La Loi du plus Fort
(La vérité est un bien public, donc un service public.)
La Loi du plus fort chez les humains a été régulée en partie par les lois. Les Droits humains disent que nous sommes égaux en droit. Ainsi ceux qui sont bien dotés physiquement par la Nature ne profitent pas outrageusement des plus faibles. Cela devrait avoir comme conséquence que les plus intelligents ne soient pas dominé par les plus forts, ce qui devrait permettre à cette faculté particulière de l’humanité de se développer. Mais ce n’est pas ce qui s’est produit.
Ce n’est pas l’intelligence qui a été mise en avant, c’est la ruse. Deux astuces essentielles ont été instituées qui permettent d’outrepasser le principe d’égalité entre individus. Ce sont ceux de la hiérarchie-féodale et de l’argent.
Au plan international, la loi du plus fort a été bannie par l’Organisation des Nations Unies. Les Nations grandes comme petites sont souveraines et sont donc censées être égales. Mais ce n’est pas le cas. Les nations les plus puissantes mettent leur véto quand cela leur convient, rompent les traités quand cela leur convient, se lancent dans des guerres contre d’autres États souverains quand cela leur convient. Mais ce ne sont pas réellement les Nations qui font ça, ce sont leurs gouvernants qui se sont hissés au pouvoir par la ruse et certainement pas par leur intelligence.
Le fait le plus universel de notre condition humaine est aussi celui que l’on oublie le plus facilement : nul n’a choisi d’exister. La vie dans sa totalité est une contrainte absolue, imposée à chacun sans consentement.
N’est-il pas évident que si l’existence est subie alors nul ne peut être tenu responsable d’exister ? Nous ne sommes pas coupables d’être là, et pas plus de nos actes. Cette innocence est partagée par chacun, quels que soient son origine, son milieu ou ses choix ultérieurs.
De cette innocence découle une conséquence inéluctable : tous les humains ont la même légitimité à poursuivre l’existence qui leur a été imposée. Aucun ne peut être considéré comme supérieur, aucun comme inférieur, pour la simple raison que nous avons été désirés par tous de façon implicite.
Depuis l’aube des sociétés humaines, les rapports entre individus se sont structurés autour d’un principe animal : la loi du plus fort. À l’origine, cette force était littéralement musculaire : le plus robuste imposait sa volonté au plus faible. Mais avec le temps, l’humanité a cherché à dépasser cette logique primitive. Les lois, les droits humains et les institutions ont été conçus pour supplanter la violence physique par l’intelligence individuelle et collective, en instaurant l’égalité et la justice comme nouveaux fondements de la vie commune.
Pourtant, malgré ces efforts, la loi du plus fort n’a pas disparu : elle s’est transformée, en fait elle s’est renforcée. La force n’est plus seulement celle des muscles ; elle réside désormais dans la richesse et dans la hiérarchie, deux instruments qui prolongent l’inégalité sous d’autres formes. Le système protège ce nouveau genre de force sans limites.
L’accumulation individuelle de richesses n’est pas seulement dangereuse : elle est contraire à l’éthique et incompatible avec l’égalité proclamée par les droits humains. L’enrichissement personnel institue un déséquilibre fondamental : celui qui possède plus détient automatiquement plus de pouvoir et plus de libertés que celui qui possède moins. C’est la légalisation d’une inégalité structurelle.
Dans le capitalisme moderne, cet enrichissement est non pas un accident, mais le moteur du système. Vouloir supprimer l’enrichissement personnel sans remettre en cause ce modèle reviendrait à le vider de sa substance. Même dans son sens ancien, où « capitalisme » signifiait simplement « état de celui qui est riche », la richesse n’était déjà qu’un signe de domination. Aujourd’hui, cette domination s’exprime par la capacité des plus riches à influencer les institutions, les marchés, voire les orientations de la recherche scientifique et militaire. La « loi du plus fort » s’est métamorphosée en « loi du plus riche ».
La hiérarchie est, par définition, une inégalité de pouvoirs. Elle établit que certains commandent et d’autres obéissent. L’État moderne, avec ses lois, ses fonctionnaires, sa police et sa justice, repose sur ce principe : il organise la société à travers une chaine de commandement verticale.
Mais cette verticalité est une contradiction permanente avec l’idéal d’égalité. Peut-on réellement abolir la hiérarchie tout en conservant l’appareil étatique ? La réponse est négative : un État suppose toujours une structure hiérarchisée. Pour dépasser cette logique, il faudrait inventer d’autres formes d’organisation collective — par exemple des coordinations horizontales, autogérées, fédératives — où la fonction ne devient pas un pouvoir, mais un service. Tant que la hiérarchie demeure, la loi du plus fort persiste, simplement déplacée du corps à la fonction.
Les sociétés modernes affichent un double visage. D’un côté, elles proclament leur attachement à l’éthique : égalité des droits, dignité des personnes, justice universelle. De l’autre, elles justifient l’enrichissement et la hiérarchie au nom d’un pragmatisme présenté comme nécessaire à la stabilité, à la croissance ou à l’efficacité.
Ce compromis est une hypocrisie structurelle. Comment demander aux individus de se conduire éthiquement quand la société, par ses institutions, consacre l’inégalité comme principe de fonctionnement ? Comment promouvoir la fraternité alors qu’on érige l’accumulation personnelle et la domination hiérarchique en modèles de réussite ?
Une société qui privilégie le pragmatisme au détriment de l’éthique ne supprime pas la loi du plus fort ; elle la masque derrière des discours, tout en continuant de la pratiquer. La véritable rupture serait d’aligner les institutions sur les principes proclamés, au risque de bouleverser profondément les structures actuelles.
La loi du plus fort n’a pas disparu ; elle a seulement changé de visage. L’intelligence humaine n’a pas encore réussi à supplanter la force par la justice : elle a inventé de nouvelles formes de domination, fondées sur la richesse et sur la hiérarchie. Tant que l’enrichissement personnel sera légitimé, tant que la hiérarchie restera la base de l’organisation politique, tant que le pragmatisme à court terme primera sur l’éthique, la loi du plus fort continuera de gouverner nos sociétés.
La question n’est donc plus seulement de savoir comment limiter la violence, mais comment réinventer nos institutions pour qu’elles cessent de reproduire l’inégalité qu’elles prétendent combattre. Car seule une société où l’éthique prévaut sur le pragmatisme pourra réellement mettre fin à la loi du plus fort : la loi de toute bestialité.
La contrainte d’exister est permanente, l’innocence est permanente, nos droits égaux sont permanents. Reconnaitre ce principe devrait être le socle de toute organisation sociale.
Fin – E. Berlherm
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