vendredi 29 août 2025

Tous les chemins mènent à la Mort

 

Tous les chemins mènent à la Mort

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

J’ai commencé à cheminer et à mourir le jour de ma conception.

D’après la définition, la mort c’est le bout final de l’existence. Vous ne franchissez rien. Simplement, vous cessez d’être une personne et votre corps se décompose en des éléments de même nature que ceux qui ont servi à construire votre corps. Rien ne manque, sauf que la construction est devenue branlante au cours du temps. En fait, elle est toujours branlante dès la conception et un rien peut vous mettre dans la situation d’être décomposé plus ou moins rapidement. C’est ce qu’on appelle la fragilité de l’existence. Vous avez été construit pour vivre — sans connaitre la durée — et mourir.

Le plus intéressant est le verbe mourir. Mourir c’est une action, la mort c’est un état. Mourir c’est cesser de vivre, c’est aussi perdre la vie. On peut, dit le dictionnaire (de l’Académie française) « venir de mourir », ou « se laisser mourir ». Quand quelqu’un vient de mourir, c’est une simple constatation faite par un vivant fort intéressé de voir son premier mort. Mais se laisser mourir, cela veut dire que la personne a envie d’y aller doucement, à petit feu, pas d’un seul coup par un suicide (homicide de soi).

(Quand un chat meurt de vieillesse, ses derniers instants sont bouleversants. Il s’éteint lentement. Avec une lunette à infrarouge, on doit réellement apercevoir l’extinction, car le corps refroidit lentement ce qui produit une baisse du rayonnement produit par la perte de chaleur. S’éteindre est un terme correct.)

Je suppose qu’on doit pouvoir se suicider lentement, de la même façon qu’on peut empoisonner une personne à petite dose, sans qu’elle s’aperçoive qu’on en veut à sa vie ; ainsi on peut sourire à la personne que l’on empoisonne et lui souhaiter une bonne journée.

C’est exactement ça la vie. Vos parents vous empoisonnent à petit feu et préparent votre mort dès la conception. Certains prétendent vous aimer et sans doute y croient-ils, mais ils vous préparent à mourir. Vous êtes sur la ligne de départ et déjà se profile la ligne d’arrivée. Pourtant vous ne vous êtes pas laissé mourir.

Pour nous habituer à mourir, nos parents ont, en général, la délicatesse de nous montrer comment ça se passe en mourant avant nous. La vie est vraiment bien faite…

Tiens ! Vous devez connaitre le roman de SF « Des fleurs pour Algernon » de Daniel Keyes (un film en a été tiré). Un gentil demeuré, Algernon, va servir de cobaye à des scientifiques, qui lui administrent un traitement pour le rendre intelligent. Le miracle se produit, Algernon devient extrêmement intelligent, et même beaucoup plus que ceux qui l’entourent, un véritable génie. Malheureusement, l’effet n’est que provisoire, et Algernon va retourner progressivement à son état premier. Pendant qu’il en est capable, il va observer sa déchéance, car elle est lente, et la redouter. Est-ce que ça valait le coup ? Lui-même, en tant que demeuré, n’était pas à même de comprendre les risques, mais les scientifiques… mais les parents…

La Vie, c’est la même chose. Le traitement qui rend intelligent se nomme « Instruction et Connaissances ». Nous naissons idiots, et nous finissons séniles sauf de terminer abruptement. Nos parents, comme les scientifiques d’Algernon, le savent parfaitement. Ils prennent des risques sur notre dos. Ils veulent expérimenter la maternité et la paternité et aussi la vie de famille et surtout, ils font comme tout le monde, ça rassure d’être comme tout le monde. Mais l’expérience valait-elle le coup ? Était-ce vraiment une expérience pour nous, puisqu’en tant que mort nous n’aurons aucun avis sur elle ? Nous ne sommes tous que des cobayes pour un univers qui se fout royalement de notre existence éphémère, alors que lui est permanent.





Qu’est-ce que ça peut me faire, si l’univers est déterministe, de changer mon comportement et tenter de changer celui des autres pour tenter d’améliorer le monde ? Puisqu’il est déterministe, alors notre comportement est déterministe également, je ne peux donc rien y faire.

C’est parfaitement clair. Vous avez tout à fait raison. Vous ne changerez pas votre comportement. Si vous avez une mentalité laxiste, égocentrique, j’m’en-foutiste, vous le resterez. Si vous avez un caractère actif, empathique, vous le resterez également. Quel que soit notre caractère, il variera au rythme des expériences de notre vie plus ou moins rapidement. Et nous finirons par nous dire :

« Qu’est-ce que ça peut me faire, ce qui va se passer après moi, puisque je serais mort ? »

Mais nous serons mort dans combien de temps, dans quelques jours, pendant l’hiver qui vient, dans l’année, dans les quelques années qui viennent ? Mais combien d’années ? Est-ce que nous allons continuer de préparer nos vacances de l’année prochaine ? Est-ce que nous allons nous occuper de nos rosiers pour l’année suivante, et semer des graines, puisqu’il se peut que nous ne les voyions jamais fleurir ? Et cette série télévisée qui n’en finit pas, à quoi sert de la regarder puisque nous n’en verrons pas l’épilogue ?

L’univers étant déterministe, notre mort peut surgir à tout instant, les causes possibles sont très nombreuses et variées, mais nous continuons parce qu’il est plus facile de continuer sur la lancée (par nos parents) que de faire l’acte de cesser d’exister plus ou moins brutalement. Et puis la suite peut être marrante, et puis la suite peut être surprenante, et puis par la suite que peut-être finalement tout ça va s’améliorer et que je m’éteindrais sans regretter ni la vie ni l’extinction !

Alors, votre mentalité déterministe va-t-elle être modifiée par les quelques connaissances qui viennent de peupler votre cerveau ? Elle sera toujours déterministe, mais sera-t-elle toujours laxiste et égocentrique ?


Petites Notes parmi d’autres, pour rire

Vous pouvez porter plainte de devoir mourir, comme vous pouvez porter plainte d’être handicapé par l’âge, de subir la vieillesse. Avez-vous demandé à exister, et à exister pour ça, pour cette absurdité finale ? Pourquoi devriez-vous accepter sans vous plaindre cette normalité animale, n’êtes-vous pas humain ?

Je porte plainte pour préjudice d’anxiété permanente par crainte de la Mort et pire encore de l’Enfer.

Je porte plainte parce qu’on m’a réincarné dans un corps que je ne mérite pas, le juge s’est trompé ; je fais appel.

La mort est un traumatisme grandissant dans la tête du vivant au fur et à mesure qu’il s’approche d’un seuil qu’il sait inexorable.

S’il n’y a pas plus de terroristes ayant un âge avancé, c’est parce qu’ils sont grabataires, mais ce n’est pas l’envie qui doit leur manquer.

Ce n’est pas tant la mort qui est un problème, c’est d’abord le fait qu’on n’ait pas le choix de mourir on non et de ce moment particulier où l’on ne peut plus décider de s’endormir, car on sait qu’on va se réveiller, et ensuite c’est la fin de vie que l’on doit subir en général comme un handicap de tous les éléments corporels qui s’accentue jusqu’à la fin.

Comment mourir sans être dépressif ? Si vous craignez de mourir peut-être est-ce parce que vous craignez la mort, c’est-à-dire ce que votre corps devient une fois mort. Eh bien, sachez, si vous ne le savez déjà, qu’il se décompose comme n’importe quel matériau. S’il y avait autre chose après la mort cela ne devrait vous procurer aucune frayeur puisque cela constituerait une sorte de métamorphose qui vous ferait passer de la chrysalide humaine au papillon éthéré ! Quant à l’acte de mourir, qui est le passage du vivant plus ou moins autonome au cadavre inerte, cela peut-être angoissant et douloureux, et même excessivement douloureux puisque personne n’a jamais demandé à tester le phénomène ; quoique la torture en tant qu’expérience sur autrui comment peut-elle réellement renseigner les bourreaux ? La meilleure façon de ne pas être dépressif est d’aborder franchement le problème.

Mourir est un sommeil définitif. Il n’y a plus de reprise de conscience. Le réveil matin est éteint à tout jamais.

Je n’aurais aucun problème avec l’immortalité (restreinte) dans de bonnes conditions d’existence et si j’avais le choix de m’arrêter provisoirement ou définitivement. La condition de mémoire est aussi très importante, car il faudrait pouvoir mémoriser indéfiniment, pouvoir effacer ou trier ce que l’on a enregistré, etc. Ce qu’une IA pourrait faire. Mais il n’en reste pas moins qu’il ne nous sert à rien d’exister avant d’avoir été fabriqués (même en cas d’immortalité restreinte) et que, en suite, il faut subir l’existence et avec le corps qu’on nous a refilé ainsi que l’environnement et l’univers. La personne fabriquée est toujours fabriquée pour servir les existants.

La mort n’est que la fin de la pérennité du soi, ou plutôt la fin de la continuité d’un être de mémoire. C’est la pérennité de la mémoire qui fait l’individu.

Ceux qui s’opposent à l’assistance à mourir refusent surtout qu’on reconnaisse que certaines réalités de la vie sont insupportables. Admettre la dignité du choix de mourir, ce serait aussi ouvrir la porte à la remise en cause d’autres situations : la souffrance chronique, les handicaps extrêmes, ou ces existences marquées dès la naissance par une absence irréversible de conscience. Dans ces cas-là, personne ne peut jamais dire que la personne « choisit » de continuer ou non ; mais nier la question, c’est se réfugier derrière une hypocrisie. Les opposants — religieux, conservateurs ou capitalistes — s’accommodent très bien de cette hypocrisie, parce qu’elle sert leurs intérêts. Ils transforment la souffrance en ressource : ressource morale, pour les uns, qui y voient un sacrifice sacralisé ; ressource économique, pour d’autres, qui tirent parti du statu quo. On pourrait leur retourner leur logique : au lieu d’une assistance active à mourir, mettons les patients incurables dans un coma artificiel définitif. La personne n’est pas « tuée » : elle existe encore, elle respire, son corps est chaud, on peut même lui ouvrir les yeux si l’on veut. Mais elle ne souffre plus. Cette solution, pourtant, ne leur convient pas non plus, car elle coute très cher à la société. Voilà le nœud du problème : derrière les grands discours moraux, c’est toujours l’économie qui tranche. La souffrance et la mort sont des objets commerciaux du monde capitaliste. Quant aux discours sur l’âme, le paradis ou l’éternité, ils n’ont qu’une fonction : faire croire que la coutume et la tradition valent plus que le désir des vivants. C’est une façon d’imposer aux individus le poids d’un héritage idéologique, au lieu de leur reconnaitre le droit élémentaire de disposer d’eux-mêmes.

En France, le dernier guillotiné l’a été en 1977 (Monsieur Hamida Djandoubi est exécuté après avoir été condamné par la cour d’assises des Bouches-du-Rhône le 25 février). J’avais 29 ans. J’étais donc adulte. Et en tant qu’associé (contraint), j’ai été le bourreau de cet homme fabriqué et éduqué par la société (puisque nous sommes associés à nos représentants législateurs et juges). Madame Djandoubi, la maman de Hamida, l’a également guillotiné. Aujourd’hui, quand un gouvernement tue par l’intermédiaire de ses flics et militaires, ou de tueurs auxiliaires, nous sommes tous associés, donc tous complices. La démocratie rend le peuple coupable des exactions de ses représentants. C’est un avantage de la dictature, le dictateur est le seul responsable, tandis que le peuple asservi s’en lave les mains

Est-ce qu’on est vraiment mort, quand on n’a pas eu conscience de mourir, ou même conscient dans la mort ? Le mort ne peut pas le prouver, quant aux vivants, eh bien, ils inventent la croyance en l’éternité de l’âme sans preuve également. D’ailleurs, qui peut prouver que l’éternité existe ?

La vie qui nous est imposée est tellement absurde qu’il est étonnant que pas plus d’êtres intelligents ne meurent de rire en le comprenant, mais à vrai dire je n’en sais rien, aucune statistique n’a été faite sur le sujet. Pour l’instant, je me retiens de mourir de rire, car je veux pouvoir encore rire du commun des mortels.

Nous sommes aresponsables comme l’univers mécanique déterministe, et innocents d’exister en permanence dans le monde où la responsabilité a été imaginée.

Fin E. Berlherm

[L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.]



mardi 26 août 2025

La Punition

 

La Punition

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

Def. de « Punir » (Dictionnaire de l’Académie française) : Issu du latin punire, « punir, châtier », dérivé de poena, « compensation, réparation ; châtiment, peine », lui-même emprunté du grec poinê, « argent versé aux parents d’une victime par les responsables de sa mort », puis « châtiment, vengeance ».

« La vie entière est une punition, car tout ce qui est contrainte par autrui est punition. »

On ne donne ni cadeau ni punition à quelqu’un qui n’existe pas encore : un non-existant ne saurait être concerné par quoi que ce soit. De même qu’une bouteille qui n’a pas encore été fabriquée n’est pas qualifiée de « non-existante » au sens où on lui refuserait quelque chose ; elle n’existe tout simplement pas. Un cadeau ou une punition suppose toujours un existant. Or, une fois la vie commencée, elle peut se dérouler de façon plus ou moins heureuse, plus ou moins douloureuse, en totalité ou par fragments. C’est seulement dans son vécu qu’elle pourrait être considérée comme un cadeau ou une punition, si l’on considère que l’on aurait pu avorter après avoir initié l’existence de la personne, afin d’éviter ses souffrances et sa mort inutiles.

L’animal apprend à survivre par l’expérience directe : distinguer ce qui est comestible, reconnaitre le danger, agir dans son environnement sans qu’aucune règle extérieure ne l’y contraigne. Il suit les mécanismes de sa nature et de la nature. L’humain, au départ en tant qu’animal, suit cette même logique. L’animal et l’humain apprennent l’autonomie dans la nature.

Mais avec l’invention du langage, une rupture majeure se produit. L’expérience devient transmissible, discutée, mémorisable ; ce qui était instinctif se transforme en autonomie pensée, réflexive et sociale. L’individu ne se contente plus d’agir : il peut décrire, commenter, projeter et, surtout, être jugé par les autres.

L’autonomie individuelle ne suffit plus dès lors que les humains vivent en groupe : chaque action a des conséquences sur autrui. C’est la société qui invente la responsabilité en convoquant les individus fautifs, en corrigeant ou sanctionnant leurs actes pour maintenir la cohésion. Ensuite, l’éducation transmet ces notions : les individus intègrent les idées de devoir, de faute et de compensation, souvent sans les remettre en question, surtout lorsque l’humanité entière légitime et utilise ces concepts. Ainsi, ce que l’on croit être une conscience personnelle de responsabilité est en réalité le produit d’un mécanisme social intériorisé. L’individu finit par se croire responsable, il se sent responsable, alors que la notion vient d’abord du collectif qui l’en a imprégné inconsciemment.

(Si la nature a ses règles, l’humain invente des règles ce qui complique la vie des individus au lieu de l’améliorer. La puissance permet d’augmenter le nombre d’humains, ce qui augmente mécaniquement la souffrance, et ce n’est pas un progrès.)

Dès ses origines, la punition est liée à la compensation d’une perte. Dans les sociétés archaïques, la mort d’un membre de la famille représentait un déficit concret : perte de force de travail, d’appui pour les travaux agricoles, ou d’assistance pour les parents âgés. La punition du coupable, ou de sa famille, prenait la forme d’une amende ou d’un paiement matériel, visant à réparer la perte.

Cette logique transforme la vie humaine en valeur économique : le temps, le travail et la survie deviennent des unités échangeables. La punition, en établissant un prix sur les torts, esquisse ce que l’on pourrait appeler une ébauche du capitalisme. Elle ne relève pas d’abord de la morale, mais de la comptabilité sociale et matérielle.

Si la responsabilité nait comme construction sociale, la punition en est l’un de ses corolaires immédiats. En citant en justice l’individu déclaré fautif, la communauté lui applique une sanction, à la fois pour rétablir un ordre perturbé et pour dissuader la répétition de l’acte. Mais ce geste collectif a des effets plus profonds : il institue un rapport d’évaluation permanente entre l’individu et la société. L’existence de la punition implique qu’il y ait des critères pour juger les conduites, et donc, par contraste, qu’il existe des comportements jugés « bons », « conformes » ou « exemplaires ».

De cette logique binaire — faute/sanction, conformité/récompense — émerge progressivement la notion de mérite. Si certains actes entrainent une punition, d’autres doivent logiquement conduire à un bénéfice, à une reconnaissance sociale. Ainsi, la punition n’est pas seulement un instrument de régulation, elle est la matrice qui engendre l’idée de mérite. L’un ne va pas sans l’autre : c’est parce qu’on peut être jugé coupable que l’on peut aussi être reconnu digne de louanges.

Le mérite apparait donc comme la face lumineuse de la punition : il n’est pas pensé comme un principe indépendant, mais comme l’inverse positif de la sanction. Là encore, l’individu intègre cette construction par l’éducation et finit par croire que son « mérite » lui appartient en propre, alors qu’il est d’abord défini et décerné par la société. Puisque nous avons été fabriqué et éduqué, personne ne mérite ses facultés bonnes ou mauvaises, jugées bonnes ou mauvaises, personne ne mérite légitimement. Le capitalisme, naissant avec la punition, s’affirme avec le mérite.

(On ne peut en vouloir aux capitalistes puisque les gouvernants sont stupides, car ce sont nos choix qui font nos représentants, donc le capitalisme et la croyance, puis s’ensuivent la pauvreté, la misère, la souffrance, etc., et tout ça pour rien…)

En pesant les actions des individus, ceux-ci perdent leur égalité, ils doivent mériter une existence qui leur a été imposée.

Au fil du temps, la punition devient aussi un outil de régulation sociale : elle évite la vengeance privée, canalise la violence, et affirme le pouvoir des chefs, des juges ou de l’État. Elle est peu à peu instrumentalisée pour distraire, impressionner ou contrôler, en introduisant une dimension symbolique et morale. (Question : pourquoi les chefs d’État, qui interdisent la violence entre leurs citoyens, s’autorisent-ils à la violence entre Nations, donc entre chefs d’État ? La Loi n’est-elle pas valable pour tous ?)

(Le capitalisme supprime l’égalité des individus. Les êtres humains ont une valeur marchande selon qu’ils sont plus ou moins désirés par les autres membres de la société, alors qu’ils ont été désirés avant que les parents ne lancent leur fabrication. La vie est un besoin mécanique de se reproduire, les humains ont inventé le besoin d’avoir une progéniture pour servir leurs intérêts personnels. Ainsi, nous devenons tous esclaves d’esclaves.)

Avec la complexification des sociétés, la punition se codifie et se monopolise. Elle n’est plus seulement réparation familiale, mais instrument de l’État et de la société pour gérer les pertes et maintenir l’ordre. La victime individuelle disparait derrière la perte sociale : le mort n’est plus seulement un fils ou un frère, mais un travailleur, un contribuable, un soldat potentiel. Le procureur et la justice incarnent cette logique : ils défendent les intérêts collectifs, gèrent les déficits humains, et assurent la cohésion du système.

Les règles écrites remplacent les réponses arbitraires. La responsabilité devient impersonnelle, l’acte est imputé à la loi plutôt qu’aux seuls juges ou à la famille. On passe de la réparation concrète à la sanction abstraite, à la dissuasion et à l’exemple ; or dissuasion et exemple ne sont pas, par définition, de la Justice.

Lorsqu’on indemnise les parents d’une victime, on reconnait en eux des victimes à part entière, en raison de leur lien de filiation. Mais pourquoi, dans ce cas, les parents de l’auteur ne sont-ils pas considérés comme responsables de ses actes, du moins de sa « fabrication » et de son éducation ? Pourquoi cette dissymétrie : d’un côté, le lien parent-enfant est renforcé, de l’autre, il est effacé ? Cette incohérence révèle que la logique juridique se fonde moins sur une rationalité cohérente que sur une gestion émotionnelle : soulager la douleur des uns, tout en protégeant les autres d’un excès de culpabilisation.

Dans ce cadre, la punition perd sa légitimité morale : elle ne sanctionne pas la « faute » naturelle de l’individu, mais régule l’impact social et économique de ses actes.

Dans cette évolution, l’éducation joue un rôle crucial : elle transforme des obligations sociales imposées en intériorisation de la culpabilité. Les individus croient agir par choix moral, mais ils reproduisent en réalité un cadre social qu’ils ont appris et accepté.

Du point de vue rationaliste et déterministe, la responsabilité individuelle telle que nous la concevons est une fiction, pas une donnée naturelle. Les individus ont été fabriqués totalement. Ils sont le produit de leur éducation, de leur environnement, de leurs contraintes biologiques et sociales. La punition, en tant que système de sanctions, ne reflète pas la nature des êtres, mais les besoins de la société pour maintenir l’ordre et gérer les pertes.

Elle perd donc sa justification morale : la « faute » n’existe pas en soi. La seule perspective cohérente consiste à transformer la punition en prévention, protection, réparation et transformation.

Même dans un univers déterministe, agir reste nécessaire : laisser faire serait inefficace et nuisible. Mais ces actions n’ont plus pour objectif la rétribution ou la vengeance, mais la régulation rationnelle et la préservation collective.

Reconnaitre la généalogie de la notion de culpabilité — c’est-à-dire son origine historique et son façonnement par des rapports de pouvoir et de discipline — permet de dépasser l’illusion qu’elle serait une vérité naturelle ou éternelle. La punition apparait pour ce qu’elle est : une construction sociale, économique et symbolique, façonnée par le besoin de préserver les ressources humaines et de maintenir le fonctionnement collectif. L’humanité ne peut plus se contenter de reproduire ces mécanismes archaïques : elle peut envisager des sociétés qui reconnaissent l’innocence d’exister permanente, où l’ordre se construit par la rationalité, la prévention et l’éducation plutôt que par la vengeance et la rétribution.

La liberté consiste à faire ce que l’on veut au moment où on le décide. Toute contrainte qui limite cette liberté agit comme une punition. Or, la liberté est inhérente à la condition d’un être vivant : en tant qu’animal auto-mobile, elle fait partie de son existence même. Mais la vie, telle qu’elle est imposée, relève de la servitude : nous avons été fabriqués pour servir les désirs ou les besoins de nos parents. Elle devient un chantage permanent : il faut se nourrir pour survivre (travaille ou crève de faim), et obéir à des lois auxquelles nous n’avons jamais consenti (respecte-les ou sois sanctionné). Enfin, la vie reste un risque permanent, car le corps est fragile et le moindre incident peut compromettre une existence « normale », imposée par notre simple appartenance à l’humanité.

Et puis il y a la punition infligée aux enfants qui n’obéissent pas à leurs parents, à leurs tuteurs ou à leurs éducateurs. Ce n’est ni une réparation ni une compensation : c’est un formatage, destiné à forcer l’enfant à se plier à la normalité, à la culture ou au culte du lieu. C’est ainsi que commence la normopathie. Les parents, incapables de « fabriquer » ou d’éduquer correctement un enfant, punissent en réalité les erreurs qu’ils commettent eux-mêmes. Si l’enfant résiste, c’est parce qu’il est mal façonné et mal éduqué par vous ; vous en êtes responsables.

Société complice, tu es pire qu’un baudet ! Un baudet réagit ; vous, vous agissez — prétendument « intentionnellement ». Tous les parents punisseurs sont stupides. Tous les éducateurs punisseurs sont stupides. Tous les législateurs sont stupides. Rares sont ceux qui échappent à cette stupidité punitive. Mais d’ailleurs, ce dressage fonctionne-t-il ? Apparemment non : malgré l’arsenal des psychologues, psychiatres et psychanalystes, rien n’y change. Les prisons se remplissent, elles s’agrandissent au rythme de la bêtise de nos parents, éducateurs, législateurs et gouvernants, véritables causes premières du désordre public mondial.

(Sur la balance, mettez sur un plateau vos prix Nobel et sur l’autre plateau installez les taulards. Comparez et vous pourrez lire la valeur de votre QI national.)

Pourquoi utilise-t-on le terme de « punition » pour les enfants ? Le but n’est pas le même que pour les adultes. Dans le cas des adultes, on pourrait croire que la punition sert à dissuader les autres membres de la société. Mais en réalité, elle vise surtout à faire peur : c’est une forme de dressage au fouet. L’enfermement, par exemple, fonctionne davantage comme un spectacle d’intimidation que comme une solution réelle ; la société se fait peur à elle-même.

En effet, c’est la société qui crée les lois, par l’intermédiaire de ses représentants. C’est donc elle qui enferme certains de ses propres membres — ceux qu’elle a elle-même mal fabriqués ou mal éduqués. Ainsi, en punissant ses membres, la société se punit elle-même, car chaque individu puni renvoie à une faute collective : complicité dans la fabrication et l’éducation.

De ce point de vue, parents de victimes comme parents de criminels, tout autant que victimes et criminels eux-mêmes, sont associés — par la loi et ses représentants — à un système qui les victimise et les punit. Les parents deviennent, par association, les bourreaux de leurs propres enfants : enfants contraints d’être partie prenante de ce système, et qui en viennent parfois à s’emprisonner ou à se détruire eux-mêmes « légalement ».

L’histoire de la punition révèle que ce que nous considérons comme naturel — culpabilité, faute, responsabilité — est en réalité une construction sociale, héritée de mécanismes économiques et pragmatiques, un pragmatisme à court terme. L’humain passe de l’autonomie instinctive à l’autonomie pensée, puis à la responsabilité intériorisée et finalement à la punition institutionnalisée. Reconnaitre cette origine permet de dépasser les notions de faute individuelle et d’inventer des sociétés qui prennent en compte soit l’aresponsabilité (absence de la notion de responsabilité dans un univers déterministe) soit l’innocence d’exister permanente, en organisant l’ordre non pas par la vengeance, mais par la rationalité, la prévention et l’éducation.

N’avez-vous jamais entendu parler du déterminisme de l’univers et de nous-mêmes par la même occasion, monsieur mon Représentant ? Et de l’innocence d’exister permanente ? Non ! Encore moins ! Vous devriez vous renseigner, ça rend intelligent.

La procréation est un féminicide ! Le patriarcat est également un féminicide !

Fin — E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)