Les mécanismes de l’inégalité des droits
et esquisse d’une organisation humaine égalitaire
(La vérité est un bien public, donc un service public.)
Ce texte réunit trois éléments distincts, mais indissociables : une analyse de l’Enrichissement personnel, une Déclaration rationnelle des droits humains, et une Constitution des associés.
Le premier texte met en évidence un mécanisme central de nos sociétés contemporaines : l’enrichissement personnel n’est pas une dérive du système, mais l’un de ses principes de fonctionnement. L’égalité des droits y est proclamée tandis que l’inégalité des moyens d’exister demeure la règle, permettant l’exercice d’un chantage permanent sur l’existence humaine.
De ce constat découle une nécessité : toute critique de l’enrichissement personnel reste incomplète si elle ne s’appuie pas sur une définition rigoureuse de ce qu’est un être humain et de ce qu’il est légitime de lui imposer. C’est l’objet de la Déclaration rationnelle des droits humains, fondée non sur une morale ou un contrat mythique, mais sur un fait premier : tout humain est fabriqué, intégré et contraint d’exister sans l’avoir demandé. Les droits humains y sont compris comme des outils rationnels destinés à limiter les effets destructeurs de la concurrence entre êtres contraints d’exister, et à réduire les souffrances qu’elle engendre.
Enfin, une Constitution des associés est proposée, non comme fondement des droits humains, mais comme une organisation volontaire entre humains déjà reconnus égaux en valeur. Cette constitution ne prétend pas être une loi suprême : elle organise les rapports entre associés dans le strict respect des droits humains préalablement établis, et vise à rendre mécaniquement impossible toute domination fondée sur l’appropriation de l’existence d’autrui.
Ces trois textes forment un ensemble cohérent. Ils ne constituent ni un programme politique, ni une utopie, mais une articulation rationnelle entre diagnostic, fondement et organisation. Leur objectif n’est pas de promettre un monde idéal, mais de montrer à quelles conditions minimales l’égalité cesse d’être une proclamation pour devenir une réalité structurelle.
1 — L’Enrichissement personnel
Les démocraties modernes proclament avec force que tous les humains sont égaux en droits. Cette affirmation, répétée dans les constitutions et les déclarations universelles, semble offrir une base solide à toute vie commune : si les personnes se valent, alors leurs existences, leurs libertés et leurs besoins fondamentaux doivent être reconnus avec la même dignité. En réalité, cette égalité proclamée est contredite par les mécanismes mêmes qui organisent la société. L’inégalité économique, loin d’être un défaut marginal du système, est son principe intérieur de fonctionnement.
La contradiction est simple : si les humains sont égaux, alors une minute de la vie de l’un vaut une minute de la vie de l’autre. La vie humaine a une valeur égale, et cette valeur devrait se traduire dans les moyens concrets d’exister. Or l’argent — qui représente dans nos sociétés le pouvoir de vivre, de se nourrir, de se loger, de se soigner, de se déplacer, de participer à la culture commune — est distribué selon des critères qui n’ont plus rien à voir avec l’égalité humaine. L’égalité de principe est immédiatement dissoute par une inégalité matérielle : la distribution de l’argent et donc des conditions d’existence.
Dès lors, il faut le dire clairement : les démocraties séparent artificiellement les droits et les moyens d’exercer ces droits. Elles garantissent l’égalité abstraite, mais refusent l’égalité concrète. Ce découplage est la ruse fondamentale sur laquelle repose l’ordre social : il permet d’affirmer l’égalité tout en organisant la hiérarchie, la domination, et l’enrichissement personnel. Pour maintenir cette contradiction, il faut fabriquer un discours légitimateur : le mérite. On fait croire que l’enrichissement vient des qualités personnelles, alors que la société elle-même fabrique les individus biologiquement, socialement et culturellement, et leur distribue au hasard les corps, les cerveaux et les chances. Le mérite n’est pas une cause, mais un récit, une justification après coup, destinée à faire accepter que certaines vies valent matériellement mille fois plus que d’autres.
Le résultat est un paradoxe devenu invisible par habitude : les démocraties affirment que toutes les existences se valent, mais organisent immédiatement une hiérarchie économique qui mesure les vies selon leur valeur marchande. Ainsi, une heure de travail peut valoir un montant négligeable ou au contraire une fortune, sans que cela ne reflète autre chose que la position sociale ou la capacité d’extraction de l’individu. Le salaire n’est pas la récompense d’une responsabilité, mais le signe d’un rang au sein d’une structure fabriquée.
La notion même de responsabilité illustre cette inversion. L’erreur d’un ouvrier, visible et mesurable, est immédiatement sanctionnée : la responsabilité est appliquée là où l’erreur est matérielle. Mais plus on monte dans la hiérarchie, plus l’erreur devient diffuse, retardée, non mesurable. Les dirigeants — patrons, hauts fonctionnaires, présidents — revendiquent des responsabilités gigantesques pour justifier leurs privilèges, mais leurs erreurs ne peuvent pratiquement jamais être attribuées, évaluées, ni sanctionnées. Ils portent la responsabilité en titre, mais non en conséquence. L’ouvrier est responsabilisé parce qu’il est observable ; le dirigeant est protégé parce que ses actes se perdent dans la complexité qu’il contrôle.
Ce mécanisme montre que l’égalité proclamée n’est qu’un cadre symbolique destiné à rendre acceptable une réalité inverse : l’enrichissement personnel repose sur la fabrication institutionnelle de l’inégalité. Ce n’est pas une dérive du système, c’en est la fonction. Si l’argent était distribué selon les critères d’égalité qui devraient découler logiquement des droits humains, alors l’ordre social hiérarchique s’effondrerait instantanément : il n’y aurait plus de main-d’œuvre contrainte, plus de hiérarchie salariale, plus d’accumulation héréditaire, plus de pouvoir fondé sur la richesse. L’égalité réelle rendrait impossible l’inégalité structurelle dont vivent les institutions et les élites.
Ainsi se dévoile la vérité brute : l’égalité des droits n’est pas la règle de la société, mais son mythe fondateur. L’enrichissement personnel est le mécanisme qui transforme ce mythe en hiérarchie réelle. La démocratie dit : « toutes les vies se valent ». L’économie répond : « certaines valent mille fois plus que d’autres ». Et c’est cette réponse qui gouverne.
Tant que les moyens d’exister — donc l’argent — ne seront pas distribués selon les mêmes critères pour tous, l’égalité restera un décor, un habillage moral d’un système qui repose sur son contraire. L’inégalité n’est pas un accident : elle est la méthode.
« L’égalité des droits n’est qu’une proclamation, tant que l’inégalité des moyens d’exister reste la règle. C’est pourquoi notre monde de nations reproduit des logiques féodales sous une forme juridiquement démocratique. »
L’analyse de l’enrichissement personnel montre que l’inégalité économique n’est pas une dérive, mais un mécanisme fondé sur l’utilisation des besoins vitaux comme moyen de contrainte. Ce constat ne relève pas seulement de l’économie : il engage directement la définition de ce qu’est un être humain et de ce qu’il est légitime de lui imposer. Dès lors, toute critique de l’enrichissement personnel qui ne s’appuierait pas sur des droits humains clairement établis resterait incomplète, et toute constitution qui ignorerait ces droits reproduirait mécaniquement les mêmes formes de domination. C’est pourquoi il est nécessaire d’établir d’abord une Déclaration rationnelle des droits humains, avant de décrire une organisation entre associés, la Constitution des associés, qui en soit strictement compatible.
2 — Déclaration rationnelle des droits humains
(fondée sur la contrainte d’exister, elle est indépendante et précède toute Constitution)
Préambule
Tout humain est fabriqué et intégré au monde sans l’avoir demandé, alors qu’il n’y a aucun bénéfice à sortir du néant. Son existence est le résultat de processus biologiques et sociaux qui le précèdent et le dépassent. Cette contrainte d’exister est un fait premier, antérieur à toute morale, toute loi et toute organisation sociale.
Les humains réclament des droits pour eux-mêmes afin de protéger leur existence, leur intégrité et leurs conditions de vie. Une telle revendication ne peut cependant fonctionner que sur la base de la réciprocité : nul ne peut légitimement exiger pour lui ce qu’il refuse aux autres.
Les humains sont des animaux capables de se décrire, de se comprendre partiellement et d’anticiper les effets de leurs propres organisations. Les droits humains ne visent pas à nier l’animalité humaine, mais à en limiter les effets destructeurs lorsque des êtres contraints d’exister sont mis en concurrence et doivent coexister. En établissant des droits, les humains cherchent ainsi à réduire les souffrances produites par cette concurrence et à se rapprocher d’un bien-être général, seul horizon rationnel pour une coexistence durable.
La présente Déclaration n’accorde pas des droits : elle explicite ceux qui découlent nécessairement de la contrainte d’exister, de la fabrication humaine et de la réciprocité logique entre individus de valeur égale.
Article 1 — Contrainte d’exister
Texte : Tout humain est contraint d’exister. Aucun humain n’est à l’origine de sa propre existence.
Commentaire : Cet article établit le fait fondamental à partir duquel tout raisonnement devient possible. Ce qui n’est pas choisi ne peut fonder ni responsabilité, ni dette, ni hiérarchie de valeur entre individus.
Article 2 — Innocence d’exister
Texte : Tout humain est innocent d’exister. Aucun humain ne peut être tenu pour responsable du fait même de son existence.
Commentaire : L’innocence d’exister est la conséquence directe de la contrainte d’exister. Elle invalide toute tentative de fonder une obligation morale, économique ou politique sur la simple présence au monde.
Article 3 — Fabrication humaine
Texte : Tout humain est fabriqué par des processus biologiques, familiaux et sociaux qu’il n’a pas choisis.
Commentaire : Les différences entre humains sont des différences de fabrication, non de mérite. Aucune caractéristique — physique, mentale, culturelle ou sociale — ne peut légitimement servir de fondement à une hiérarchie de valeur.
Article 4 — Égalité factuelle des existences
Texte : Toutes les existences humaines ont une valeur égale.
Commentaire : Cette égalité n’est ni morale ni juridique : elle est factuelle. Une minute de vie humaine vaut une minute de toute autre vie humaine, indépendamment de son usage social ou économique.
Article 5 — Droit inconditionnel d’exister
Texte : Tout humain a droit aux moyens d’exister du seul fait de son existence.
Commentaire : Ce droit ne dépend ni d’un comportement, ni d’une utilité, ni d’une contribution préalable. Il découle directement de l’innocence d’exister.
Article 6 — Interdiction du chantage à l’existence
Texte : Nul ne peut utiliser les besoins naturels d’existence — alimentation, santé, logement, sécurité, bien-être — pour contraindre un être humain à agir, obéir, travailler ou se soumettre.
Commentaire : Lorsque la survie conditionne l’obéissance, il n’y a pas de liberté mais une contrainte mécanique. Cet article neutralise le mécanisme fondamental de domination analysé dans l’enrichissement personnel.
Article 7 — Monde sans propriétaire
Texte : La planète n’appartient à personne.
Commentaire : Le monde n’est pas un bien mais une condition matérielle de l’existence humaine. L’appropriation absolue de la planète est incompatible avec l’égalité factuelle des existences.
Article 8 — Absence de dette existentielle
Texte : Aucun humain n’est redevable à un autre humain ou à une société du fait même d’exister.
Commentaire : Toute dette doit résulter d’un choix explicite. L’existence n’étant pas choisie, elle ne peut fonder aucune obligation.
Article 9 — Universalité
Texte : Ces droits valent pour tout humain, indépendamment de toute association, frontière ou organisation sociale.
Commentaire : Les droits humains précèdent toute constitution possible et ne peuvent en dépendre.
Article 10 — Primauté
Texte : Aucune loi, constitution ou organisation ne peut être légitime si elle contredit les droits humains ainsi déduits.
Commentaire : Les droits humains ne sont pas fondés par la loi ; ils fondent toute loi possible.
3 — Constitution des associés
(organisation volontaire entre humains déjà reconnus comme égaux en valeur)
Préambule
Les humains, reconnus égaux en valeur et innocents d’exister, choisissent de s’associer pour organiser leur coexistence matérielle et sociale. La présente constitution ne fonde aucun droit humain. Elle organise uniquement les rapports entre associés, dans le respect strict de la Déclaration rationnelle des droits humains.
Article 1 — Association volontaire
L’association est un choix. Nul ne peut être contraint à s’associer par la privation de ses moyens d’existence.
Article 2 — Égalité des associés
Tout associé dispose d’une voix égale dans les décisions collectives, indépendamment de ses capacités ou de sa fonction.
Article 3 — Finalité de l’association
L’association vise l’organisation collective des moyens d’exister, dans le respect de l’égalité factuelle des existences et sans enrichissement personnel.
Article 4 — Absence de domination
Aucun mécanisme d’association ne peut produire de domination matérielle, économique, politique ou symbolique d’un associé sur un autre.
Article 5 — Production et usage
La production est organisée comme une activité associative. Les biens produits sont destinés à l’usage et à la satisfaction des besoins, non à l’accumulation de pouvoir.
Article 6 — Disparition fonctionnelle de l’argent
L’association vise l’inutilité de l’argent. Tout instrument transitoire de comptabilité ne peut conférer ni pouvoir, ni accumulation, ni domination.
Article 7 — Répartition des tâches
Les tâches nécessaires à la vie collective sont réparties entre associés en tenant compte des capacités réelles de chacun, sans hiérarchie de valeur.
Article 8 — Gestion du rare
Les biens rares sont attribués par des règles publiques, transparentes et révisables, incompatibles avec toute appropriation durable.
Article 9 — Révision
Toute règle associative est révisable par les associés, à condition de ne jamais contredire la Déclaration rationnelle des droits humains.
Article 10 — Non-héritabilité constitutionnelle
Aucune règle associative ne peut obliger définitivement des humains qui n’ont pas choisi l’association. Toute génération conserve la capacité de redéfinir ses formes d’association.
4 — Note
La critique de l’enrichissement personnel montre que l’inégalité n’est pas un accident, mais un mécanisme.
La Déclaration rationnelle des droits humains établit ce qu’est un humain avant toute organisation.
La Constitution des associés organise ensuite, et seulement ensuite, les rapports entre humains qui choisissent de s’associer. Ce renversement est nécessaire pour que l’égalité cesse d’être proclamée et devienne structurelle.
Fin — E. Berlherm
(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)
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