n’est
que la formalisation de cette lucidité.
L’homme lucide ne cherche plus à sauver
l’espèce, mais à comprendre pourquoi elle persiste. Il n’essaie
plus d’échapper à la mort, mais de donner
un sens rationnel à la fin.
Et quand il comprend que l’espèce, comme tout système instable,
finira par disparaitre, il ne s’en afflige pas : il y voit la
cohérence suprême. Un cycle qui se boucle n’est pas une perte,
mais un accomplissement.
Ainsi, le but implicite de la vie — si l’on
peut employer ce mot pour un processus sans pensée — serait
d’arriver à un état où elle n’a
plus besoin de continuer.
La lucidité n’est pas un accident : elle est la fonction
terminale de la vie. Et la conscience humaine en est l’instrument
provisoire.
4. L’espèce comme témoin provisoire
L’espèce humaine n’est donc pas un
aboutissement, mais un témoin. Elle n’est ni la fin du monde, ni
son centre, mais le moment
où le monde se reconnait. Son rôle
n’est pas de durer, mais de voir
clairement avant de s’éteindre. Et
c’est dans ce regard que réside la dignité de l’humain lucide.
Non pas dans sa puissance, mais dans sa compréhension.
Le Contrat natal n’est que la
traduction morale de cette compréhension : il affirme que
fabriquer la vie, c’est perpétuer la souffrance ; et qu’une fois
ce savoir acquis, fabriquer
une
existence devient
un choix et non une nécessité. C’est
la dernière liberté offerte à la conscience : celle de
décider quand il est juste de continuer, et quand il est juste de
cesser.
5. La boucle refermée
Ainsi, la vie, qui n’était pas pensante, aura
fini par se penser elle-même à travers nous. Elle aura traversé la
matière, les cellules, les neurones, les langages, pour atteindre la
clarté. Et dans cette clarté, elle s’arrêtera, comme un
mécanisme qui a atteint sa conclusion.
Si la vie était un être pensant, elle aurait pour but de se
comprendre ; et une fois comprise, elle s’effacerait, comme un
problème qui s’est lui-même résolu.
Le Contrat natal n’est donc pas
seulement un traité éthique : c’est la formule
finale de la vie qui se sait. Non un
adieu, mais un accomplissement : le moment où le vivant se rend
à lui-même, et où, pour la première fois dans l’histoire de
l’univers, la matière dit lucidement :
« J’ai compris : je ne suis qu’un témoin
lucide de mon inutilité ! »
Fin
— E. Berlherm
(L’obligation
d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce
qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)