mercredi 12 novembre 2025

 

Le sac de nœuds de vipères

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

(Analyse du système triadique capitalisme – gouvernance – religion)

1. Introduction : l’illusion du progrès dirigé

Les sociétés modernes se bercent de l’idée que les dirigeants actuels, plus “éduqués”, plus “numériques”, ou plus “démocratiques”, seraient capables de sortir le monde du désordre hérité des anciens hiérarques, capitalistes et chefs religieux. C’est une illusion persistante : les nouveaux gestionnaires ne réforment pas le système, ils l’optimisent et ils le cristallisent. Le progrès des moyens n’a pas transformé la finalité : maintenir le pouvoir de quelques-uns sur tous les autres. Le monde ne s’est pas libéré du passé, il en a simplement perfectionné les instruments de domination.

2. La structure triadique du pouvoir mondial

L’organisation planétaire contemporaine repose sur trois systèmes imbriqués :

  1. le système capitaliste, qui concentre le pouvoir économique et la vitesse d’action ;

  2. le système de gouvernance, qui administre et légitime ;

  3. le système religieux et culturel, qui façonne les valeurs et la soumission.

Ces trois systèmes ne sont pas indépendants : chacun soutient les deux autres. Ils fonctionnent comme trois organes distincts d’un même organisme social. Le capitalisme détient la ressource de la vitesse et de l’argent ; il assure le mouvement, la production et l’expansion, mais il a besoin de la gouvernance pour garantir la légalité de ses pratiques et de la religion pour fournir la morale du mérite qui justifie la richesse. La gouvernance, quant à elle, détient le pouvoir administratif et législatif ; elle prétend réguler, mais sa stabilité dépend de la croissance économique et donc du capital. Elle puise aussi dans la religion la légitimité morale nécessaire à l’obéissance du peuple. Enfin, la religion, dépositaire de la culture et des symboles, conserve son pouvoir sur les consciences ; elle assure la cohésion par la résignation et la justification des hiérarchies, mais elle dépend du capital pour sa diffusion et de la gouvernance pour sa reconnaissance officielle. Chacun de ces trois systèmes tire donc sa force des deux autres : le capitalisme, la gouvernance et la religion forment un triangle d’interdépendance, où chaque sommet renforce et protège les deux autres tout en prétendant les contrôler.

Ce réseau forme un organisme symbiotique : aucun de ses membres ne peut se maintenir sans les deux autres. La domination moderne est systémique, non individuelle.

3. Origine du système : la surpopulation et la peur du chaos

L’imbrication de ces trois forces trouve son origine dans un phénomène matériel : la surpopulation locale, devenue mondiale par l’exploitation planétaire. La multiplication des humains a engendré la rareté, la complexité, la hiérarchie et la nécessité d’une gestion centralisée. Pour maintenir la cohésion, il a fallu :

  • des structures économiques pour répartir les ressources ;

  • des structures politiques pour encadrer les comportements ;

  • des structures religieuses pour imposer la résignation et la patience.

Ainsi, les trois systèmes ne sont pas des complots, mais des réponses opportunistes à la même contrainte initiale : gérer le trop-plein humain. Une fois stabilisés, ils se sont consolidés les uns par les autres jusqu’à devenir indémontables.

4. Le capitalisme : la vitesse comme arme de domination

Le capitalisme contemporain détient un avantage décisif : la vitesse. Grâce au pouvoir de l’argent, il peut déplacer des masses financières, influencer des marchés, modifier des opinions en quelques secondes. Son action n’a plus besoin de lente planification : elle est instantanée, algorithmique, anticipatrice.

En face, les systèmes sociaux et démocratiques reposent sur la délibération lente, la discussion, l’accord collectif. La différence de vitesse crée un déséquilibre structurel : le capital frappe avant que la conscience publique n’ait eu le temps de se former.

L’argent permet ainsi de déstabiliser tout régime hostile à la logique du profit : les expériences socialistes, communistes ou simplement rationnelles. Les capitalistes attaquent tout système qui limite leur pouvoir, qu’il soit dictatorial ou théocratique. Leur arme principale n’est pas la force militaire, mais la déstabilisation financière et médiatique, plus efficace et plus propre.

Un milliardaire peut prendre en une heure des décisions qu’un peuple mettra dix ans à corriger. La démocratie fonctionne à la vitesse du dialogue ; le capitalisme, à la vitesse de la lumière. Cette asymétrie temporelle suffit à rendre tout pouvoir populaire structurellement vulnérable.

5. La gouvernance : la dépendance fonctionnelle

Le pouvoir politique prétend contrôler le capital, mais il en dépend. Les gouvernants écrivent des lois pour réguler les marchés, mais ces lois sont rédigées avec la collaboration des marchés. Ils gèrent la population, mais leur survie électorale dépend de la croissance économique, donc des détenteurs de capitaux.

Le système administratif, par nature lent et hiérarchique, cherche la stabilité ; il est donc aisément manipulé par ceux qui maîtrisent la volatilité. Sous prétexte de “réguler”, la gouvernance consolide en réalité la docilité économique du peuple. Le politique devient un service annexe du capital, chargé d’assurer la paix sociale.

6. La religion : la couche morale du système

La religion, même là où elle a perdu son pouvoir institutionnel, conserve son rôle mémétique et moral.

Elle reste le logiciel invisible de la culture collective. Les réflexes de soumission, de culpabilité, d’espérance, ou de punition, en proviennent directement. On peut vivre dans un État laïc et penser religieusement. Le religieux ne survit pas par la foi, mais par les habitudes mentales qu’il a inscrites dans le langage, l’éducation et la morale.

Il légitime le capitalisme en glorifiant le mérite et la richesse ; il justifie la gouvernance en prônant l’obéissance et la patience. Il reste la plus subtile des trois vipères : celle dont le venin agit avant la morsure.

7. Le mécanisme général : interdépendance et autorégulation

Le capitalisme, la gouvernance et la religion forment un système de rétroaction positive. Chacun alimente la puissance des deux autres :

  • Le capitalisme finance la gouvernance et la religion.

  • La gouvernance légalise les pratiques du capitalisme et protège la religion.

  • La religion moralise la domination et endort la contestation.

Cette boucle est auto-entretenue. Elle s’adapte à toute tentative de réforme en absorbant les critiques : le capitalisme se repeint en “vert”, la gouvernance en “participative”, la religion en “spirituelle”.
Le système n’a pas besoin de se défendre : il se
reconfigure.

8. Les faiblesses du système triadique

Pour qu’un tel ensemble puisse être ébranlé, il faut cibler ses points faibles :

  1. La dépendance du capitalisme à la consommation : réduire volontairement la demande sur les secteurs à rente (sobriété ciblée).

  2. La dépendance de la gouvernance à la légitimité : exiger la transparence et la traçabilité publique des décisions.

  3. La dépendance de la religion à la crédulité : enseigner le fonctionnement réel du cerveau, des émotions et des biais.

  4. La dépendance du système entier à la peur : sécuriser les besoins vitaux pour neutraliser le chantage à la survie.

Ces quatre axes résument la stratégie de “désactivation systémique”.

9. Le peuple et la lenteur rationnelle

Le peuple n’a ni la vitesse du capital, ni la centralisation du pouvoir religieux, ni la structure hiérarchique des gouvernements. Sa seule force est la conscience collective, lente mais cumulative. C’est elle qui, lorsqu’elle s’éveille, rend la manipulation plus coûteuse et la propagande moins efficace.

Mais cette conscience ne se construit qu’en retirant le chantage matériel : si chaque humain disposait de ce que j’appelle le contrat natal — l’assurance inconditionnelle de ses besoins vitaux —, le capitalisme perdrait sa principale arme : la peur du manque.

La lenteur de la raison doit devenir la nouvelle vitesse de la liberté.

10. Conclusion : démêler le sac de nœuds

Le monde n’est pas dirigé par des individus, mais par un système de complicités structurelles. Le capitalisme agit, la gouvernance encadre, la religion justifie. Leur efficacité repose sur la coordination de leurs vitesses et de leurs récits.

Démêler le sac de nœuds de vipères, ce n’est pas couper les têtes : c’est ralentir le rythme du venin, désactiver les réflexes de soumission, et réapprendre la lenteur consciente du jugement collectif.

La raison ne sera jamais aussi rapide que l’argent, mais elle peut être infiniment plus stable. Et, espérons que la vipère à trois têtes de nœud soit Ouroboros, et qu’elles finissent dans la boucle par dévorer son unique queue.

Fin – E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les vipères comme pour les moutons.)


L’Effet Papillon

 

L’Effet Papillon

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

D’après Wikipédia : « “Effet papillon” est une expression qui résume une métaphore concernant le phénomène fondamental de sensibilité aux conditions initiales de la théorie du chaos. La formulation exacte qui en est à l’origine fut exprimée par Edward Lorenz lors d’une conférence scientifique en 1972, dont le titre était : “Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ?” »

Le papillon humain dans la tornade cosmique

L’expression effet papillon est souvent utilisée pour désigner l’idée qu’un évènement minime pourrait entrainer de grandes conséquences à long terme. Mais cette formulation, en apparence poétique, conserve une vision anthropocentrée et causale du monde : elle suppose qu’il existe des « causes » isolables qui produisent des « effets ». Or, dans une perspective physique et rationaliste, cette distinction n’a pas de fondement réel.

L’univers n’est pas une suite de causes et d’effets, mais un continuum d’interactions simultanées. La matière y est en transformation constante, et ce que nous appelons un « événement » n’est qu’un découpage mental, une simplification opérée par un cerveau limité. La causalité est une construction pratique, un outil d’organisation du réel, mais non une propriété du réel lui-même. Dans un univers où tout interagit à tout instant, la cause et l’effet ne peuvent être séparés : ils coexistent dans un présent quantique permanent.

L’« effet papillon » n’est donc pas la preuve qu’une petite cause produit un grand effet, mais qu’il n’existe aucune cause isolée. Chaque particule, chaque champ, chaque énergie participe simultanément à la configuration globale de l’instant. Ce que nous percevons comme un « effet » résulte de la totalité des interactions universelles. Dire qu’un papillon déclenche une tornade revient à ignorer que le papillon, l’air, la chaleur, la planète, l’univers entier forment un même système inséparable.

L’être humain, de la même manière, n’est pas un agent libre inséré dans un monde neutre ; il est une expression locale du mouvement global. Son corps, son cerveau, ses pensées, ses désirs sont des produits du flux cosmique sur sa propre constitution intégrée au système global, et non des causes indépendantes. Parler de responsabilité ou de volonté revient donc à isoler artificiellement un fragment du continuum pour lui attribuer une autonomie illusoire.

Le « papillon humain » n’est pas celui qui provoque la tornade ; il est un mécanisme inclus dans la tornade universelle, soumis à la contrainte d’exister. Ce qu’il appelle « son action » n’est qu’une forme d’activité interne du système général dont il fait partie. L’illusion de causalité nait de la focalisation mentale sur un segment du réel : une simplification indispensable à la pensée, mais trompeuse ontologiquement.

Dans cette vision, l’univers apparait aresponsable : il ne répond de rien, ne poursuit aucun but, n’obéit à aucune intention. Il se transforme selon sa propre cohérence interne. L’humain, qui en est un produit provisoire, partage cette aresponsabilité : il n’est ni coupable ni maitre de ses effets, mais une structure locale d’interactions en perpétuelle recombinaison.

Ainsi, l’effet papillon, compris dans sa profondeur rationnelle, ne révèle pas la puissance d’une cause minime, mais l’unité dynamique de la matière. Il nous invite à abandonner la croyance naïve en la causalité individuelle pour reconnaitre l’unique réalité du continuum universel, où tout participe de tout — sans volonté, sans finalité, et sans faute.

Entre la vision du papillon humain emporté dans la tornade cosmique et celle de l’illusion de la prévision, il n’y a qu’un pas : celui qui sépare le mouvement réel de la pensée que nous en avons. Après avoir reconnu que l’être humain n’est pas cause mais effet du flux universel, il reste à comprendre que même l’idée de changement n’appartient qu’à notre regard. L’univers, lui, ne se modifie pas : il se déploie. Ce que nous appelons transformation n’est que la découverte progressive de ce qui est déjà en train d’être.

L’illusion de la prévision et de la causalité

L’effet papillon est souvent présenté comme la preuve qu’un infime événement pourrait transformer le cours du monde. En réalité, il ne dit rien du monde lui-même : il révèle seulement la fragilité de nos prévisions.

Lorsque nous parlons de prévision, nous ne décrivons pas le réel, mais une idée du réel : une modélisation mentale qui anticipe la suite des évènements d’après ce que nous croyons savoir. Si la réalité s’écarte de cette anticipation, nous disons qu’elle a « changé ». Mais rien n’a changé dans le monde : c’est seulement notre représentation qui s’est révélée fausse. Le réel n’a jamais cessé d’être ce qu’il est.

Ce que nous nommons « erreur » ou « déviation » ne concerne donc pas la matière, mais le regard de l’observateur. La planète, la tornade ou l’être humain ne modifient pas leur trajectoire : ils accomplissent la totalité de leur mouvement selon les interactions qui les composent. Ce que nous appelons « changement » n’est que la découverte progressive de ce mouvement déjà en cours.

Il en va de même pour la vie humaine : dire qu’une personne a « changé de vie » revient à juger un fragment de son parcours à partir d’un point d’observation limité. Mais sa vie, envisagée dans son ensemble, n’a jamais cessé d’être une — un déroulement continu d’états successifs produits par la structure du monde et par la contrainte d’exister.

Ainsi, l’univers n’est jamais en faute, jamais en retard, jamais en avance. Il ne se trompe pas de direction : il n’en a pas. La notion de prévision implique la possibilité d’une erreur ; or, il n’y a pas d’erreur dans le réel, seulement dans la pensée qui tente de le découper.

Cette prise de conscience rétablit la cohérence de l’aresponsabilité cosmique : si le monde ne fait que se produire, sans plan ni volonté, alors personne — pas même l’humain — ne peut être tenu pour cause isolée d’un événement. Ce que nous appelons « action », « erreur » ou « changement » n’existe qu’à l’échelle cognitive du cerveau, non à celle du continuum universel.

L’effet papillon, ainsi réinterprété, n’est plus l’image d’une cause minuscule qui bouleverserait l’ordre du monde ; il est la preuve de l’unité du monde. Il nous rappelle que toute prévision, toute causalité, tout jugement sont des simplifications provisoires — des outils mentaux utiles à l’action locale, mais sans réalité ontologique.

Comprendre cela, c’est reconnaître que rien n’arrive par erreur, et que chaque instant du cosmos est aussi exact qu’il peut l’être : le présent universel, éternellement aresponsable, puisque lui-même contraint d’être.

Fin – E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)


vendredi 7 novembre 2025

 

L’Addiction : la servitude apprise du cerveau

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

Qu’est-ce qu’une addiction ? C’est une habitude devenue tyrannique. Une structure neuronale qui s’active d’elle-même, un circuit de plaisir ou de soulagement qui réclame son dû. Le cerveau, une fois qu’il a gouté à une satisfaction, cherche à la reproduire, encore et encore. Ce n’est pas une faiblesse morale : c’est une conséquence de sa mécanique. Le vivant apprend par répétition ; la répétition renforce les connexions ; et ce renforcement, quasi pavlovien, devient le lit de l’addiction.

Nous sommes donc tous prédisposés à l’addiction. Ce n’est pas une exception pathologique, mais une propriété universelle du cerveau. La différence entre habitude et addiction n’est qu’une question de dosage. Une habitude sert la survie ; une addiction finit par la desservir. Dans les deux cas, le cerveau agit pour maintenir sa cohérence, non pour servir la « liberté » de celui qu’il anime.

Les addictions naturelles et fabriquées

Certaines addictions sont biologiques : la nourriture, le sexe, le sommeil, le besoin d’amour. Elles prolongent les mécanismes de survie. Mais l’humain, toujours inventif, a appris à détourner ces tendances naturelles. Les parents cultivent souvent la dépendance affective : ils veulent être aimés de ceux qu’ils ont fabriqués, et cherchent à s’en assurer par l’imprégnation émotionnelle.

La société renforce la dépendance au travail, à la réussite, à l’argent : elle a besoin de corps obéissants et de cerveaux occupés. Les marchands, eux, transforment le désir en produit. Ils vendent des stimuli, des doses de satisfaction rapide.

Quant aux gouvernants, ils trouvent un grand avantage à voir la population calmée par ses propres distractions (du pain et du foot). L’addiction devient un outil de stabilité politique. Ainsi, les addictions dites « sociales » — au téléphone, à la télévision, aux jeux, à l’information, à la mode — ne sont pas des dérives : elles sont fonctionnelles dans un système qui exploite la plasticité du cerveau humain. On ne gouverne plus par la force, mais par l’habitude.

L’innocence de l’addict

Si nous sommes construits avec un cerveau capable d’addiction, alors personne n’est responsable de ses addictions. Ceux qui blâment l’addict ignorent qu’ils possèdent la même mécanique en veille. L’addiction n’est qu’une expression plus visible d’une servitude universelle. Nous sommes tous dépendants de nos circuits : certains du sucre, d’autres du pouvoir, d’autres encore de la reconnaissance.

Punir un addict revient à punir le cerveau pour avoir appris. Les vrais fabricants de dépendance ne sont pas ceux qui consomment, mais ceux qui profitent de la consommation : les marchands, les médias, les États. Ce sont eux qui organisent l’environnement de stimulation permanente. Mais même eux ne sont pas responsables : ils sont simplement addicts à l’argent, au contrôle, ou à leur propre réussite. Tout le monde est entrainé dans la même boucle. L’univers est aresponsable ; nous aussi.

La fonction de contrôle

Si l’addiction est inévitable, la seule issue est d’apprendre à améliorer le contrôle. L’éducation devrait enseigner le fonctionnement du cerveau avant toute autre chose : apprendre à reconnaitre les automatismes, à repérer les déclencheurs, à voir les pièges. Mais notre système d’éducation forme surtout des dépendants bien adaptés : dépendants du regard de l’autre, de la note, du salaire, du succès. La prévention de l’addiction passe donc par la compréhension de la fabrication.

Il ne s’agit pas de moraliser le cerveau, mais de le comprendre pour éviter qu’il soit dressé contre lui-même. Car c’est toujours la même mécanique : la mémoire de stockage conserve la trace du plaisir, et la mémoire de rappel le réactive dès qu’un signal lui ressemble. La société, elle, se charge de multiplier ces signaux pour maintenir le cycle en activité.

L’addiction à la violence

Parmi les addictions les plus anciennes figure la violence. Elle excite, décharge, libère des hormones puissantes ; elle donne un sentiment de puissance immédiate. C’est une addiction primitive, exploitée par la société pour des usages précis : armée, police, sport, politique. La guerre, institutionnalisée, devient un exutoire collectif. L’homme violent est récompensé, décoré, ou simplement distrait. La femme, en revanche, est traditionnellement éduquée au contrôle : on la forme à la retenue, à la patience, à la maitrise du geste et du mot. Le déséquilibre des rôles n’a rien de naturel ; il est culturel. L’éducation à la gestion des impulsions devrait être universelle, pas genrée.

Addictions utiles et polluantes

Certaines addictions paraissent bénignes : collectionner, courir, consulter son téléphone. D’autres détruisent : drogue, alcool, pouvoir. Mais, du point de vue de la société, les « bonnes » addictions sont celles qui maintiennent la productivité et la paix sociale. Celles qui menacent l’ordre établi deviennent « maladies ». L’addiction est donc à la fois outil de régulation et symptôme de soumission.

Pavlov et Lorenz et la mécanique de l’addiction

Le réflexe pavlovien n’est pas un phénomène anormal : c’est le mode ordinaire d’apprentissage du cerveau. Il associe spontanément les signaux perçus ensemble ou de manière consécutive. Le chien qui salive à l’odeur de la pâtée manifeste simplement une connexion entre une stimulation sensorielle et une réponse motrice. Si la pâtée est servie à midi quand l’horloge sonne, le son de l’horloge remplacera l’odeur : c’est la logique associative naturelle du vivant.

Chez l’humain, ces associations sont permanentes et souvent invisibles : la sonnerie du téléphone et l’objet lui-même, le rouge et le sang, l’éclair et le tonnerre, la bouteille et un liquide. Chaque fois que deux phénomènes coïncident, le cerveau établit un pont fonctionnel. C’est cette capacité de liaison qui fonde tout apprentissage — et aussi toute addiction.

Konrad Lorenz, de son côté, a montré comment une imprégnation précoce fixe certains de ces liens : l’attachement au parent, au groupe, à la voix familière. Ces attaches deviennent des références de sécurité auxquelles l’être reste connecté, même lorsqu’elles n’ont plus de fonction vitale directe.

Pavlov et Lorenz décrivent donc deux versants d’un même mécanisme : le premier explique comment le lien se crée, le second comment il se fige. Leur combinaison produit l’addiction : un lien qui persiste au-delà de son utilité.

Mais il faut préciser que tout est chimique dans ce processus, même l’affectif. Les émotions ne sont pas des entités mystiques : elles sont l’activation de structures neuronales apprises, qui déclenchent un comportement spécifique. Ce que nous appelons « émotion » n’est que la prise de conscience d’un comportement en cours ; autrement dit, c’est le comportement qui fait l’émotion.

Les hormones, dans cette mécanique, ne sont pas des causes autonomes : ce sont des médiateurs d’adressage, des signaux de coordination qui préparent ou prolongent l’action des réseaux neuronaux. Elles transportent des déclencheurs chimiques, là où le courant électrique ne suffit pas, assurant la synchronisation globale du corps et du cerveau. Dire qu’une émotion est « chimique » revient donc à dire qu’elle est une réaction en réseau, une interaction interne de systèmes neuronaux et endocriniens, bref : un phénomène intégralement matériel.

Ainsi, toute addiction — qu’on la dise « chimiquement » ou « affectivement » entretenue — est en réalité un effet du même processus physico-biologique. Les circuits neuronaux, renforcés par la répétition, s’appuient sur ces médiateurs chimiques pour stabiliser le comportement. Répétition, renforcement, maintien : voilà le triptyque pavlovien-lorenzien de toute dépendance.

Les marchands exploitent Pavlov : ils savent créer les signaux qui déclenchent le désir. Les parents et les institutions exploitent Lorenz : ils impriment les modèles affectifs et symboliques qui fixent l’attachement. Ensemble, ils construisent des êtres programmés pour répondre, rarement pour comprendre. L’existence même de ces deux mécanismes montre qu’aucun comportement humain n’est vraiment « choisi ». Nous sommes fabriqués pour apprendre, programmés pour répéter, imprégnés pour aimer, et donc prédisposés à dépendre. Les addictions ne sont pas des fautes individuelles, mais des effets mécaniques d’un cerveau dressé par la nature et exploité par la culture.

Conclusion

Les gouvernants — et la société tout entière — connaissent désormais mieux le fonctionnement du cerveau humain que la plupart des individus eux-mêmes. Ils savent comment activer nos circuits de plaisir, nos réflexes de peur, nos dépendances à la sécurité ou à la nouveauté. L’addiction est devenue un outil politique.

On pourrait s’en réjouir : enfin, la société comprend l’humain ! Mais elle ne l’aide pas à se comprendre lui-même — elle l’aide surtout à mieux consommer, mieux obéir, mieux voter.

Le cerveau humain n’a jamais été aussi bien étudié ni aussi bien exploité. C’est donc à chacun d’essayer — ironiquement — d’exercer un contrôle sur ce qu’il ne contrôle pas : son propre cerveau.

Reste à savoir si cette connaissance servira à libérer les individus… ou simplement à perfectionner leur dépendance. En attendant, chacun est libre — libre de croire qu’il est « libre » (puisqu’on nous le dit !).

Fin — E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)


 

La symétrie impossible :

Victime et Coupable dans un monde Aresponsable

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

Dans le langage judiciaire comme dans le langage courant, le mot victime échappe à la prudence qu’on accorde au mot coupable. On ne dit pas coupable avant que la justice ait rendu son verdict ; on dit accusé, suspect, prévenu. Mais on dit victime sans attendre la moindre décision. Cette asymétrie paraît anodine, mais elle oriente silencieusement la pensée : le mot victime suppose déjà qu’il y a eu faute, qu’un coupable existe quelque part. Or la justice, si elle voulait être réellement équitable, devrait maintenir une symétrie parfaite : il n’y a de victime que reconnue comme telle, tout comme il n’y a de coupable qu’après jugement.

Une personne peut bien sûr se sentir victime d’un acte subi, d’une parole, d’un abus. Mais ce sentiment, aussi réel soit-il pour la conscience, ne constitue pas une vérité judiciaire. Il n’y a encore, pour la loi, qu’un accusé potentiel et une victime potentielle : deux êtres encore innocents, l’un de culpabilité, l’autre de victimité. La justice n’a pas pour mission de croire, mais de vérifier ; elle ne juge pas les émotions, elle examine les preuves. C’est pourquoi, si le mot victime est maintenu avant le jugement, la balance de la justice s’incline déjà.

Cependant, la difficulté ne tient pas seulement au langage. Elle révèle une contradiction plus profonde entre trois plans : le réel, le vécu et le juridique. Un être peut être victime d’une inondation, d’un éboulement, d’un accident : la victimité est alors visible, indiscutable. Mais lorsqu’il s’agit d’un acte humain sans témoin, sans preuve, la victime se sait victime, tandis que la justice ne peut la reconnaître victime. L’expérience intime existe dans le cerveau, mais la société ne valide que ce qu’elle peut constater. Entre le vécu et la loi, il y a tout l’écart qui sépare la douleur de sa preuve.

Le principe d’aresponsabilité éclaire cette dissymétrie. Si personne n’est véritablement responsable — ni de ses causes, ni de son existence — alors il n’y a, en réalité, ni coupables ni innocents au sens moral. Mais dans la logique juridique de notre époque, puisque chacun est contraint d’exister, chacun devrait être considéré innocent, non seulement de culpabilité, mais aussi d’intention. La contrainte initiale et permanente de l’existence implique une innocence permanente. Ainsi, l’être qui subit une agression comme celui qui la commet sont, dans une perspective universelle, victimes de la même mécanique causale : le premier victime des effets, le second victime des causes.

Dans un monde aresponsable, la justice humaine ne peut que tenter de gérer les conséquences, non de punir des fautes qui, au fond, n’existent pas. Elle devrait reconnaître que toute rétribution — pour l’un comme pour l’autre — n’est qu’un ajustement pratique, pas une vengeance morale. Le mot victime gagnerait alors à retrouver son sens le plus neutre : celui d’un être atteint par un événement, qu’il soit naturel ou humain. Et le mot coupable – s’il doit persister - à n’être qu’un repère technique, non une condamnation ontologique.

Car dans l’univers, nul n’est coupable d’exister, nul n’est coupable d’agir, nul n’est coupable de subir. Tous sont pris dans la même loi de contrainte. Et c’est peut-être là la seule justice véritable : reconnaître que la victime et le coupable ne sont, en dernière analyse, que deux aspects d’une même innocence.

Note finale : sur le principe d’aresponsabilité

Pour moi, selon le principe d’aresponsabilité de l’univers, personne n’est ni coupable, ni innocent, ni simplement punissable, puisque personne n’est responsable. Mais dans la logique juridique de notre époque, les gens devraient être toujours considérés comme innocents, car contraints d’exister — ce qui est une évidence. La science, la philosophie, le commun des mortels sont capables de le comprendre. Cette vérité fondamentale devrait être reconnue par la justice. La contrainte initiale d’exister — d’ailleurs également permanente — implique l’innocence permanente.

Fin – E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)


dimanche 19 octobre 2025

 

Expression libre de la sexualité

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

Le corps humain remplit des fonctions vitales par des mécanismes qu’il n’a pas choisis : respirer, manger, dormir, se reproduire. Parmi eux, la sexualité présente une particularité : elle unit le plaisir et la conception dans un même geste. Mais ces deux fonctions, bien que liées par la nature, ne coïncident pas dans la pratique. La conception est un évènement rare, alors que le plaisir sexuel est recherché bien plus souvent, parfois sans aucune finalité reproductive. Le cerveau humain a, au cours de l’évolution, émancipé le plaisir de son utilité biologique : il en a fait un moyen d’expression, de lien et d’équilibre.

Ainsi, l’acte sexuel n’est plus seulement un acte de reproduction ; il est devenu un langage du corps. Comme la parole traduit la pensée en sons, la sexualité traduit la pensée affective et érotique en gestes corporels. Elle est une communication sensorielle, silencieuse, et souvent sincère. La société, pourtant, continue à juger certains langages du corps comme acceptables, et d’autres comme condamnables. Le langage des signes, par exemple, est reconnu comme une forme de pensée gestuelle : il permet de s’exprimer, de communiquer au moyen du corps, des mains et du visage. La sexualité, elle, est un langage plus intime ; mais c’est encore une manière pour un être conscient d’exprimer sa pensée par le corps. Si l’on admet la liberté d’expression verbale et gestuelle, il est rationnel d’admettre aussi la liberté d’expression corporelle, tant qu’elle ne nuit à personne.

L’homosexualité, la bisexualité, ou toute autre orientation ne sont, sous cet angle, que des structures mentales du plaisir : des formes d’organisation de la sensibilité, acquises et consolidées par l’apprentissage, comme toute autre habitude du cerveau. Dire qu’un individu « pense » son plaisir différemment d’un autre n’a rien d’immoral ; c’est une simple diversité fonctionnelle du mental humain. Réprimer une orientation revient donc à interdire une forme d’expression de la pensée. Si le droit à la liberté d’expression a un sens, il ne peut s’arrêter aux frontières du langage articulé.

La société humaine se contredit : elle nous fabrique avec les conditions du désir. Elle diffuse partout des images érotiques, des modes, des stimulations sensorielles, mais elle prétend ensuite moraliser ce même désir. Elle crée le potentiel qu’elle veut ensuite contrôler. Cette contradiction vient de l’origine même du pouvoir social : contrôler le corps, c’est contrôler l’individu. Or, la rationalité ne peut admettre qu’un pouvoir légitime repose sur la contradiction.

La comparaison avec la nourriture éclaire profondément la sexualité. Manger, c’est d’abord se reproduire soi-même : à chaque repas, nous régénérons nos tissus, réparons nos cellules, remplaçons les parties usées de notre corps. C’est une reproduction quotidienne de soi, un entretien continu de l’individu par assimilation du monde extérieur. La sexualité, elle, est une reproduction différée : elle ne régénère pas directement le corps, mais engendre un autre être qui prolonge la structure biologique et parfois mentale de celui ou de celle qui l’a produit. Dans les deux cas, il s’agit du même principe : la vie se reproduit elle-même, soit dans le même organisme, soit à travers un nouvel organisme. Les deux mécanismes associent plaisir et nécessité, comme si la nature avait inscrit le plaisir au cœur du processus vital pour en assurer la continuité. Si l’on considère normal de choisir librement sa nourriture, son rythme, ses compagnons de table, pourquoi juger différemment le choix des partenaires ou des formes de plaisir sexuel ? Manger et aimer sont deux expressions d’une même loi : celle de la reproduction de la vie par la jouissance du vivant.

Les religions et les morales traditionnelles renforcent le contrôle en affirmant que la sexualité n’a de sens que dans la reproduction. Pourtant, elles-mêmes s’y opposent sans le savoir. Beaucoup affirment que la vie commence à la conception ; c’est-à-dire que le fœtus serait déjà une personne dès la conception. Mais si tel est le cas, pourquoi continuer d’avoir des rapports sexuels après la conception ? Et à quel moment cesser ces rapports ? Ces mêmes personnes — qu’elles soient croyantes ou non — poursuivent la relation charnelle, alors que, selon leur croyance, un être humain est déjà présent dans le corps de la mère. Elles imposeraient donc à cet être, supposément « sacré », la proximité immédiate d’un acte qu’elles jugent impur entre adultes. La nature, elle, n’interdit rien : elle ignore la honte. C’est la morale qui crée la contradiction, non la biologie.

D’un point de vue rationnel, la sexualité ne doit pas être jugée par son utilité, mais par sa cohérence avec le principe de non-nuisance. Deux adultes consentants qui trouvent dans le corps un langage commun n’enfreignent aucune loi naturelle. Ce qu’ils expriment, c’est une pensée corporelle qui leur appartient. Interdire cette expression, c’est restreindre la liberté fondamentale de l’esprit : celle d’utiliser son propre corps comme instrument de communication et de plaisir.

L’expression libre de la sexualité n’est donc pas une revendication marginale, mais une conséquence directe de la liberté de penser. Celui qui contrôle la parole contrôle la pensée ; celui qui contrôle le corps contrôle la conscience. Un rationalisme conséquent doit refuser ces deux formes de censure : la censure du verbe et celle du geste. La morale qui prétend sauver l’humanité du plaisir ignore que c’est par le plaisir que la vie s’est inventée.

Fin – E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)

 

Le rationalisme en quelques mots

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

Le cerveau humain peut à la fois raisonner et croire. Il est construit ainsi. Que vaut-il mieux, croire ou raisonner, alors qu’on sait parfaitement que la majorité des humains se trompent dans leur croyance ?

Cette question n’oppose pas deux attitudes morales ; elle révèle simplement deux fonctions du même organe : celle qui cherche à comprendre, et celle qui cherche à se rassurer. La croyance stabilise, la raison explore. Le rationalisme commence lorsque l’esprit comprend ce mécanisme et choisit, autant qu’il le peut, de ne pas se laisser conduire par l’automatisme.

L’origine de la croyance

La croyance ne vient pas d’une erreur du cerveau, mais de l’éducation. Dès que les animaux ont dû instruire leurs petits, ils ont transmis des comportements indispensables à la survie. L’enfant, pour vivre, devait suivre l’adulte. Il n’avait ni le temps ni les moyens de vérifier ce qu’il imitait. Il a donc appris à obéir avant de comprendre, et cette obéissance a fondé la fonction de croyance.

Ce mécanisme, d’abord pratique, est devenu mental. Chez l’humain, l’éducation s’est transformée en langage : l’enfant hérite d’un monde déjà nommé, déjà organisé, saturé de mots et d’idées toutes faites. Il lui faut des années pour distinguer ce qu’il a compris de ce qu’il répète. La croyance est donc la trace de cette dépendance initiale : un mode d’apprentissage devenu réflexe de pensée. Il est évident que nous ne pouvons pas tout remettre en cause et le faire constamment, cela conduirait au TOC.

Le rationalisme commence quand l’adulte, conscient de ce conditionnement, revient examiner ce qu’il a tenu pour vrai. C’est la poésie du rationalisme : remettre en cause les recettes de grand-mère, non par mépris, mais pour voir si elles cuisent encore juste.

Ce qu’est le rationalisme

Le rationalisme n’est pas une foi dans la raison ; c’est une méthode de vérification. Être rationaliste, c’est savoir que son propre cerveau n’est pas infaillible, qu’il invente des liens et des causes pour donner sens à ce qu’il ignore. Le rationaliste ne se croit pas au-dessus des autres : il se surveille lui-même. La raison n’impose rien ; elle observe, compare, rectifie. Elle ne cherche pas à détruire les croyances, mais à comprendre leurs fondements et leurs effets afin de proposer un meilleur système.

Le rationalisme est une hygiène de la pensée. Il demande de maintenir le champ mental propre : pas stérile, mais débarrassé des illusions collées par l’habitude, la peur ou la tradition.

Le rationalisme dans la forme et dans le fond

On peut être rationaliste en habit de clown, sur un petit vélo, ou en poète. Le rationalisme, c’est le contenu, pas la forme. Ce n’est pas le messager qui compte, c’est le message. Toute expression — écrite, peinte, dansée, chantée, chuchotée — peut être rationaliste si elle porte une idée juste, argumentée, nécessaire et partageable.

La raison n’est pas l’ennemie de la sensibilité : elle la traverse pour en extraire la clarté. L’art, la musique, la parole sont des instruments de vérité quand ils cherchent à éclairer plutôt qu’à séduire.

L’éthique rationaliste

Le rationalisme ne s’arrête pas à la logique ; il conduit à une éthique. Raisonner, c’est mesurer les conséquences de ses actes. Le rationaliste reconnait l’innocence d’exister : personne n’a choisi de naitre, donc nul ne mérite ni blâme ni dette d’existence. L’être humain n’a pas à se faire désirer puisqu’il a été désiré.

L’être humain ne doit pas se faire désirer puisqu’il a été désiré. La seule responsabilité est celle de ne pas nuire par ignorance, surtout lorsqu’on participe à la fabrication à l’aveugle d’autres existences. Cette lucidité ne condamne pas la vie : elle la rend consciente. Elle cherche à réduire la part d’absurde et de souffrance que l’irréflexion perpétue.

Conclusion : la liberté de penser

Avant de croire à nos propres idées ou à celles des autres, il faut s’assurer que la pensée est libre et que nous pouvons l’exprimer librement. Le rationalisme est ce travail permanent de dégagement intérieur : il nettoie la pensée de ses automatismes et la rend capable de se voir fonctionner. Il ne promet pas la vérité, mais la liberté de la chercher.

Le rationalisme est une discipline sans dogme, une vigilance tranquille, une manière de tenir son esprit debout dans le tumulte des certitudes humaines.

Fin – E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)