Tous
les chemins mènent à la Mort
(La
vérité est un bien public, donc un service public.)
J’ai
commencé à
cheminer et à
mourir le jour de ma conception.
D’après
la définition, la mort c’est le bout final de l’existence. Vous
ne franchissez rien. Simplement,
vous cessez d’être une personne et votre corps se décompose en
des éléments de même nature que ceux qui ont servi à construire
votre corps. Rien ne manque, sauf que la construction est devenue
branlante au cours du temps. En fait, elle est toujours branlante dès
la conception et un rien peut vous mettre dans la situation d’être
décomposé plus ou moins rapidement. C’est ce qu’on appelle la
fragilité de l’existence. Vous avez été construit pour vivre —
sans connaitre la durée — et mourir.
Le
plus intéressant est le verbe mourir. Mourir
c’est une action, la mort c’est un état. Mourir
c’est cesser
de vivre, c’est
aussi perdre
la vie. On
peut, dit le dictionnaire (de l’Académie française) « venir
de mourir »,
ou « se
laisser mourir ». Quand quelqu’un vient de mourir, c’est
une simple constatation faite par un vivant fort intéressé de voir
son premier mort. Mais se laisser mourir, cela veut dire que la
personne a envie d’y aller doucement, à petit feu, pas d’un seul
coup par un suicide (homicide de soi).
(Quand
un chat meurt de vieillesse, ses derniers instants sont
bouleversants. Il s’éteint lentement. Avec une lunette à
infrarouge, on doit réellement apercevoir l’extinction, car le
corps refroidit lentement ce qui produit une baisse du rayonnement
produit par la perte de chaleur. S’éteindre est un terme correct.)
Je
suppose qu’on doit pouvoir se suicider lentement, de la même façon
qu’on peut empoisonner une personne à petite dose, sans qu’elle
s’aperçoive qu’on en veut à sa vie ; ainsi on peut sourire
à la personne que l’on empoisonne et lui souhaiter une bonne
journée.
C’est
exactement ça la vie. Vos parents vous empoisonnent à petit feu et
préparent votre mort dès la conception. Certains
prétendent vous aimer et sans doute y croient-ils, mais ils vous
préparent à mourir. Vous êtes sur la ligne de départ et déjà se
profile la ligne d’arrivée. Pourtant vous ne vous êtes pas laissé
mourir.
Pour
nous habituer à mourir, nos parents ont, en général, la
délicatesse de nous montrer comment ça se passe en mourant avant
nous. La vie est vraiment bien faite…
Tiens !
Vous devez connaitre le roman de SF « Des fleurs pour
Algernon » de Daniel Keyes (un film en a été tiré). Un
gentil
demeuré, Algernon, va servir de cobaye à des scientifiques, qui lui
administrent un traitement pour le rendre intelligent. Le miracle se
produit, Algernon devient extrêmement intelligent, et même beaucoup
plus
que ceux qui l’entourent, un véritable génie. Malheureusement,
l’effet n’est que provisoire, et Algernon va retourner
progressivement à son état premier. Pendant
qu’il en est capable, il
va observer
sa
déchéance, car
elle est
lente, et
la redouter.
Est-ce
que ça valait le coup ? Lui-même, en tant que demeuré,
n’était pas à même de comprendre les risques, mais les
scientifiques… mais
les parents…
La
Vie, c’est la même chose. Le traitement
qui rend intelligent se nomme « Instruction et Connaissances ».
Nous naissons idiots, et nous finissons séniles ‒
sauf de terminer abruptement. Nos
parents, comme les scientifiques d’Algernon, le savent
parfaitement. Ils prennent des risques sur notre dos. Ils veulent
expérimenter la maternité et la paternité et aussi la vie de
famille et surtout, ils font comme tout le monde, ça rassure d’être
comme tout le monde. Mais l’expérience valait-elle le coup ?
Était-ce vraiment une expérience pour nous, puisqu’en tant que
mort nous n’aurons aucun avis sur elle ? Nous ne sommes tous
que des cobayes pour un univers qui se fout royalement de notre
existence éphémère, alors que lui est permanent.

Qu’est-ce
que ça peut me
faire,
si
l’univers est déterministe,
de
changer mon comportement et
tenter de changer celui des autres
pour tenter d’améliorer le monde ? Puisqu’il
est déterministe, alors notre comportement est déterministe
également, je ne peux donc rien y faire.
C’est
parfaitement clair. Vous avez tout à fait raison. Vous ne changerez
pas votre comportement. Si vous avez une mentalité laxiste,
égocentrique,
j’m’en-foutiste,
vous le resterez. Si vous avez un caractère actif, empathique, vous
le resterez également. Quel que soit notre caractère, il variera au
rythme des expériences de notre vie plus ou moins rapidement.
Et nous finirons par nous dire :
« Qu’est-ce
que ça peut me
faire,
ce qui va se passer après moi,
puisque
je serais mort ? »
Mais
nous
serons
mort dans combien de temps, dans quelques jours, pendant l’hiver
qui vient, dans l’année, dans les quelques années qui viennent ?
Mais combien d’années ? Est-ce que nous
allons
continuer de préparer nos
vacances de l’année prochaine ? Est-ce que nous
allons
nous
occuper de nos
rosiers pour l’année suivante, et semer des graines, puisqu’il
se peut que nous
ne les voyions
jamais fleurir ? Et cette série télévisée qui n’en finit
pas, à quoi sert de la regarder puisque nous
n’en verrons
pas l’épilogue ?
L’univers
étant déterministe, notre mort peut surgir à tout instant, les
causes possibles sont très nombreuses et variées, mais
nous continuons parce qu’il est plus facile de continuer sur la
lancée (par nos parents) que de faire l’acte de cesser d’exister
plus ou moins brutalement. Et puis la suite peut être marrante, et
puis la suite peut être surprenante, et puis par
la
suite que peut-être finalement tout ça va s’améliorer et que je
m’éteindrais sans regretter ni la vie ni l’extinction !
Alors,
votre mentalité déterministe va-t-elle être modifiée par les
quelques connaissances qui viennent de peupler votre cerveau ?
Elle sera toujours déterministe, mais sera-t-elle toujours laxiste
et égocentrique ?
Petites
Notes
parmi
d’autres, pour rire
Vous
pouvez porter plainte de devoir mourir, comme vous pouvez porter
plainte d’être handicapé par l’âge, de
subir la vieillesse.
Avez-vous demandé à exister, et à exister pour ça, pour cette
absurdité finale ? Pourquoi
devriez-vous accepter sans vous plaindre cette normalité animale,
n’êtes-vous pas humain ?
Je
porte plainte pour préjudice
d’anxiété permanente
par crainte de la
Mort et
pire encore de l’Enfer.
Je
porte plainte parce qu’on m’a réincarné dans un corps que je ne
mérite pas, le juge s’est trompé ; je fais appel.
La
mort est un traumatisme grandissant dans la tête du vivant au fur et
à mesure qu’il s’approche d’un seuil qu’il sait inexorable.
S’il
n’y a pas plus de terroristes ayant un âge avancé, c’est parce
qu’ils sont grabataires, mais ce n’est pas l’envie qui doit
leur manquer.
Ce
n’est pas tant la mort qui est un problème, c’est d’abord le
fait qu’on n’ait pas le choix de mourir on non et de ce moment
particulier où l’on ne peut plus décider de s’endormir, car on
sait qu’on va se réveiller, et ensuite c’est la fin de vie que
l’on doit subir en général comme un handicap de tous les éléments
corporels qui s’accentue jusqu’à la fin.
Comment
mourir sans être dépressif ? Si vous craignez de mourir
peut-être est-ce parce que vous craignez la mort, c’est-à-dire ce
que votre corps devient une fois mort. Eh bien, sachez, si vous ne le
savez déjà, qu’il se décompose comme n’importe quel matériau.
S’il y avait autre chose après la mort cela ne devrait vous
procurer aucune frayeur puisque cela constituerait une sorte de
métamorphose qui vous ferait passer de la chrysalide humaine au
papillon éthéré ! Quant à l’acte de mourir, qui est le
passage du vivant plus ou moins autonome au cadavre inerte, cela
peut-être angoissant et douloureux, et même excessivement
douloureux puisque personne n’a jamais demandé à tester le
phénomène ; quoique
la torture en tant qu’expérience sur autrui comment peut-elle
réellement renseigner les bourreaux ?
La meilleure façon de ne pas être dépressif est d’aborder
franchement le problème.
Mourir
est un sommeil définitif. Il n’y a plus de reprise de conscience.
Le réveil matin est éteint à tout jamais.
Je
n’aurais aucun problème avec l’immortalité (restreinte) dans de
bonnes conditions d’existence et si j’avais le choix de m’arrêter
provisoirement ou définitivement. La condition de mémoire est aussi
très importante, car il faudrait pouvoir mémoriser indéfiniment,
pouvoir effacer ou trier ce que l’on a enregistré, etc. Ce qu’une
IA pourrait faire. Mais il n’en reste pas moins qu’il ne nous
sert à rien d’exister avant d’avoir été fabriqués (même en
cas d’immortalité restreinte) et que, en suite, il faut subir
l’existence et avec le corps qu’on nous a refilé ainsi que
l’environnement et l’univers. La personne fabriquée est toujours
fabriquée pour servir les existants.
La
mort n’est que la fin de la pérennité du
soi,
ou
plutôt
la
fin de la
continuité d’un être de mémoire. C’est la pérennité de la
mémoire qui fait l’individu.
Ceux
qui s’opposent à l’assistance à mourir refusent surtout qu’on
reconnaisse que certaines réalités de la vie sont insupportables.
Admettre la dignité du choix de mourir, ce serait aussi ouvrir la
porte à la remise en cause d’autres situations : la
souffrance chronique, les handicaps extrêmes, ou ces existences
marquées dès la naissance par une absence irréversible de
conscience. Dans ces cas-là, personne ne peut jamais dire que la
personne « choisit » de continuer ou non ; mais nier
la question, c’est se réfugier derrière une hypocrisie. Les
opposants — religieux, conservateurs ou capitalistes —
s’accommodent très bien de cette hypocrisie, parce qu’elle sert
leurs intérêts. Ils transforment la souffrance en ressource :
ressource morale, pour les uns, qui y voient un sacrifice sacralisé ;
ressource économique, pour d’autres, qui tirent parti du statu
quo. On pourrait leur retourner leur logique : au lieu d’une
assistance active à mourir, mettons les patients incurables dans un
coma artificiel définitif. La personne n’est pas « tuée » :
elle existe encore, elle respire, son corps est chaud, on peut même
lui ouvrir les yeux si l’on veut. Mais elle ne souffre plus. Cette
solution, pourtant, ne leur convient pas non plus, car elle coute
très cher à la société. Voilà le nœud du problème :
derrière les grands discours moraux, c’est toujours l’économie
qui tranche. La
souffrance et la mort sont des objets commerciaux du monde
capitaliste. Quant
aux discours sur l’âme, le paradis ou l’éternité, ils n’ont
qu’une fonction : faire croire que la coutume et la tradition
valent plus que le désir des vivants. C’est une façon d’imposer
aux individus le poids d’un héritage idéologique, au lieu de leur
reconnaitre le droit élémentaire de disposer d’eux-mêmes.
En
France, le dernier guillotiné l’a été en 1977 (Monsieur
Hamida
Djandoubi est
exécuté après avoir été condamné par la cour d’assises des
Bouches-du-Rhône le 25 février).
J’avais
29 ans. J’étais
donc adulte. Et
en tant qu’associé (contraint), j’ai été le bourreau de cet
homme fabriqué et éduqué par la société (puisque
nous sommes associés à nos représentants législateurs et juges).
Madame
Djandoubi, la maman de Hamida, l’a également guillotiné.
Aujourd’hui,
quand un gouvernement tue par l’intermédiaire de ses flics et
militaires, ou
de tueurs auxiliaires, nous
sommes tous associés, donc tous complices. La
démocratie rend le peuple coupable des exactions de ses
représentants. C’est
un avantage de la dictature, le dictateur est le seul responsable,
tandis
que le peuple asservi s’en lave les mains…
Est-ce
qu’on est vraiment mort, quand on n’a pas eu conscience de
mourir, ou
même conscient dans la mort ?
Le mort ne peut pas le prouver, quant aux vivants, eh bien, ils
inventent la croyance en l’éternité de l’âme sans preuve
également. D’ailleurs, qui peut prouver que l’éternité
existe ?
La
vie qui nous est imposée est tellement absurde qu’il est étonnant
que pas plus d’êtres intelligents ne meurent de rire en le
comprenant, mais
à vrai dire je n’en sais rien, aucune statistique n’a été
faite sur le sujet.
Pour l’instant, je me retiens de
mourir de rire, car je veux pouvoir encore rire du
commun des mortels.
Nous
sommes aresponsables
comme l’univers mécanique déterministe, et innocents
d’exister en permanence
dans le monde où la responsabilité a été imaginée.
Fin
‒
E. Berlherm
[L’obligation
d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui
est vrai pour les loups comme pour les moutons.]