vendredi 5 décembre 2025

La part des géniteurs

La part des géniteurs

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

(Fable rationnelle à l’usage de ceux qui confondent participation et fabrication)

Remarque liminaire au passant distrait : Tout un chacun connait la question « qui de la poule ou de l’œuf est apparu en premier ? » Cette question est d’une importance capitale, car sa réponse erronée a engendré le patriarcat au détriment du matriarcat. Ce qui a eu pour conséquence l’état déplorable du monde actuel.

La part des géniteurs

Il y a quelques millions d’années, la première tribu humaine — tout juste érectus — très exactement centrée sur la planète, comptait un brillant biologiste au milieu d’une non moins brillante collectivité. Mais ceci est un conte, car dans la réalité les humains de l’époque ne pensaient guerre aux conséquences à long terme de leurs actes, et comme on l’a lu dans ma liminaire, ils se sont plantés gravement. Donc notre biologiste passionné devait donner son opinion en tant que chef scientifique au conseil tribal, sur la question cruciale mentionnée cisavant : « La poule ou l’œuf ? L’œuf ou la poule ? »

Ce biologiste de 120 centimètres, grand gaillard barbu selon les normes de l’époque, avait inventé la loupe à partir d’un morceau de quartz parfaitement taillé et poli, et très rapidement le microscope l’avait suivi, et pour sa copine astronome, le télescope. S’il était facile d’observer l’œuf de poule à l’œil nu, par contre le microscope lui fut très utile pour scruter la semence du coq. Il vit alors frétiller des myriades de bestioles. « Ainsi, se dit-il, les petites graines ont une queue et nage ! ».

Pouvait-il penser autrement alors que tout un chacun savait pertinemment que les hommes ensemençaient les femmes, et que par la suite si le jardin était bien traité, le sol bien nourri, la graine grossissait et donnait un bel enfant. [Note : Spermatozoïde : étymologiquement semence ayant l’apparence d’un animal.]

Quelle ne fut sa surprise après la vivisection d’une poule — sous anesthésie — de constater que ce qu’il appelait la semence allait perforer un œuf minuscule, le véritable œuf, celui qui allait donner un délicieux œuf de poule ! Eh oui, la graine était déjà présente dans le corps de la femelle. Mais à quoi donc servait cette chose frétillante de la queue ?

À la question posée plus haut, sa réponse précise surprit le conseil : « l’œuf habite la femelle. Ils existent simultanément ». « Comment ça ? Explique-toi ! » répondit le conseil d’un seul éberluement. Il expliqua sa manip, et leur fit en toute modestie jeter un œil dans sa technologie de pointe. La question judicieuse qui suivit fut : « Et chez nous, c’est pareil ? ». Elle était posée par la moitié féminine du conseil, l’autre moitié muette étant sans doute un peu déconfite d’apprendre que les mâles ne faisaient qu’envoyer un minuscule poisson-messager dans le processus. Ils se demandaient probablement s’il était bon de connaitre la suite…

Comme vous le savez, cette tribu était hautement intelligente. Une femme se proposa pour la vivisection après qu’on eut, en assemblée, réfléchi au moyen de faire autrement. On n’en trouva aucun. Je ne vous relate pas les détails que vous connaissez parfaitement pour fabriquer un poupon, mais une fois le processus lancé, notre biologiste suivit pendant deux longues journées le difficile chemin parcouru par les spermatozoïdes. Et chacun venait observer la lente et frétillante progression, pendant que la volontaire-cobaye dégustait… des « choses » de l’époque. À l’arrivée de cette course, le même œuf minuscule, la même perforation, le même résultat.

Que conclure ? Parce qu’à l’évidence les femmes ne pondaient pas d’œuf ! La coquille était-elle dissoute dans le corps féminin avant la naissance ? Un brouhaha fit émerger notre biologeux de sa réflexion. La cause en était une question posée par la vivisectée qui sortait doucement de sa léthargie viscérale. « Si c’est nous qui fabriquons la vie, alors pourquoi la part des hommes est-elle plus grande que la nôtre ? »

Parce que même dans le contexte d’humains diablement plus intelligents que nous, le partage s’était effectué sur la présomption que les mâles détenaient et faisaient le principal. C’est-à-dire étaient porteurs de la semence et en plus, pendant que la femme enceinte se faisait dorloter au foyer par le reste de la tribu, ils devaient aller chasser et cueillir avec tous les risques inhérents aux conditions de la nature. Voilà donc qui rabaissait le caquet et la prétention de ces messieurs. Au vestiaire le patriarcat ! Mais rassurez-vous, entre rationalistes purs, il n’y a que des débats animés jamais de pugilats.

L’astronome, fortement impressionnée par les conclusions de son ami, l’aida à améliorer son matériel. Participa à ses recherches de plus en plus riches d’informations précises, pointues, lumineuses, confinant aux limites de la minusculité. Ils analysèrent l’enveloppe de la cellule-œuf, son intérieur visqueux, et découvrirent des merveilles de mécanismes. Ce qui engendra une liste dont je vous donne un aperçu pour la forme : Les membranes — il y en a deux, l’ADN, l’ARN, les mitochondries et leur ADN mitochondrial, le cytoplasme, les ribosomes, l’eau… et oui de l’eau, et tant d’autres encore !

Pour les mécanismes et autres nécessaires, voici également un inventaire, toujours pour la forme : les mécanismes de réparation, les mécanismes de différenciation, les ARNm prépositionnés, les réserves nutritives initiales, la structure complète de réplication, la dynamique interne qui lance les premières divisions. Et en voici d’autres : l’énergie, les matériaux, la gestion thermique, la surveillance technique, la logistique interne, la maintenance, la sécurité — évidemment puisque la femme est un super coffre-fort à décuple protections —, et pour finir la chaine de production complète continue évolutive…

C’est-à-dire : 100 % de la machinerie biologique, 100 % de l’énergie initiale, 100 % de l’environnement de développement, 100 % de la régulation hormonale, 100 % de la protection immunitaire, 100 % de la logistique interne, 100 % des réserves nutritives, 100 % de la construction placentaire, 100 % du suivi des 9 mois, 100 % de la fabrication matérielle de l’enfant.

(Note : Le spermatozoïde, aussi fragile soit-il, bénéficie tout de même de quatre protections : son acrosome, sa membrane, la barrière du testicule qui l’isole du reste du corps, et l’enveloppe externe du scrotum. Un coffre-fort minimal, mais un coffre-fort tout de même.)

S’ils en avaient eu besoin à l’époque, nos deux compères auraient certainement affirmé que la mère est tout à la fois l’usine avec tous ses ouvriers : l’architecte, le coffreur, le maçon, le plâtrier, le charpentier, le peintre, l’électricien, le couvreur, le décorateur intérieur extérieur, et… bon… le jardinier, etc. Bons ou mauvais, certes, c’est selon, mais doit-on lui pardonner, c’est une autre question ?

Après quelques jours d’un travail assidu, les deux amis se regardent, la conclusion est évidente : le spermatozoïde n’a pas participé à la construction du placenta. Il n’a pas apporté d’énergie. Il n’a pas géré la moindre protéine. Il n’a rien contrôlé, rien supervisé. Il a simplement permis la variation génétique finale. Il comprend lentement qu’il n’a jamais « participé à la fabrication ». Il a juste… participé à la variation. Il n’a en fait apporté qu’un ADN haploïde, un centriole, et presque zéro cytoplasme. Nous cherchions un apport masculin, même minime : nous n’avons trouvé qu’un centriole esseulé, perdu dans l’immensité du travail féminin.

Conclusion de nos deux chercheuse-chercheur devant la commission tribale : Dans le monde réel, le mâle n’est pas co-fabricant. Il n’apporte qu’une variation génétique ; la femelle fabrique absolument tout le reste. Et pour rappel devant cette vénérable assemblée : les hommes et les femmes sont des enfants sans responsabilité, puisque les mécanismes ne peuvent en avoir. Les deux sont irrémédiablement aresponsables devant la Nature et nous-mêmes : c’est ainsi que fonctionne la mécanique biologique. La femme fabrique son rejeton dans une usine autonome. Elle fabrique dans le noir le plus complet, à l’aveugle, une future personne qui n’a pas demandé à naitre.

Le patriarcat est un cauchemar en voie de disparition — du moins là où l’observation prime sur la coutume. Le rêve masculin du 50/50 dans la “participation” à la procréation n’est qu’une poésie sociale, un mythe entretenu pour conserver un pouvoir hérité de l’erreur initiale : celle du semeur. La fabrication, elle, n’a jamais eu la moindre part de poésie. Elle n’est qu’un mécanisme aveugle, rigoureux, terriblement dissymétrique.

« Ainsi donc, l’excellente question de l’œuf ou de la poule a trouvé sa réponse et son épilogue. Pourtant, tout était déjà présent dans cette interrogation ! … Y parle-t-on du coq ? »

Fin — E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)