Expression libre de la sexualité
(La vérité est un bien public, donc un service public.)
Le corps humain remplit des fonctions vitales par des mécanismes qu’il n’a pas choisis : respirer, manger, dormir, se reproduire. Parmi eux, la sexualité présente une particularité : elle unit le plaisir et la conception dans un même geste. Mais ces deux fonctions, bien que liées par la nature, ne coïncident pas dans la pratique. La conception est un évènement rare, alors que le plaisir sexuel est recherché bien plus souvent, parfois sans aucune finalité reproductive. Le cerveau humain a, au cours de l’évolution, émancipé le plaisir de son utilité biologique : il en a fait un moyen d’expression, de lien et d’équilibre.
Ainsi, l’acte sexuel n’est plus seulement un acte de reproduction ; il est devenu un langage du corps. Comme la parole traduit la pensée en sons, la sexualité traduit la pensée affective et érotique en gestes corporels. Elle est une communication sensorielle, silencieuse, et souvent sincère. La société, pourtant, continue à juger certains langages du corps comme acceptables, et d’autres comme condamnables. Le langage des signes, par exemple, est reconnu comme une forme de pensée gestuelle : il permet de s’exprimer, de communiquer au moyen du corps, des mains et du visage. La sexualité, elle, est un langage plus intime ; mais c’est encore une manière pour un être conscient d’exprimer sa pensée par le corps. Si l’on admet la liberté d’expression verbale et gestuelle, il est rationnel d’admettre aussi la liberté d’expression corporelle, tant qu’elle ne nuit à personne.
L’homosexualité, la bisexualité, ou toute autre orientation ne sont, sous cet angle, que des structures mentales du plaisir : des formes d’organisation de la sensibilité, acquises et consolidées par l’apprentissage, comme toute autre habitude du cerveau. Dire qu’un individu « pense » son plaisir différemment d’un autre n’a rien d’immoral ; c’est une simple diversité fonctionnelle du mental humain. Réprimer une orientation revient donc à interdire une forme d’expression de la pensée. Si le droit à la liberté d’expression a un sens, il ne peut s’arrêter aux frontières du langage articulé.
La société humaine se contredit : elle nous fabrique avec les conditions du désir. Elle diffuse partout des images érotiques, des modes, des stimulations sensorielles, mais elle prétend ensuite moraliser ce même désir. Elle crée le potentiel qu’elle veut ensuite contrôler. Cette contradiction vient de l’origine même du pouvoir social : contrôler le corps, c’est contrôler l’individu. Or, la rationalité ne peut admettre qu’un pouvoir légitime repose sur la contradiction.
La comparaison avec la nourriture éclaire profondément la sexualité. Manger, c’est d’abord se reproduire soi-même : à chaque repas, nous régénérons nos tissus, réparons nos cellules, remplaçons les parties usées de notre corps. C’est une reproduction quotidienne de soi, un entretien continu de l’individu par assimilation du monde extérieur. La sexualité, elle, est une reproduction différée : elle ne régénère pas directement le corps, mais engendre un autre être qui prolonge la structure biologique et parfois mentale de celui ou de celle qui l’a produit. Dans les deux cas, il s’agit du même principe : la vie se reproduit elle-même, soit dans le même organisme, soit à travers un nouvel organisme. Les deux mécanismes associent plaisir et nécessité, comme si la nature avait inscrit le plaisir au cœur du processus vital pour en assurer la continuité. Si l’on considère normal de choisir librement sa nourriture, son rythme, ses compagnons de table, pourquoi juger différemment le choix des partenaires ou des formes de plaisir sexuel ? Manger et aimer sont deux expressions d’une même loi : celle de la reproduction de la vie par la jouissance du vivant.
Les religions et les morales traditionnelles renforcent le contrôle en affirmant que la sexualité n’a de sens que dans la reproduction. Pourtant, elles-mêmes s’y opposent sans le savoir. Beaucoup affirment que la vie commence à la conception ; c’est-à-dire que le fœtus serait déjà une personne dès la conception. Mais si tel est le cas, pourquoi continuer d’avoir des rapports sexuels après la conception ? Et à quel moment cesser ces rapports ? Ces mêmes personnes — qu’elles soient croyantes ou non — poursuivent la relation charnelle, alors que, selon leur croyance, un être humain est déjà présent dans le corps de la mère. Elles imposeraient donc à cet être, supposément « sacré », la proximité immédiate d’un acte qu’elles jugent impur entre adultes. La nature, elle, n’interdit rien : elle ignore la honte. C’est la morale qui crée la contradiction, non la biologie.
D’un point de vue rationnel, la sexualité ne doit pas être jugée par son utilité, mais par sa cohérence avec le principe de non-nuisance. Deux adultes consentants qui trouvent dans le corps un langage commun n’enfreignent aucune loi naturelle. Ce qu’ils expriment, c’est une pensée corporelle qui leur appartient. Interdire cette expression, c’est restreindre la liberté fondamentale de l’esprit : celle d’utiliser son propre corps comme instrument de communication et de plaisir.
L’expression libre de la sexualité n’est donc pas une revendication marginale, mais une conséquence directe de la liberté de penser. Celui qui contrôle la parole contrôle la pensée ; celui qui contrôle le corps contrôle la conscience. Un rationalisme conséquent doit refuser ces deux formes de censure : la censure du verbe et celle du geste. La morale qui prétend sauver l’humanité du plaisir ignore que c’est par le plaisir que la vie s’est inventée.
Fin – E. Berlherm
(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)
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