samedi 27 décembre 2025

Les mécanismes de l’inégalité des droits

 

Les mécanismes de l’inégalité des droits

et esquisse d’une organisation humaine égalitaire

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

Ce texte réunit trois éléments distincts, mais indissociables : une analyse de l’Enrichissement personnel, une Déclaration rationnelle des droits humains, et une Constitution des associés.

Le premier texte met en évidence un mécanisme central de nos sociétés contemporaines : l’enrichissement personnel n’est pas une dérive du système, mais l’un de ses principes de fonctionnement. L’égalité des droits y est proclamée tandis que l’inégalité des moyens d’exister demeure la règle, permettant l’exercice d’un chantage permanent sur l’existence humaine.

De ce constat découle une nécessité : toute critique de l’enrichissement personnel reste incomplète si elle ne s’appuie pas sur une définition rigoureuse de ce qu’est un être humain et de ce qu’il est légitime de lui imposer. C’est l’objet de la Déclaration rationnelle des droits humains, fondée non sur une morale ou un contrat mythique, mais sur un fait premier : tout humain est fabriqué, intégré et contraint d’exister sans l’avoir demandé. Les droits humains y sont compris comme des outils rationnels destinés à limiter les effets destructeurs de la concurrence entre êtres contraints d’exister, et à réduire les souffrances qu’elle engendre.

Enfin, une Constitution des associés est proposée, non comme fondement des droits humains, mais comme une organisation volontaire entre humains déjà reconnus égaux en valeur. Cette constitution ne prétend pas être une loi suprême : elle organise les rapports entre associés dans le strict respect des droits humains préalablement établis, et vise à rendre mécaniquement impossible toute domination fondée sur l’appropriation de l’existence d’autrui.

Ces trois textes forment un ensemble cohérent. Ils ne constituent ni un programme politique, ni une utopie, mais une articulation rationnelle entre diagnostic, fondement et organisation. Leur objectif n’est pas de promettre un monde idéal, mais de montrer à quelles conditions minimales l’égalité cesse d’être une proclamation pour devenir une réalité structurelle.


1 L’Enrichissement personnel

Les démocraties modernes proclament avec force que tous les humains sont égaux en droits. Cette affirmation, répétée dans les constitutions et les déclarations universelles, semble offrir une base solide à toute vie commune : si les personnes se valent, alors leurs existences, leurs libertés et leurs besoins fondamentaux doivent être reconnus avec la même dignité. En réalité, cette égalité proclamée est contredite par les mécanismes mêmes qui organisent la société. L’inégalité économique, loin d’être un défaut marginal du système, est son principe intérieur de fonctionnement.

La contradiction est simple : si les humains sont égaux, alors une minute de la vie de l’un vaut une minute de la vie de l’autre. La vie humaine a une valeur égale, et cette valeur devrait se traduire dans les moyens concrets d’exister. Or l’argent — qui représente dans nos sociétés le pouvoir de vivre, de se nourrir, de se loger, de se soigner, de se déplacer, de participer à la culture commune — est distribué selon des critères qui n’ont plus rien à voir avec l’égalité humaine. L’égalité de principe est immédiatement dissoute par une inégalité matérielle : la distribution de l’argent et donc des conditions d’existence.

Dès lors, il faut le dire clairement : les démocraties séparent artificiellement les droits et les moyens d’exercer ces droits. Elles garantissent l’égalité abstraite, mais refusent l’égalité concrète. Ce découplage est la ruse fondamentale sur laquelle repose l’ordre social : il permet d’affirmer l’égalité tout en organisant la hiérarchie, la domination, et l’enrichissement personnel. Pour maintenir cette contradiction, il faut fabriquer un discours légitimateur : le mérite. On fait croire que l’enrichissement vient des qualités personnelles, alors que la société elle-même fabrique les individus biologiquement, socialement et culturellement, et leur distribue au hasard les corps, les cerveaux et les chances. Le mérite n’est pas une cause, mais un récit, une justification après coup, destinée à faire accepter que certaines vies valent matériellement mille fois plus que d’autres.

Le résultat est un paradoxe devenu invisible par habitude : les démocraties affirment que toutes les existences se valent, mais organisent immédiatement une hiérarchie économique qui mesure les vies selon leur valeur marchande. Ainsi, une heure de travail peut valoir un montant négligeable ou au contraire une fortune, sans que cela ne reflète autre chose que la position sociale ou la capacité d’extraction de l’individu. Le salaire n’est pas la récompense d’une responsabilité, mais le signe d’un rang au sein d’une structure fabriquée.

La notion même de responsabilité illustre cette inversion. L’erreur d’un ouvrier, visible et mesurable, est immédiatement sanctionnée : la responsabilité est appliquée là où l’erreur est matérielle. Mais plus on monte dans la hiérarchie, plus l’erreur devient diffuse, retardée, non mesurable. Les dirigeants — patrons, hauts fonctionnaires, présidents — revendiquent des responsabilités gigantesques pour justifier leurs privilèges, mais leurs erreurs ne peuvent pratiquement jamais être attribuées, évaluées, ni sanctionnées. Ils portent la responsabilité en titre, mais non en conséquence. L’ouvrier est responsabilisé parce qu’il est observable ; le dirigeant est protégé parce que ses actes se perdent dans la complexité qu’il contrôle.

Ce mécanisme montre que l’égalité proclamée n’est qu’un cadre symbolique destiné à rendre acceptable une réalité inverse : l’enrichissement personnel repose sur la fabrication institutionnelle de l’inégalité. Ce n’est pas une dérive du système, c’en est la fonction. Si l’argent était distribué selon les critères d’égalité qui devraient découler logiquement des droits humains, alors l’ordre social hiérarchique s’effondrerait instantanément : il n’y aurait plus de main-d’œuvre contrainte, plus de hiérarchie salariale, plus d’accumulation héréditaire, plus de pouvoir fondé sur la richesse. L’égalité réelle rendrait impossible l’inégalité structurelle dont vivent les institutions et les élites.

Ainsi se dévoile la vérité brute : l’égalité des droits n’est pas la règle de la société, mais son mythe fondateur. L’enrichissement personnel est le mécanisme qui transforme ce mythe en hiérarchie réelle. La démocratie dit : « toutes les vies se valent ». L’économie répond : « certaines valent mille fois plus que d’autres ». Et c’est cette réponse qui gouverne.

Tant que les moyens d’exister — donc l’argent — ne seront pas distribués selon les mêmes critères pour tous, l’égalité restera un décor, un habillage moral d’un système qui repose sur son contraire. L’inégalité n’est pas un accident : elle est la méthode.


« L’égalité des droits n’est qu’une proclamation, tant que l’inégalité des moyens d’exister reste la règle. C’est pourquoi notre monde de nations reproduit des logiques féodales sous une forme juridiquement démocratique. » 


L’analyse de l’enrichissement personnel montre que l’inégalité économique n’est pas une dérive, mais un mécanisme fondé sur l’utilisation des besoins vitaux comme moyen de contrainte. Ce constat ne relève pas seulement de l’économie : il engage directement la définition de ce qu’est un être humain et de ce qu’il est légitime de lui imposer. Dès lors, toute critique de l’enrichissement personnel qui ne s’appuierait pas sur des droits humains clairement établis resterait incomplète, et toute constitution qui ignorerait ces droits reproduirait mécaniquement les mêmes formes de domination. C’est pourquoi il est nécessaire d’établir d’abord une Déclaration rationnelle des droits humains, avant de décrire une organisation entre associés, la Constitution des associés, qui en soit strictement compatible.


2 — Déclaration rationnelle des droits humains

(fondée sur la contrainte d’exister, elle est indépendante et précède toute Constitution)

Préambule

Tout humain est fabriqué et intégré au monde sans l’avoir demandé, alors qu’il n’y a aucun bénéfice à sortir du néant. Son existence est le résultat de processus biologiques et sociaux qui le précèdent et le dépassent. Cette contrainte d’exister est un fait premier, antérieur à toute morale, toute loi et toute organisation sociale.

Les humains réclament des droits pour eux-mêmes afin de protéger leur existence, leur intégrité et leurs conditions de vie. Une telle revendication ne peut cependant fonctionner que sur la base de la réciprocité : nul ne peut légitimement exiger pour lui ce qu’il refuse aux autres.

Les humains sont des animaux capables de se décrire, de se comprendre partiellement et d’anticiper les effets de leurs propres organisations. Les droits humains ne visent pas à nier l’animalité humaine, mais à en limiter les effets destructeurs lorsque des êtres contraints d’exister sont mis en concurrence et doivent coexister. En établissant des droits, les humains cherchent ainsi à réduire les souffrances produites par cette concurrence et à se rapprocher d’un bien-être général, seul horizon rationnel pour une coexistence durable.

La présente Déclaration n’accorde pas des droits : elle explicite ceux qui découlent nécessairement de la contrainte d’exister, de la fabrication humaine et de la réciprocité logique entre individus de valeur égale.

Article 1 — Contrainte d’exister

Texte : Tout humain est contraint d’exister. Aucun humain n’est à l’origine de sa propre existence.

Commentaire : Cet article établit le fait fondamental à partir duquel tout raisonnement devient possible. Ce qui n’est pas choisi ne peut fonder ni responsabilité, ni dette, ni hiérarchie de valeur entre individus.

Article 2 — Innocence d’exister

Texte : Tout humain est innocent d’exister. Aucun humain ne peut être tenu pour responsable du fait même de son existence.

Commentaire : L’innocence d’exister est la conséquence directe de la contrainte d’exister. Elle invalide toute tentative de fonder une obligation morale, économique ou politique sur la simple présence au monde.

Article 3 — Fabrication humaine

Texte : Tout humain est fabriqué par des processus biologiques, familiaux et sociaux qu’il n’a pas choisis.

Commentaire : Les différences entre humains sont des différences de fabrication, non de mérite. Aucune caractéristique — physique, mentale, culturelle ou sociale — ne peut légitimement servir de fondement à une hiérarchie de valeur.

Article 4 — Égalité factuelle des existences

Texte : Toutes les existences humaines ont une valeur égale.

Commentaire : Cette égalité n’est ni morale ni juridique : elle est factuelle. Une minute de vie humaine vaut une minute de toute autre vie humaine, indépendamment de son usage social ou économique.

Article 5 — Droit inconditionnel d’exister

Texte : Tout humain a droit aux moyens d’exister du seul fait de son existence.

Commentaire : Ce droit ne dépend ni d’un comportement, ni d’une utilité, ni d’une contribution préalable. Il découle directement de l’innocence d’exister.

Article 6 — Interdiction du chantage à l’existence

Texte : Nul ne peut utiliser les besoins naturels d’existence — alimentation, santé, logement, sécurité, bien-être — pour contraindre un être humain à agir, obéir, travailler ou se soumettre.

Commentaire : Lorsque la survie conditionne l’obéissance, il n’y a pas de liberté mais une contrainte mécanique. Cet article neutralise le mécanisme fondamental de domination analysé dans l’enrichissement personnel.

Article 7 — Monde sans propriétaire

Texte : La planète n’appartient à personne.

Commentaire : Le monde n’est pas un bien mais une condition matérielle de l’existence humaine. L’appropriation absolue de la planète est incompatible avec l’égalité factuelle des existences.

Article 8 — Absence de dette existentielle

Texte : Aucun humain n’est redevable à un autre humain ou à une société du fait même d’exister.

Commentaire : Toute dette doit résulter d’un choix explicite. L’existence n’étant pas choisie, elle ne peut fonder aucune obligation.

Article 9 — Universalité

Texte : Ces droits valent pour tout humain, indépendamment de toute association, frontière ou organisation sociale.

Commentaire : Les droits humains précèdent toute constitution possible et ne peuvent en dépendre.

Article 10 — Primauté

Texte : Aucune loi, constitution ou organisation ne peut être légitime si elle contredit les droits humains ainsi déduits.

Commentaire : Les droits humains ne sont pas fondés par la loi ; ils fondent toute loi possible.


3 — Constitution des associés

(organisation volontaire entre humains déjà reconnus comme égaux en valeur)

Préambule

Les humains, reconnus égaux en valeur et innocents d’exister, choisissent de s’associer pour organiser leur coexistence matérielle et sociale. La présente constitution ne fonde aucun droit humain. Elle organise uniquement les rapports entre associés, dans le respect strict de la Déclaration rationnelle des droits humains.

Article 1 — Association volontaire

L’association est un choix. Nul ne peut être contraint à s’associer par la privation de ses moyens d’existence.

Article 2 — Égalité des associés

Tout associé dispose d’une voix égale dans les décisions collectives, indépendamment de ses capacités ou de sa fonction.

Article 3 — Finalité de l’association

L’association vise l’organisation collective des moyens d’exister, dans le respect de l’égalité factuelle des existences et sans enrichissement personnel.

Article 4 — Absence de domination

Aucun mécanisme d’association ne peut produire de domination matérielle, économique, politique ou symbolique d’un associé sur un autre.

Article 5 — Production et usage

La production est organisée comme une activité associative. Les biens produits sont destinés à l’usage et à la satisfaction des besoins, non à l’accumulation de pouvoir.

Article 6 — Disparition fonctionnelle de l’argent

L’association vise l’inutilité de l’argent. Tout instrument transitoire de comptabilité ne peut conférer ni pouvoir, ni accumulation, ni domination.

Article 7 — Répartition des tâches

Les tâches nécessaires à la vie collective sont réparties entre associés en tenant compte des capacités réelles de chacun, sans hiérarchie de valeur.

Article 8 — Gestion du rare

Les biens rares sont attribués par des règles publiques, transparentes et révisables, incompatibles avec toute appropriation durable.

Article 9 — Révision

Toute règle associative est révisable par les associés, à condition de ne jamais contredire la Déclaration rationnelle des droits humains.

Article 10 — Non-héritabilité constitutionnelle

Aucune règle associative ne peut obliger définitivement des humains qui n’ont pas choisi l’association. Toute génération conserve la capacité de redéfinir ses formes d’association.


4 — Note

  • La critique de l’enrichissement personnel montre que l’inégalité n’est pas un accident, mais un mécanisme.
  • La Déclaration rationnelle des droits humains établit ce qu’est un humain avant toute organisation.
  • La Constitution des associés organise ensuite, et seulement ensuite, les rapports entre humains qui choisissent de s’associer. Ce renversement est nécessaire pour que l’égalité cesse d’être proclamée et devienne structurelle.


Fin — E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)


vendredi 19 décembre 2025

Go to sleep, my little brother

 

Go to sleep, my little brother

(The truth is a public good, therefore a public service.)

Religion is not a simple spiritual current. Nor is it a folkloric accident of human history. It is a system. A functional, integrated, ancient, and remarkably efficient system. Its primary function is not to reveal, but to soothe. Not to understand, but to make one accept. Religion does not seek lucidity; it offers sleep. And this sleep is presented as inner peace, wisdom, elevation, when in fact it is an organized narcosis.

Like any lullaby, it reassures. It speaks softly to the child anxious about the world: do not worry, everything has meaning, someone is watching, everything is written. And the child calms down. He stops questioning. He yields. Religion has thus become the maternal voice of the system: gentle, enveloping, comforting — but profoundly inhibiting.

We find here the same mechanism as in the refusal of heliocentrism. Religions could not accept that the Earth was not the center of the universe, not because it changed anything concrete in daily life, but because it displaced prestige. It was not truth that was threatened, but the symbolic position of the human. In the same way, religion claims that the human is at the center of the divine gaze, that he is loved, judged, chosen. It places him under a fictitious cosmic spotlight. It offers him a metaphysical importance to keep him quiet.

Yet it is entirely demonstrable, scientifically speaking, that gods do not exist — in reality, that no god exists. Certainly, one cannot demonstrate the nonexistence of a being absolutely invisible, intangible, and devoid of any interaction. But as soon as a god is attributed potentialities, these become analyzable. And then reason reasserts its rights.

The fundamental attributes assigned to gods — omnipotence, omniscience, eternity, infinity — are not simply unverifiable: they are incompatible with any coherent structure of the real. Omnipotence is impossible by nature, for a being unable to demonstrate it cannot claim it; and a truly omnipotent being could instantly deny all logical laws, including the one defining its own omnipotence. Omniscience is equally impossible: to know absolutely everything would require perfect knowledge of the future, thus a totally frozen universe, annihilating all dynamics, all evolution, all supposed freedom.

As for infinity and eternity, not only can no god prove them, but nothing in the order of the real shows the slightest operational possibility of them. They are nothing but gratuitous assertions, superlatives without verifiable content. Words magnified to mask the void.

And above all, a god could only be a god if he had not been compelled to exist. Yet existence is always compelled. Nothing self-engenders, nothing arises from pure will. To exist is to obey a cosmic, biological, material mechanism. If a god exists, he is necessarily subjected to this initial constraint — and if he escapes it, then he does not exist in any real sense. The paradox is total.

What we call “God” is therefore nothing but a hypertrophied mental projection: an absolute father imagined to fill anxiety, a fabulous figure destined to neutralize the fear of dying and the vertigo of existing. Religion confuses psychological need with ontological reality. It transforms distress into certainty.

But an isolated belief does not make a system. To become religion, it must structure itself. And this structuring follows a precise mechanics: codification of rules, establishment of a hierarchy, sacralization of texts, creation of rituals, institutionalization of sin. Morality becomes surveillance, faith becomes obligation, and transcendence becomes social control.

What was originally a human attempt to create meaning has been transformed into a normative apparatus. Good and evil are no longer discussed: they are decreed. Disobedience is no longer disagreement: it becomes fault. And fault becomes debt. Religion establishes a moral economy in which the individual is structurally guilty. Guilty of thinking, guilty of desiring, guilty of existing.

And yet religion does not respect its own morality. It preaches love while justifying violence. It glorifies humility while accumulating fortunes. It condemns hatred while cultivating fear. Its texts overflow with massacres, punishments, misogyny, exclusions, sacralized submission. What it calls virtue is often only docility. What it calls sin is often only freedom.

If a god truly spoke, would he speak with a thousand voices? Why so many religions, so many contradictory versions, so many exclusive truths all claiming the absolute? The plurality of dogmas reveals what it tries to conceal: religion is not a revelation, but a cultural fabrication, locally produced, historically situated, psychologically determined. A genuine revelation would be univocal. Religion is disparate.

And even when societies proclaim themselves secular, religion continues to permeate mental mechanisms. Modern justice remains deeply moralizing. It punishes, it judges, it seeks fault more than understanding, the culprit more than the causes. It reproduces a religious pattern emptied of its god: punishment, redemption, guilt, merit, expiation. It is not rational justice but a secularized dogmatic morality.

Religion thus serves a central purpose of the triumvirate: maintaining order. It transforms suffering into value, patience into virtue, submission into wisdom. It diverts social anger inward, channels it, guilt-trips it. It promises compensation after death to neutralize revolt before death. It makes the unbearable bearable.

And the metaphor then becomes clear: the people are an anxious child, and religion is a hand that rocks them.

Go to sleep, my little brother, God watches over you.

Do not think too much. Do not question. Heaven takes care of everything.

But this sleep is not peace. It is anesthesia. A suspension of lucidity. A renunciation of understanding the real in order to better accept it. The price of this lullaby is high: it prevents collective awakening, slows rational emancipation, delays the awareness of sharing, of the constraint of existing, of the fundamental innocence of all.

Suffering reigns uselessly; we cannot prevent it, we can only try to treat it, but it only grows.

Waking up does not mean replacing God with the void. It means replacing superstition with understanding, blind faith with lucidity, submission with collective responsibility. It means accepting that meaning is not given to us from above, but must be built here, among beings compelled to exist, without a sky to watch us, increase our fears, and justify them.

Religion does not disappear through combat. It disappears through understanding. The day humans no longer need a celestial father to calm their vertigo, the lullaby will become useless.

And on that day, the little brother will finally open his eyes.


And to put an end to this diabolical social triumvirate… Do as you wish with the following statement:

Personal enrichment and personal power are incompatible with

the current democracy, which is nothing but disguised feudalism.

End – E. Berlherm

(The obligation to exist implies the innocence of existing permanently, which is true for the wolf-parasites as for the sheep.)


Fais dodo mon petit frère

 

Fais dodo mon petit frère

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

La religion n’est pas un simple courant spirituel. Elle n’est pas non plus un accident folklorique de l’histoire humaine. Elle est un système. Un système fonctionnel, intégré, ancien, et remarquablement efficace. Sa fonction première n’est pas de révéler, mais d’apaiser. Non pas de comprendre, mais de faire accepter. La religion ne cherche pas la lucidité ; elle offre le sommeil. Et ce sommeil est présenté comme une paix intérieure, une sagesse, une élévation, alors qu’il s’agit d’une narcose organisée.

Comme toute berceuse, elle rassure. Elle parle doucement à l’enfant angoissé par le monde : ne t’inquiète pas, tout a un sens, quelqu’un veille, tout est écrit. Et l’enfant se calme. Il cesse de questionner. Il se rend. La religion est ainsi devenue la voix maternelle du système : douce, enveloppante, consolatrice — mais profondément inhibitrice.

On retrouve ici le même mécanisme que celui du refus de l’héliocentrisme. Les religions ne pouvaient accepter que la Terre ne soit pas le centre de l’univers, non parce que cela modifiait concrètement la vie quotidienne, mais parce que cela déplaçait le prestige. Ce n’était pas la vérité qui était menacée, mais la position symbolique de l’humain. De la même manière, la religion affirme que l’humain est au centre du regard divin, qu’il est aimé, jugé, choisi. Elle le place sous un projecteur cosmique fictif. Elle lui offre une importance métaphysique pour mieux le tenir tranquille.

Or il est tout à fait démontrable, scientifiquement parlant, que les dieux n’existent pas — en réalité, qu’aucun dieu n’existe. Certes, on ne peut démontrer l’inexistence d’un être absolument invisible, intangible et dépourvu de toute interaction. Mais dès lors qu’un dieu se voit attribuer des potentialités, celles-ci deviennent analysables. Et là, la raison reprend ses droits.

Les attributs fondamentaux prêtés aux dieux — omnipotence, omniscience, éternité, infinité — ne sont pas simplement invérifiables : ils sont incompatibles avec toute structure cohérente du réel. L’omnipotence est impossible par nature, car un être incapable de la démontrer ne peut s’en prévaloir ; et un être véritablement omnipotent pourrait nier instantanément toute loi logique, y compris celle définissant son omnipotence même. L’omniscience est tout aussi impossible : connaître absolument tout supposerait une connaissance parfaite de l’avenir, donc un univers totalement figé, annihilant toute dynamique, toute évolution, toute liberté supposée.

Quant à l’infinité et à l’éternité, non seulement aucun dieu ne peut les prouver, mais rien, dans l’ordre du réel, n’en manifeste la moindre possibilité opérationnelle. Ce ne sont que des affirmations gratuites, des superlatifs sans contenu vérifiable. Des mots amplifiés pour masquer le vide.

Et surtout, un dieu ne pourrait être un dieu que s’il n’avait pas été contraint d’exister. Or l’existence est toujours contrainte. Rien ne s’auto-engendre, rien ne surgit par volonté pure. Exister, c’est obéir à une mécanique cosmique, biologique, matérielle. Si un dieu existe, il est nécessairement soumis à cette contrainte initiale — et s’il y échappe, alors il n’existe pas dans un sens réel. Le paradoxe est total.

Ce que l’on appelle « Dieu » n’est donc qu’une projection mentale hypertrophiée : un père absolu imaginé pour combler l’angoisse, une figure fabuleuse destinée à neutraliser la peur de mourir et le vertige d’exister. La religion confond le besoin psychologique avec la réalité ontologique. Elle transforme le désarroi en certitude.

Mais une croyance isolée ne fait pas un système. Pour devenir religion, elle doit se structurer. Et cette structuration suit une mécanique précise : codification de règles, mise en place d’une hiérarchie, sacralisation des textes, création de rituels, institutionnalisation du péché. La morale devient surveillance, la foi devient obligation, et la transcendance devient contrôle social.

Ce qui était à l’origine une tentative humaine de donner du sens s’est transformé en appareil normatif. Le bien et le mal ne sont plus discutés : ils sont décrétés. La désobéissance n’est plus un désaccord : elle devient faute. Et la faute devient dette. La religion instaure une économie morale où l’individu est structurellement coupable. Coupable de penser, coupable de désirer, coupable d’exister.

Et pourtant, la religion ne respecte pas sa propre morale. Elle prêche l’amour tout en justifiant la violence. Elle glorifie l’humilité tout en accumulant des fortunes. Elle condamne la haine tout en entretenant la peur. Ses textes regorgent de massacres, de châtiments, de misogynie, d’exclusions, de soumissions sacralisées. Ce qu’elle appelle vertu n’est souvent que docilité. Ce qu’elle nomme péché n’est souvent que liberté.

Si un dieu parlait réellement, parlerait-il avec mille voix ? Pourquoi tant de religions, tant de versions contradictoires, tant de vérités exclusives se réclamant toutes de l’absolu ? La pluralité des dogmes révèle ce qu’elle tente de dissimuler : la religion n’est pas une révélation, mais une fabrication culturelle localisée, historiquement située, psychologiquement déterminée. Une révélation authentique serait univoque. La religion, elle, est disparate.

Et même lorsque les sociétés se proclament laïques, la religion continue d’imprégner les mécanismes mentaux. La justice moderne reste profondément moralisatrice. Elle punit, elle juge, elle cherche la faute plus que la compréhension, le coupable plus que les causes. Elle reproduit un schéma religieux vidé de son dieu : châtiment, rédemption, culpabilité, mérite, expiation. Ce n’est pas une justice rationnelle, mais une morale dogmatique sécularisée.

La religion sert ainsi un objectif central du triumvirat : maintenir l’ordre. Elle transforme la souffrance en valeur, la patience en vertu, la soumission en sagesse. Elle détourne la colère sociale vers l’intérieur, la canalise, la culpabilise. Elle promet une compensation après la mort pour neutraliser la révolte avant la mort. Elle rend supportable l’insupportable.

Et la métaphore devient alors limpide : le peuple est un enfant inquiet, et la religion une main qui berce.

Fais dodo mon petit frère, Dieu veille sur toi.

Ne pense pas trop. Ne questionne pas. Le ciel s’occupe de tout.

Mais ce sommeil n’est pas une paix. C’est une anesthésie. Une suspension de la lucidité. Un renoncement à comprendre le réel pour mieux l’accepter. Le prix de cette berceuse est lourd : elle empêche l’éveil collectif, elle freine l’émancipation rationnelle, elle retarde la prise de conscience de la mise en commun, de la contrainte d’exister, de l’innocence fondamentale de tous.

La souffrance règne inutilement, on ne peut la prévenir, on ne peut que tenter de soigner, mais elle ne fait que grandir.

Se réveiller ne signifie pas remplacer Dieu par le vide. Cela signifie remplacer la superstition par la compréhension, la foi aveugle par la lucidité, la soumission par la responsabilité collective. Cela signifie accepter que le sens ne nous est pas donné d’en haut, mais qu’il est à construire ici, entre êtres contraints d’exister, sans ciel pour nous surveiller, augmenter nos peurs et les justifier.

La religion ne disparait pas par combat. Elle disparait par compréhension. Le jour où l’humain cessera d’avoir besoin d’un père céleste pour apaiser son vertige, la berceuse deviendra inutile.

Et ce jour-là, le petit frère ouvrira enfin les yeux.


Et pour en finir avec ce triumvirat social diabolique… Faites ce que bon vous semble de l’affirmation suivante :

L’enrichissement et le pouvoir personnels sont incompatibles avec

la démocratie actuelle qui n’est que de la féodalité déguisée.

Fin – E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups-parasites comme pour les moutons.)


samedi 13 décembre 2025

The parasite…

 

The parasite…

(The truth is a public good, therefore a public service.)


Capitalism is not a master. Nor is it an architect or a strategist. It is a parasite. A parasite of a particular kind: it feeds on everything that society puts in common, yet denies the very existence of that common. It lives thanks to the social organism while pretending to be the sole cause of its vitality. It pumps, sucks, diverts, privatizes — and pretends to have produced everything itself.

The parasite has no need for intention. It does not need to think of itself as a parasite. It follows its internal, mechanical logic, inherited from the ancient constraints of the species: accumulate before others, climb higher in the hierarchy, possess what reassures, and turn that security into domination. Capitalism emerges in this way, without plan or conspiracy, as a direct consequence of human biology. Social structures are only its outer shell.

This parasite thrives on a ground it never produced. Roads, bridges, networks, electricity, satellites, education, public health, justice, police, social order, air, water, soil, future generations, planetary resources, accumulated knowledge — this is its food. It feeds on what, by nature, belongs to all and should remain accessible to all. It feeds on it as if it were its due.

But the parasite hates when one points out its host. It can live from the common; it cannot survive the awareness of that common. For if humans realize that everything supporting capitalism is common, then they will ask why the fruits of this common are privatized.

The parasite therefore lives in a permanent war against lucidity. It cannot eliminate the commons, because they are its condition of existence. It therefore attempts to erase their obviousness: — by privatizing what belonged to all, — by claiming that the individual “creates” everything alone, — by appropriating the credit for infrastructures paid for by the collective, — by glorifying individual success to conceal collective work, — by criminalizing the very idea of rational sharing.

This is why the word “communism” is unbearable to it. Not because of its historical achievements, but because of what it reveals: that human society already functions in common. That the individual is nothing without the collective. That personal enrichment is possible only by siphoning off common wealth. For the parasite, the danger is not actual sharing — it is indispensable to it — but the understanding of this sharing.

Here we find the same mechanism as in religions facing heliocentrism. They could not bear the idea that the Earth was not the center, not because it changed daily life, but because it displaced prestige. Capitalism cannot bear that the common is the foundation. It shifts its prestige. It overturns the pyramid.

Like all parasites, it does not aim to annihilate its host. That is not its intention — it has none. But it ends up weakening the social body through excessive extraction, negligence, and short-term obsession. It diverts vital resources toward unproductive zones, enriching a few individuals at the expense of the whole. And like autoimmune diseases, it accelerates when the organism weakens, instinctively believing it must take even more to survive.

This parasite, however, has a structural weakness: it cannot tolerate light. Not the light of scientific knowledge or of technological progress — it lives on those. The light it fears is simpler: collective lucidity, the rational understanding of the common, and the questioning of the hierarchy that follows from it.

It is enough for humans to see the tree — the common — to understand what its fruits really are. It is enough for them to see the organism to recognize the parasite.

Capitalism is not eternal. It can survive only as long as the social body ignores where the real circulation of life is located. It will disappear not through violence, but through understanding: through the realization that wealth is never individual, and that society is not a competition between the cells of the same organism, but the obligatory cooperation of beings fabricated blindly, thrown together into a world they did not choose.

The parasite does not disappear through combat. It disappears when the host understands that it is one.

To whom does money belong, if it had no existence and no value unless it were common? Answer: to the people who produce it — for it is an equivalent, a measure of their work. Where does most of this money remain? Answer: in the pockets of a few, the capitalist-parasites. For what purpose? To orient our lives according to their whims…

End – E. Berlherm

(The obligation to exist implies the innocence of existing permanently, which is true for parasite-wolves as for sheep.)


mercredi 10 décembre 2025

Dialogue sur la punition entre Lucretius et Aristotélês

 

Dialogue sur la punition entre Lucretius et Aristotélês

(Sur la société, la fabrication, le crime et l’absurdité de la punition)


Scène

Un banc de pierre, dans un parc calme. Des enfants jouent à quelques dizaines de mètres, comme un rappel permanent de la procréation humaine. Une mère gronde son enfant. Lucretius et Aristotélês sont assis, face au monde, entre lucidité et déni.

I — Le commencement : le principe social accepté

Aristotélês — Lucretius, tu attaques encore la justice. Tu exagères. La société doit bien punir. C’est la base même du vivre-ensemble.

Lucretius — La base ? Très bien. Commençons par le fondement. Dis-moi : qui punit ?

Aristotélês — L’État, évidemment.

Lucretius — Et l’État, c’est qui ?

Aristotélês — Nous, le peuple. Par délégation.

Lucretius — Alors commençons par une évidence que personne n’ose regarder : En démocratie, quand quelqu’un est puni, c’est le peuple entier qui punit. Les voisins punissent, les enseignants punissent, les inconnus punissent… Et les parents punissent aussi.

Aristotélês — Symboliquement, peut-être. Mais ça n’a pas de sens de dire que les parents punissent leur enfant quand un juge prononce une peine.

Lucretius — Pas encore de sens, non. Attends un peu.

II — La scène brutale : le choc que nul ne veut voir

Lucretius — Imagine la peine de mort, Aristotélês. Pas par goût du morbide, mais pour comprendre la logique. Si ton fils était condamné à mort dans un pays où cette peine existe encore — et il y en a — ce serait fait au nom du peuple. Et toi, tu fais partie du peuple. Donc : Le système tuerait ton enfant en ton nom.

Aristotélês — Tu es violent.

Lucretius — C’est la réalité qui est violente, pas moi. Entre dans la pièce avec moi : Une salle froide, éclairée par néons. Une chaise, une table d’acier. Une seringue prête. Des témoins derrière une vitre. L’État qui dit : « C’est fait au nom du peuple. » Et donc, même si personne ne l’avoue jamais : C’est aussi fait au nom des parents. (…Pause…) Une exécution est toujours un matricide et un parricide inversés : Un infanticide dans une société qui refuse de grandir — une société infantile.

Aristotélês — Cette phrase… elle glace.

Lucretius — Elle est exacte.

III — L’intime : là où la justice détourne les yeux

Lucretius — Imagine la mère. Pas abstraitement : imagine sa gorge qui se serre, ses mains qui tremblent. Cette mère qui a porté, nourri, bercé, veillé, protégé. Cette mère qui a rêvé d’avenir pour un être qu’elle a créé. Et un jour, on lui dit : « Votre fils va mourir. Et ce sera fait en votre nom. Vous êtes le peuple souverain. » On ne peut pas imaginer pire obscénité morale. Et pourtant, c’est ainsi que fonctionne une démocratie punitive : elle transforme malgré eux les parents en complices symboliques du geste le plus contre-nature qu’un être vivant puisse concevoir.

Aristotélês — C’est insupportable.

Lucretius — Oui. Et pourtant, c’est vrai.

IV — Le renversement que personne n’attend : la fabrication du criminel et de la victime

Aristotélês — Tu sembles dire que la mère est responsable du crime de son fils…

Lucretius — Responsable ? Non. Mais participante à la chaîne causale, oui. Écoute : Qui fabrique l’enfant ? Les parents. Qui fabrique le mental de l’enfant ? Les parents, puis les professeurs, puis les amis, puis la société. Qui fabrique la société ? Nous tous. Qui fabrique les conditions du crime ? La société. Les inégalités, les humiliations, les armes, les blessures, les frustrations. Qui fabrique la victime ? La société encore. Sa trajectoire, ses vulnérabilités, ses rencontres. Qui fabrique les moyens de commettre le crime ? L’industrie, la technique, donc le monde humain.

Aristotélês — Tu veux dire que… la société participe au crime ?

Lucretius — Elle ne peut pas ne pas y participer. Elle est le fabricant collectif du criminel, de la victime, du monde qui les façonne, et du contexte où l’acte devient possible. Le criminel commet l’acte, oui. Mais l’acte est l’enfant d’un monde entier. Si tu regardes les choses rationnellement, tout crime est un crime collégial.

Aristotélês — Alors la punition… frappe un effet dont la société est une des causes ?

Lucretius — Exactement. Et puisque la société fabrique le criminel, la victime, et les conditions du crime, pourquoi serait-elle exonérée du crime ? Elle ne peut pas ne pas y participer. Elle est le fabricant collectif du criminel, de la victime, du monde qui les façonne, et du contexte où l’acte devient possible.

V — Le tournant : la punition devient absurde

Lucretius — Réfléchis : Si la mère, le père, la société entière, participent causalement à la fabrication de l’être qui commet l’acte, alors punir cet être revient à punir la conséquence en ignorant les causes. C’est l’enfance morale. C’est taper du pied en accusant la marionnette. La punition est une superstition moderne. Un réflexe d’enfant effrayé.

Aristotélês — (plus bas) Et que devient la prison dans ce raisonnement ?

Lucretius — Une peine de mort par petites tranches. Une mort fractionnée. Chaque année retirée, c’est une portion de vie qu’on exécute. On ne tue pas l’individu d’un seul coup : on met à mort, sans scrupule, chaque tranche de son existence. Elle est un infanticide au ralenti. Car si la peine de mort est insoutenable moralement, l’enfermement l’est tout autant — il est seulement moins spectaculaire.

Aristotélês — Tu dis donc que toute punition est un infanticide partiel ?

Lucretius — Oui. Parce qu’on punit toujours l’enfant de quelqu’un. Et cet enfant, la société l’a fabriqué. Et la société se punit elle-même en punissant. C’est de l’auto-destruction ritualisée.

VI — La conclusion rationnelle : la société face à elle-même

Aristotélês — Je ne sais plus quoi répondre…

Lucretius — Alors écoute simplement ceci : La punition est absurde, parce qu’elle reproche à un individu ce que le monde a mis en lui et fait de lui. On ne peut pas punir un être pour ce qu’on a fabriqué. On ne peut pas punir quelqu’un pour avoir agi avec le cerveau qu’on lui a transmis, dans un monde qu’il n’a pas choisi, avec des outils que nous avons forgés, selon des lois qu’il n’a pas votées, dans une société qui l’a façonné. Le criminel est le symptôme. La société est la cause. La punition est l’erreur.

Aristotélês — (doucement) Je commence à comprendre… Et si nous arrêtions de punir, alors que ferions-nous ?

Lucretius — Ce que font les sociétés adultes : comprendre, réparer, prévenir, soigner. Et surtout : cesser de fabriquer les erreurs que nous prétendons ensuite punir.

VII — Dernière phrase

Lucretius — Le jour où la société comprendra qu’elle punit sa propre création, ses propres enfants, qu’elle se punit elle-même, alors elle cessera d’être infantile, et commencera peut-être à devenir humaine.

Fin – E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour Lucrèce comme pour Aristote.)


Les parents peuvent-ils exécuter leur enfant ?

 

Les parents peuvent-ils exécuter leur enfant ?

(La vérité est un bien public, donc un service public)

Il faut parfois dire les choses crument, presque brutalement, pour que la réalité cesse de se cacher derrière les voiles dont la société aime l’habiller. Alors, allons-y. Sans fards.

Dans une démocratie, quand un être humain est exécuté au nom du peuple, ce peuple inclut toujours… « les parents du condamné ». Cela signifie que, symboliquement, même si personne n’ose le dire — surtout pas l’État, surtout pas les juges, surtout pas les voisins — un père et une mère participent à la mise à mort de leur propre enfant, aussi bien la condamnation que l’exécution. Je précise pour que ce soit clair : l’exécution. Les parents exécutent leur enfantfils ou fille.

Il suffit d’oser regarder la scène sans cligner des yeux.

La chambre d’exécution est propre, rangée, si propre qu’elle en devient obscène. La seringue est préparée, calibrée, stérile, comme si l’hygiène pouvait compenser la barbarie. À l’extérieur, des témoins sont là, dont certains n’ont pas choisi d’être témoins « au nom de la société », mais qui le sont malgré eux. Et quelque part — loin ou tout près, qu’importe —, la mère respire, même maladroitement, même en luttant. Elle respire parce que son enfant respire encore. Quelques minutes. Peut-être moins.

Et que fait la démocratie, ce mot que nous aimons tant brandir pour nous féliciter d’être civilisés ? Elle dit calmement :

« Ce geste est accompli en votre nom, Madame. En votre nom, Monsieur. Vous faites partie du peuple souverain. »

La vérité, parfois, n’a pas d’autre forme.

Puis vient la douleur, la vraie, celle que le système judiciaire ne regarde jamais, car elle ne figure dans aucun article de loi, dans aucune case administrative. Elle n’existe que dans les corps vivants, dans les tremblements, dans les silences.

La mère. Elle a lavé son fils. Elle l’a nourri. Elle l’a bercé contre elle, parfois en pleurant de fatigue, parfois en riant toute seule dans la cuisine. Elle l’a accompagné jusqu’à la porte de l’école. Elle a eu peur la première fois qu’il a grimpé à un arbre. Elle a veillé tard le soir où il a eu de la fièvre. Elle l’a imaginé adulte, heureux, vivant.

Et un jour, la société lui dit :

— « Votre enfant doit mourir, il nous embarrasse, il est un grain de sable dans les rouages sociaux. Et nous allons le faire pour vous. Au nom de tous. Même en votre nom. La société exécute votre enfant, vous faites partie de la société : vous exécutez votre enfant par association ou plutôt par complicité. C’est la démocratie. »

Il n’y a pas d’arme plus cruelle. Aucune punition infligée au condamné n’équivaut à celle infligée aux parents. Le système judiciaire ne condamne jamais « un individu » : il condamne toute une vie qui s’est construite autour de lui, et commence par écraser ceux qui l’ont fabriqué. En condamnant une vie, la société et la justice se condamnent elles-mêmes, mais ne s’exécutent jamais.

Le père. Il se tait. Il se tient derrière son propre esprit torturé. Il cherche une phrase, une seule, qui pourrait encore avoir un sens. Mais il n’en trouve aucune. Le silence est devenu sa langue maternelle.

Il imagine la scène — comme une caméra intérieure qui refuse de s’éteindre. Il se dit : « Mon enfant va mourir… par nos mains collectives. Je suis l’auteur de ses jours et son bourreau. » Il n’ose même pas formuler la phrase à haute voix, parce qu’elle le détruit.

Voilà la vérité que la justice évite soigneusement :

Une exécution est toujours un matricide et un parricide inversés. Un infanticide dans une société qui refuse de grandir — une société infantile.

C’est l’enfant, celui qui a émergé de deux corps aimants ou maladroits, qui est renvoyé à la mort par la même société qui a autorisé, encouragé, célébré sa naissance, et surtout désiré son existence pour sa propre pérennité.

Il n’y a rien de plus intime, rien de plus obscène, rien de plus douloureux.

Mais assez d’émotion. Revenons à la mécanique, au dispositif rationnel, à la structure froide — ce terrain où je me sens chez moi, et où, paradoxalement, l’émotion prend encore plus de poids parce qu’elle se heurte au métal.

Voici la réalité nue : La société fabrique et éduque ses enfants, puis les juge. Elle les contraint à exister — sans leur demander leur avis — elle les éduque — toujours sans leur demander leur avis. Elle les met devant le fait accompli de l’existence, souvent sordide, puis elle leur reproche leurs actes, comme si ces actes ne provenaient pas directement du monde social qui les a formés, du langage qu’on leur a transmis, des conditions qu’on leur a imposées.

Dans une démocratie, punir, c’est toujours cela : un peuple qui punit sa propre malfaçon et son incohérence éducative.

Les États, les juges, les jurys, ce ne sont que des organes exécutifs d’une entité plus vaste : le corps social. Et ce corps social, qu’est-ce donc ? Un ensemble d’individus fabriqués par d’autres individus. Un système d’êtres contraints d’exister — nul ne s’est fabriqué lui-même — mais qui s’autorisent pourtant à punir ce qu’ils n’ont pas compris, ce qu’ils ont mal transmis, ce qu’ils ont mal accompagné. Tout s’emboite. Tout s’explique. Et tout devient illégitime. Et même illégal, puisque tout cela, elle l’interdit dans ses propres lois qu’elle prétend morales.

On croit que la peine de mort est un cas extrême, une aberration réservée aux « autres », aux pays qui n’auraient pas encore compris. Mais ce n’est qu’une version concentrée de ce que la punition est partout :

— Enfermer un individu, n’est-ce pas une mort en tranches ? Chaque année retirée, c’est une portion de vie qu’on exécute. On ne tue pas l’individu d’un seul coup : on met à mort, sans scrupule, chaque tranche de son existence.

— Couper un être humain de son monde, de son mouvement, de sa lumière, n’est-ce pas une autre forme d’exécution ?

— Humilier, frapper, exiler, isoler… qu’est-ce que c’est sinon des variantes du même principe ?

Et ce même principe, le voici :

Nous punissons ce que nous fabriquons. Nous infligeons des souffrances à ceux que nous avons forcés à naitre et que nous avons façonnés en totalité, corps et intellect. Nous reprochons aux enfants d’être le produit de notre monde.

La peine de mort en est le sommet obscène, la pointe visible de l’iceberg. Mais l’iceberg entier, c’est la punition. La justice sociale se voudrait un rempart rationnel contre la violence. Elle n’est que la violence institutionnalisée de créatures humaines qui refusent de reconnaitre leur propre responsabilité dans ce qu’elles voient se dérouler sous leurs yeux, et que la société a produit elle-même.

C’est là que le rationalisme que je défends intervient : non pas pour détruire, mais pour dévoiler. Pour montrer la cohérence là où personne n’ose la regarder, car elle dérange trop. Si la mort infligée au nom du peuple est insupportable, alors toute punition infligée au nom du peuple l’est aussi. Si l’émotion vous soulève l’estomac quand vous imaginez une mère « impliquée » dans l’exécution de son enfant, alors elle devrait aussi vous soulever l’estomac quand vous imaginez cette même mère associée à vingt ans de prison, à une cellule de béton, à l’effacement d’une vie.

Car la logique est exactement la même.

Il n’y a pas deux systèmes — l’un barbare, l’autre acceptable. Il n’y en a qu’un. Et il repose sur un mensonge simple :

La société se croit innocente quand elle punit. Mais a-t-elle seulement le droit de punir ?

Elle ne l’est jamais.

Au contraire : elle se punit toujours elle-même. Elle se mord, elle s’ampute, elle s’entaille en punissant ses propres enfants. Elle n’a simplement pas encore eu le courage de l’admettre.

Oui, vous avez bien lu, bien compris, la démocratie impose à une mère d’exécuter son enfant quand vous pensez que c’est l’État le seul bourreau.

Fin — E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les criminels comme pour les juges.)


dimanche 7 décembre 2025

Le parasite…

 

Le parasite…

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

Le capitalisme n’est pas un maitre. Ce n’est pas non plus un architecte ni un stratège. C’est un parasite. Un parasite d’un genre particulier : il se nourrit de tout ce que la société met en commun, mais nie l’existence même de ce commun. Il vit grâce à l’organisme social, tout en prétendant être l’unique cause de sa vitalité. Il pompe, aspire, détourne, privatise — et fait mine d’avoir tout produit lui-même.

Le parasite n’a pas besoin d’intention. Il n’a pas besoin de se penser parasite. Il suit sa logique interne, mécanique, héritée des contraintes anciennes de l’espèce : accumuler avant les autres, se placer plus haut dans la hiérarchie, posséder ce qui rassure, et transformer cette sécurité en domination. Le capitalisme émerge comme cela, sans projet ni complot, comme une conséquence directe de la biologie humaine. Les structures sociales n’en sont que l’habillage.

Ce parasite prospère sur un sol qu’il n’a jamais produit. Les routes, les ponts, les réseaux, l’électricité, les satellites, l’éducation, la santé publique, la justice, la police, l’ordre social, l’air, l’eau, le sol, les générations futures, les ressources planétaires, les connaissances accumulées — voilà sa nourriture. Il se nourrit de ce qui, par nature, appartient à tous et devrait rester accessible à tous. Il s’en nourrit comme si c’était son dû.

Mais le parasite déteste que l’on désigne son hôte. Il peut vivre de la mise en commun ; il ne peut survivre à la prise de conscience de cette mise en commun. Car si l’humain réalise que tout ce qui soutient le capitalisme est commun, alors il demandera pourquoi les fruits de ce commun sont privatisés.

Le parasite vit donc dans une guerre permanente contre la lucidité. Il ne peut pas supprimer les communs, car ils sont sa condition d’existence. Il tente donc d’en effacer l’évidence : — en privatisant ce qui appartenait à tous, — en prétendant que l’individu “crée” tout lui-même, — en s’arrogeant le mérite des infrastructures payées par la collectivité, — en glorifiant la réussite individuelle pour masquer le travail collectif, — en criminalisant l’idée même de partage rationnel.

C’est pourquoi le mot « communisme » lui est insupportable. Non pas pour ses réalisations historiques, mais pour ce qu’il révèle : que la société humaine fonctionne déjà en commun. Que l’individu n’est rien sans le collectif. Que l’enrichissement personnel n’est possible qu’en pompant la richesse commune. Pour le parasite, le danger n’est pas la mise en commun réelle — elle lui est indispensable — mais la compréhension de cette mise en commun.

On retrouve ici le même mécanisme que chez les religions face à l’héliocentrisme. Elles ne pouvaient supporter l’idée que la Terre ne soit pas le centre, non pas parce que cela changeait la vie quotidienne, mais parce que cela déplaçait le prestige. Le capitalisme ne peut supporter que le commun soit la base. Cela déplace son prestige. Cela renverse la pyramide.

Comme tous les parasites, il n’a pas pour objectif d’anéantir son hôte. Ce n’est pas son intention — il n’en a pas. Mais il finit par affaiblir le corps social par excès de ponctions, par négligence, par obsession de court terme. Il détourne les ressources vitales vers des zones improductives, enrichissant quelques individus au détriment du tout. Et comme les maladies auto-immunes, il accélère lorsque l’organisme s’affaiblit, croyant instinctivement qu’il doit prendre plus encore pour survivre.

Ce parasite a cependant une faiblesse structurante : il ne peut pas tolérer la lumière. Pas la lumière du savoir scientifique ni celle du progrès technique — il en vit. La lumière qu’il craint est plus simple : la lucidité collective, la compréhension rationnelle de la mise en commun, et la remise en cause de la hiérarchie qui en découle.

Il suffit que les humains voient l’arbre — le commun — pour comprendre ce que sont vraiment ses fruits. Il suffit qu’ils voient l’organisme pour reconnaitre le parasite.

Le capitalisme n’est pas éternel. Il ne peut survivre que tant que le corps social ignore où se situe la circulation réelle de la vie. Il disparaitra non par violence, mais par compréhension : par la prise de conscience que la richesse n’est jamais individuelle, et que la société n’est pas une concurrence entre les cellules d’un même organisme, mais la coopération obligatoire d’êtres fabriqués à l’aveugle, jetés ensemble dans un monde qu’ils n’ont pas choisi.

Le parasite ne disparait pas par combat. Il disparait lorsque l’hôte comprend qu’il en est un.

À qui appartient l’argent sans existence et sans valeur s’il n’était commun ? Réponse : au peuple qui le produit — car il est un équivalent, une mesure de son travail. Où demeure l’essentiel de cet argent ? Réponse : dans les poches de quelques-uns, les capitalistes-parasites. Dans quel but ? Orienter nos existences selon leurs caprices…

Fin – E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups-parasites comme pour les moutons.)