lundi 23 juin 2025

Le Mythe de l’Émergence Forte

 

Le Mythe de l’Émergence Forte

« Des Fourmis et des Hommes »

Sous-titre : Des fourmis au libre arbitre : où s’arrête la mécanique ?


(La vérité est un bien public, donc un service public.)

L’émergence est un mot souvent employé pour expliquer comment des phénomènes nouveaux apparaissent dans la nature ou la société : une colonie de fourmis organise un pont, l’eau devient fluide, un cerveau génère une pensée. Mais cette idée cache deux réalités très différentes.

L’émergence faible est une expression scientifique. Elle désigne des propriétés inattendues, mais entièrement explicables par l’agencement de leurs parties : elle est rationnelle, mesurable, scientifique.

L’émergence forte, en revanche, affirme que des propriétés apparaissent sans lien explicable avec les éléments qui les produisent. C’est le domaine des croyances, des miracles, de la fiction — et souvent des discours officiels sur le libre arbitre, la conscience, ou la responsabilité. On parle d’émergence forte lorsqu’on prétend qu’un phénomène totalement nouveau, irréductible à ses constituants, apparait à partir d’un système complexe. C’est une rupture explicative : ce qui émerge serait doté de propriétés non dérivables, non décomposables, non explicables par la mécanique sous-jacente. Lémergence forte est une notion imaginaire, magique, utilisée quotidiennement par la plupart des membres de l’espèce humaine, par les mythomanes qui s’illusionnent sur le potentiel humain, et le résultat de cette mythomanie permet aux écrivains de romans fantastiques de produire leurs œuvres (Superman, Harry Potter, etc.), mais elle est également utilisée de façon inacceptable par le législateur, les juges et les juristes, ainsi que les gouvernants, c’est-à-dire tous ceux qui détiennent le pouvoir.

L’émergence est un concept complexe, souvent utilisé dans la philosophie de l’esprit et des sciences. Elle désigne la manière dont des phénomènes ou des propriétés émergent de systèmes complexes. Deux grandes familles existent : l’émergence faible, où les propriétés émergent d’interactions simples, et l’émergence forte, qui implique des propriétés imaginaires véritablement nouvelles.

Que signifie « émergence » ? Dans les sciences et en philosophie, on parle d’émergence lorsqu’un système composé de nombreuses parties montre, à un niveau d’organisation plus élevé, des propriétés ou des comportements qui :

  • Ne se rencontrent pas (ou pas sous la même forme) dans les parties prises isolément.

  • Dépendent pourtant entièrement de l’état et des interactions de ces parties.

  • Font souvent l’objet de règles ou de lois descriptives propres (par ex. la thermodynamique pour la température, alors que les lois microscopiques concernent les molécules).

(La mécanique humaine se situe entre le quantique et le cosmique, mais c’est de la mécanique de même nature, à la fois issue de la mécanique quantique et intégrée à la mécanique cosmique.)

Exemples d’émergence faible :

  1. La température d’un gaz n’existe pas pour une seule molécule ; elle est définie sur d’énormes ensembles de molécules et se décrit avec d’autres équations que celles de la mécanique newtonienne. La température est une grandeur statistique : elle n’a de sens que sur un ensemble. Ce n’est pas une propriété d’une particule isolée, mais une mesure macroscopique issue de l’agitation de toutes.

  2. La ductilité de l’or n’est pas une propriété d’un atome isolé, mais résulte de l’organisation des atomes dans le réseau métallique. L’atome d’or seul n’est pas ductile : il faut la structure collective pour qu’apparaisse cette propriété. (Si l’or est un métal ductile, alors un atome d’or n’est pas de l’or.)

  3. Une molécule d’eau n’est pas fluide ; la fluidité émerge du comportement collectif de millions de molécules en interaction par liaisons faibles. (Si l’eau est un liquide, alors une molécule d’eau n’est pas de l’eau.)

  4. Un ensemble de fourmis peut s’assembler pour former un pont et permettre aux autres fourmis de franchir aisément un cours d’eau. L’assemblage de fourmis peut produire une structure fonctionnelle (le pont), sans qu’aucune fourmi ne possède la représentation du tout. (La fourmi seule n’est pas un pont.)

  5. Une cellule se réplique par division. Un organisme multicellulaire se reproduit, c’est-à-dire engendre un autre individu complet via un processus global complexe. Le myxomycète, à mi-chemin entre colonie et organisme unique, illustre la frontière floue entre ces deux modes. (Question annexe : est-ce qu’un myxomycète se réplique ou se reproduit ?)

  6. L’atome, la molécule, la vie, l’être humain sont des émergences faibles. Les propriétés d’un organisme vivant n’existent pas dans ses constituants isolés. Pourtant, elles résultent intégralement de leur agencement et des lois physiques. C’est une émergence faible : surprenante, mais toujours mécaniste.

  7. Un être humain seul n’invente pas l’aviation ou Internet, il en est incapable. Ces créations sont issues d’une dynamique collective et cumulative. Ce que produit l’humanité ne peut être réduit à un individu, bien que chaque individu soit un maillon de la chaine. (Un être humain seul n’est pas l’humanité.)

  8. Vous prenez un pylône électrique, quelques moteurs, quelques poulies, éventuellement des rails et des roues, vous les assemblez (après quelques subtiles modifications), et vous obtenez une grue. Idem pour un vélo, une voiture, une machine à laver, un robot-IA, etc. C’est l’agencement spécifique — et souvent complexe — qui fait émerger une fonction : grue, vélo, robot. Il s’agit toujours de mécanique, mais organisée.

Exemples d’émergence forte :

  1. La télépathie, la télékinésie, la magie, la voyance sont de purs fantasmes dont il est plus facile de démontrer leur fausseté et surtout de la faire accepter, que conscience, libre arbitre, et responsabilité auxquelles les humains sont très attachés.

  2. Le temps (quand il est défini de façon erronée), le voyage dans le temps, etc. Le temps n’est qu’une illusion produite par la mémoire : il ne s’agit pas d’une émergence — ni faible ni forte — mais d’une représentation fonctionnelle dont les scientifiques se servent pour simplifier leurs calculs. Ce que nous appelons « le temps qui passe » est en réalité l’effet du renouvèlement incessant du présent quantique, à une fréquence que nul ne perçoit. Faire voyager un objet dans le temps supposerait de restaurer une configuration passée de l’univers — un ancien présent quantique — tout en y injectant la totalité de l’objet tel qu’il existe dans le présent actuel. Cela impliquerait aussi de le soustraire de notre présent pour éviter une duplication. Mais cette opération est d’autant plus problématique si l’objet est complexe, car il reste en interaction permanente avec son environnement. Comment insérer un objet dans un univers qui s’auto-régule à chaque instant, sans perturber sa mécanique présente ? Cela reviendrait à faire coexister deux présents en perpétuelle reconstruction, ce qui logiquement ouvre la voie à une infinité de présents simultanés — autrement dit, à un univers composé d’une infinité de présents quantiques, tous incompatibles entre eux par leur dynamique propre — (Rasoir d’Ockham, où es-tu passé ?).

  3. La conscience telle qu’elle est vulgarisée ou fantasmée (comme une sorte d’observateur interne, libre, lumineux, juge ou pilote), est une autre forme d’émergence forte injustifiée. En réalité, la conscience est un processus d’intégration, une focalisation transitoire sur un objet mental, produit par l’activité neuronale. Elle n’est pas séparée du mécanisme, elle en est une manifestation. La croire autonome, transcendante ou décisionnelle revient à inventer une âme sans le mot. La conscience n’est pas un petit nuage : elle n’est ni une substance flottante ni un pouvoir magique. C’est un processus mental fonctionnel, linéaire et localisé. La conscience morale, par exemple, n’est rien d’autre que la prise de conscience de ce qui nous semble moral. Elle dépend donc des objets mentaux auxquels le soi se relie et qu’il juge importants sur le plan éthique — comme le suggèrent les Droits de l’Homme, qui parlent en réalité d’une conviction personnelle sur ce qui est moral ou éthique de faire. Une bonne manière de décrire la conscience passe par sa structure linguistique implicite. Elle s’exprime toujours sous forme d’une phrase ternaire : sujet — verbe – complément. « Je suis conscient de quelque chose » est la forme canonique. Cela signifie que le soi (l’objet mental « je », lui-même complexe et instable en construction permanente) entre en relation avec un autre objet mental. La conscience est linéaire : elle saute d’un objet à un autre, supplantant sans cesse l’objet précédent. C’est ce mécanisme dynamique de déplacement qui donne à la mémoire son rôle moteur dans la conscience. La « conscientisation » est ce lien temporaire entre le soi en tant qu’objet mental central, et un autre objet mental — lequel peut être externe (une image, une idée) ou interne (une douleur, une émotion). L’inconscience n’est pas simplement l’absence de conscience ; elle est mieux décrite par une autre phrase ternaire : « je suis inconscient de moi-même et de mon environnement ». Enfin, perception et sensation ne suffisent pas à produire la conscience : nous sommes conscients de ce que nous percevons, mais la perception elle-même reste un processus en amont de la conscience.

  4. Le libre arbitre est un exemple classique d’émergence forte imaginaire : il suppose qu’une fonction issue d’un assemblage mécanique pourrait soudain s’affranchir de ce qui la produit. Cette rupture logique n’est étayée par aucun fait. Aucun mécanisme ne peut se libérer de ses conditions, pas plus qu’un engrenage ne décide de tourner dans l’autre sens. Le libre arbitre, tel qu’il est communément imaginé, est une contradiction déguisée en croyance. Un système mécanique peut être qualifié de « libre » en termes de degrés de liberté, mais il ne peut en aucun cas disposer d’un libre arbitre. Une fonction ne peut ni se libérer d’elle-même ni libérer ce qu’elle gouverne, car elle reste soumise à son propre déterminisme structurel.

  5. La responsabilité : Un engrenage peut se dérégler, mais jamais se rendre coupable. Dans un univers entièrement mécanique, la notion de responsabilité est sans fondement. Ce qui est produit par un mécanisme ne peut s’extraire de sa nature. L’univers est aresponsable, et tout ce qu’il engendre — y compris les humains — l’est également. La mécanique ne fabrique pas la culpabilité ni le mérite.

Aucun niveau de complexité ne justifie une cassure du déterminisme. L’idée d’un « saut » vers une liberté ou une subjectivité absolue est un héritage religieux, non scientifique. Il n’y a pas de miracle de la complexité. La mécanique ne change pas de nature en devenant plus fine.

Mais pourquoi ont-ils inventé lexpression « émergence forte » alors qu’elle n’a rien à voir avec l’émergence des scientifiques ? Réponse : parce que près de 90 % des humains sont croyants, qu’il faut les diriger dans des directions que quelques mégalomanes choisissent pour le troupeau, et qu’il faut bien inventer des salades pour les faire aller à l’abattoir. Débarrassez-vous de vos chefs ; ce sont tous des tueurs dénués de vergogne, sans exception !

Fin — E. Berlherm

[L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, pour les moutons comme pour les loups.]

dimanche 15 juin 2025

Non-Existence — Contre-Arguments

 

Non-Existence — Contre-Arguments

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

Notre animalité subsiste de façon considérable dans la territorialité et la hiérarchie. Débarrassez l’humanité de ces deux sparadraps qui lui servent de vêtements et tout marchera fantastiquement bien. La planète deviendra un paradis, non pas parce qu’ils auront disparu, mais parce que pour vous en débarrasser vous aurez changé la mentalité des humains, donc vous aurez modifié son parcours.

Pour juger de la qualité de son existence, il faut l’avoir vécue entièrement, c’est-à-dire être mort donc inexistant, et c’est impossible. Personne ne peut juger de son existence sauf de sa propre existence passée, ce qui n’est pas l’existence dans son entier. Il n’y a donc aucun existant (ou inexistant) qui peut affirmer que l’existence vaut la peine. L’existence que l’on juge est toujours passée, basée sur la mémoire que l’on en a, et quand il s’agit de l’existence entière on ne peut la juger soi-même.

La question de la procréation est une comparaison entre 2) l’éthique « d’imposer l’existence » et 1) l’utilité « de fabriquer une existence » pour soi, pour la société, pour l’espèce, ou pour d’autres raisons. Et, sil y a une utilité, le poids de l’utilité est-il supérieur à l’éthique ? Peut-on outrepasser l’éthique pour des besoins qui n’existeraient pas si l’humanité n’existait pas ou plus ? Sachant que de toute façon ni l’individu, ni la société, ni l’espèce ne sont pérennes.

Les antinatalistes doivent convaincre les croyants et le capitalisme national, sinon leur philosophie n’aura jamais aucun effet ; convaincre, c’est-à-dire soigner et éradiquer.

La discussion sur la non-existence et l’asymétrie de David Benatar n’a pas vraiment lieu d’être puisque sa question est posée aux existants à qui il demande d’être éthique ; ce n’est pas un débat démocratique puisque les non-existants ne sont pas présents pour défendre la qualité de l’inexistence, et proposer une comparaison. On ne fait pas devenir un non-existant en existant par une opération magique ; les ingrédients existent sur la planète et la personne peut être fabriquée. C’est une fabrication.

Est-il éthique d’utiliser le pouvoir de procréation possédé par les existants pour « fabriquer » des personnes dans le but de les intégrer à la vie familiale et sociale, pour les besoins des existants alors que les existants ne veulent pas être eux-mêmes des serviteurs (des esclaves) et ne veulent pas subir de chantage (faim, soif, froid, logement…), et autres avanies de l’existence, pas plus qu’ils ne veulent mourir dans un corps déliquescent, sauf d’admettre que « la vie vaut la peine d’être terminée ». Et dans ce cas vaut-elle la peine d’avoir été vécue ?

Lors d’une discussion avec un opposant à nos idées, il est facile de se laisser embarquer dans la rhétorique. Quasiment tout le monde se laisse avoir. Il faut être un habile politicien pour être capable de faire revenir la discussion sur le sujet important. Notre antagoniste va s’y opposer de toutes ses forces, lui-même sait le danger pour les idées dont il fait la promotion. Ce problème n’est pas que verbal, il se produit également dans les écrits. Les philosophes aiment bien discuter de tout. Ils discutent tellement qu’on s’y perd. Qui va s’amuser à organiser l’importance des sujets qu’ils abordent, quand eux-mêmes ne les ont même pas classés ? Et dans la société, les sujets qui vous atteignent un jour ou l’autre ont-ils été classés par ordre d’importance ? Votre cerveau qui fonctionne tout seul et qui ressemble à une sphère, a-t-il classé les sujets par ordre d’importance ?

Un des problèmes (très secondaire, ne l’oubliez pas !) qui a été posé aux antiprocréationistes ou aux antinatalistes est celui de la non-existence (antinatalisme est un terme moins précis qu’antiprocréationisme, mais il vaudrait encore mieux parler d’antisouffrance puisque c’est en passant par cette idée que le rationaliste abouti à celle qu’il est inutile de fabriquer de la souffrance, donc qu’il ne faut pas procréer).

Un Humain Humaniste Honnête ne devrait-il pas se dire : « Procréer, c’est fabriquer la souffrance et la mort, et c’est inutile, donc pourquoi le faire ? »

On nous dit : « puisqu’on ne peut poser la question au non-existant sur l’intérêt de la vie, alors ce n’est pas du ressort de cette personne imaginaire. » En quelque sorte : attendons de l’avoir fabriqué, qu’il soit bien vivant, et capable de discuter pour lui demander son avis. Évidemment le problème posé ainsi est insoluble. Une fois que la personne est vivante, il est inutile et absurde de lui poser la question de son accord à exister ; elle a été mise devant le fait accompli, et quand elle sera capable d’en discuter elle aura été bien formatée par ses parents et la société, ainsi que par ses propres mécanismes ou « instincts » animaux. D’ailleurs, c’est le cas, nous sommes un de ceux-là.

L’antiprocréation est une lutte contre sa propre animalité.

Et notre opinion antisouffrance-antiprocréation, faible pourcentage de l’humanité, je pense qu’ils s’en moquent totalement ; alors qu’elle est prioritaire ! La démocratie donne la priorité à l’opinion majoritaire qui est, en ce qui concerne la procréation, « je procrée comme je veux, car j’en ai le potentiel naturellement, c’est-à-dire le pouvoir. », même si cette opinion majoritaire va à l’encontre des droits humains qui interdisent l’esclavage, le chantage, la torture, la condamnation à mort, etc.

Je veux démontrer que l’humain seul ou en société est toujours en préparation de sa propre non-existence ainsi que de celles des autres, c’est-à-dire qu’il pense à l’être qu’il deviendra et ses rapports avec le devenir des autres. Or s’occuper de la non-existence des personnes qui peuplent la planète au présent et celle d’une personne que l’on désire fabriquer requiert une certaine dose d’empathie et d’éthique. Se mettre à la place de l’enfant que l’on désire fabriquer ne devrait pas représenter un gros effort d’imagination. On parle de la fabrication d’une vie, action que certains d’entre vous qualifient de divine.

Il ne s’agit donc rien de moins que d’éthique et d’empathie, quand on parle de procréation, simplement d’éthique et d’empathie humaine. Vade retro « animal » qui est en nous !

« On ne fait pas de tort à quelqu’un de non-existant, donc on peut le fabriquer comme on veut (débile, souffreteux, mortel), car notre liberté et notre corps nous appartiennent, ovules et spermatozoïdes y compris, ainsi que leur libre utilisation. » Ceci est le propos d’une personne qui soit ne réfléchit pas, soit n’a aucune éthique ni aucune empathie. Ne pas s’intéresser à cet être invisible, car inexistant, c’est comme ne pas s’intéresser à ces personnes au-delà de nos yeux. Je ne ressens pas leurs souffrances, je ne peux que l’imaginer. Si vous êtes capable d’imagination, mettez-vous donc à la place de l’être que vous désirez fabriquer sans son accord préalable, et qui va peut-être par votre méga-faute souffrir toute sa vie, même si vous « espérez » le contraire.

Les adversaires de l’antiprocréation ou de l’antinatalisme disent que puisqu’on ne peut demander son avis à une personne qui n’a pas encore été fabriquée (un non-existant), on ne peut savoir, si malgré les difficultés de la vie, la souffrance, le malêtre, la mort, l’empathie pour la souffrance des autres, la personne une fois existante appréciera ou pas d’avoir été fabriquée (j’utilise le terme « fabriqué », car il représente la réalité matérielle, contrairement à « naissance » ou « mis au monde », etc., qui font abstraction des intentions et du travail des procréateurs). Évidemment si vous n’avez pas d’empathie pour les milliards d’existants qui souffrent pourquoi auriez-vous de l’empathie pour cet être que vous désirez fabriquer pour votre service personnel ? Qu’est-ce qu’un esclave de plus quand il en existe des milliards ?

Une remarque sur l’empathie : elle ne s’applique pas qu’à la personne qui est devant soi, mais également aux autres quelque soit leur nombre, au-delà de notre présence, géographiquement n’importe où sur la planète, et temporellement c’est-à-dire hier comme demain, voire dans mille ans. Quand vous aviez vingt ans, étiez-vous empathique avec le vieillard que vous alliez devenir, cet être pourtant non-existant ? Cela vaut mieux pour préparer sa retraite.

(Question annexe : quand vous décédez avant de prendre votre retraite que deviennent les impôts et taxes payés pour cette retraite que vous n’atteindrez jamais ?)

Nous étions tous non-existants avant qu’on nous fabrique. Nous sommes tous non-existants hier et demain. Nous sommes tous non-existants infiniment plus longtemps qu’existants, cette existence valant zéro relativement comparé à la permanence de l’univers en reconfiguration constante.

Le non-existant n’étant pas un sujet, alors votre futur « vous » n’est pas un sujet même si vous vous souciez de votre futur ! Pourtant vous vous souciez de votre futur immédiat ou plus ou moins lointain, et c’est même une priorité, individuelle, sociale, nationale, humaine.

Nous existons au présent (présent quantique), mais nous n’existons pas demain ; demain nous sommes tous non-existants. De même, dans la seconde qui suit nous sommes tous non-existants. Dois-je continuer à ne pas me préoccuper de la non-existence des êtres, humains en particulier, de mon propre avenir ? Dois-je ne pas me soucier de la vôtre ? Ne dites-vous pas qu’on ne doit pas se préoccuper de la non-pensée d’un non-existant ? Mais vous préparez aujourd’hui l’existence de l’être que vous serez demain. Quelle différence avec cet autre qui sera votre enfant et dont vous allez farcir le cerveau de vos idées ? Ne parle-t-on pas de « reproduction », alors que chacun voit bien que l’enfant n’est pas une « reproduction » de la mère et du père à la fois ? Qu’en fait, il s’agit juste de poursuivre l’habitude de la vie animale qui est d’engendrer sans aucune compréhension ni discernement, ni empathie, ni éthique !

(La compréhension et le discernement sont les deux fonctionnalités supposées de l’être humain qui le rendent responsable devant la justice humaine, selon la norme actuelle. Responsabilité, compréhension et discernement fabriqués par la société et jugés par la société selon les lois sociales. Ils ne sont pas fous ces Romains !)

Nous sommes tous inexistants dans le futur proche ou lointain, pourtant nous y pensons constamment. La mémoire ne sert qu’à ça, utiliser les expériences passées pour préparer le futur, à commencer par le geste suivant. La simple marche (prévoir où l’on va poser son pied), ou l’expression de ses pensées (dire la phrase linéairement) fonctionnent ainsi.

La « prévision » est un boulot des gouvernements, c’est-à-dire la prévision d’évènements concernant les humains pas encore existants ; nous-mêmes si nous existons jusque là, ainsi que les nouvelles personnes. Ils vont même, pour certains, s’occuper du devenir de leur Nation dans 1000 ans et plus.

Premier point déjà, l’ovule et le spermatozoïde existent, préexistent, sont les précurseurs de la personne. Donc on pourrait essayer de se baser là-dessus pour parler de demi-existence, mais pas de non-existence, puisqu’il y a une continuité. Les précurseurs de la personne existent, alimentation y comprise. On ne peut toujours pas interroger la personne disloquée. Mais peut-on interroger le bébé qui vient de naitre, lui est un être existant ? Et à quel moment peut-on commencer à l’interroger ? Quand il sait parler, quand il sait penser, quand il sait analyser, quand il utilise son cerveau rationnellement… quand il a suffisamment d’expériences sur la vie ; mais qui juge ? Qu’y a-t-il dans le cerveau des enfants et des adultes qui ne proviendrait pas de la société et du lieu dans lequel la société a installé ces personnes (sans les consulter) ; je parle du lieu de naissance, de la région, de la nation, de la planète, de l’univers.

Le bébé existe, c’est un existant qui a une pensée philosophique inexistante. Dans le ventre maternel, il n’a aucune existence légale en tant que personne (même si sa génitrice n’a plus le droit de décider de son propre corps après une certaine avancée dans la fabrication du futur être social). La mère n’a pas le droit d’avorter, mais elle peut fumer et se souler à mort et enfanter un avorton sans aucune loi qui la contraigne à construire son rejeton avec des aliments sains afin de mettre toutes les chances de l’enfant du bon côté. (Elle peut aussi se droguer même si c’est souvent interdit légalement, mais pas légitimement puisque la drogue fait partie de la nature donc mise à notre disposition. La preuve est que notre cerveau y est sensible. Qui nous a fabriqué ainsi ?)

Et vous tous les mâles humains de cette planète avez-vous pensé à cette personne existante féminine qui va prendre le risque de fabriquer un enfant ? Car les risques sont loin d’être nul, entre décès et pathologies nombreuses et variées, graves ou moins. Ne devriez-vous pas demander à cette moitié chérie de votre couple d’éviter de prendre des risques ? Si vous n’avez aucune éthique avec vos femmes parfaitement existantes, comment pourriez-vous en avoir avec vos enfants désirés pas encore existants ?

Plus tard vous fabriquez un enfant, moins longtemps vous l’accompagnerez dans sa vie, si l’on suppose une égale longévité. Si vous le faites à 30 ans, vous ne le verrez pas pendant ses 30 dernières années d’existence ; n’est-ce pas beaucoup ? Ces 30 dernières années de la vie de votre enfant ne démontrent-elles pas que ce n’est pas pour l’enfant que vous l’avez fabriqué, mais uniquement pour vous, en être égoïste ? Pourquoi n’avez-vous pas fait cet enfant (forcément un autre) à 20 ans voire à 15 ans ? Vous l’auriez ainsi côtoyé plus longtemps.

Mettez-vous à la place de la reine des abeilles. C’est la reine « Présidence de la République » (France). Elle enfante 800 000 petits chaque année, et systématiquement elle en condamne 100 000 (certainement bien plus) aux handicaps immédiats et à leurs morts futures, donc à la souffrance physique et morale. Et pendant le même temps, près de 800 000 de ses enfants meurent pour équilibrer les comptes sociaux (en général ils ne meurent pas joyeusement, mais dans la souffrance et la peur). Tout compte fait, pour 700 000 nouveaux entrants normaux (à peu près) dans la société, il y a 900 000 Français qui souffrent, et c’est toujours aussi systématique, rien d’aléatoire là-dedans (ai-je bien fait mes calculs ?). Je n’envisage même pas tous les autres êtres souffrants par ADN défectueux ou qui ont raté une marche en avançant dans leur vie ; combien à vue de nez ? Une bonne grosse moitié (avec 10 millions en dessous du seuil de pauvreté je dois être sous le compte).

Conclusion : l’éthique oubliée

Le débat sur la non-existence est souvent évacué d’un revers de main par les défenseurs de la procréation. Ils affirment qu’il est absurde de se soucier de ceux qui ne sont pas là, que la non-existence ne pose aucun problème éthique, puisque l’être non fabriqué n’est pas un sujet. Mais cette position repose sur une grave confusion : l’absence de parole ne signifie pas l’absence de droit à considération.

Chaque être humain a été non-existant, et le sera à nouveau. L’essentiel de notre durée, à l’échelle de l’univers, est non-existence. L’existence est un éclair bref dans l’infini du temps, une bulle fragile entourée de néant. Faut-il, pour autant, cesser de penser à notre futur ? Notre propre avenir immédiat n’est rien d’autre que notre non-existence temporaire à venir, et pourtant, toute notre mémoire, notre logique, nos institutions sont orientées vers lui. L’anticipation du non-encore-existant guide nos décisions, y compris en politique, en urbanisme, en éducation, en écologie. Alors pourquoi cette hypocrisie morale, dès qu’il s’agit de la fabrication d’un être humain ?

Penser la non-existence, ce n’est pas donner la parole à un fantôme. C’est interroger la légitimité de rendre pensable une souffrance future. C’est refuser de prendre le silence pour un consentement. L’enfant qu’on désire fabriquer ne peut pas dire non. Et c’est précisément cette absence de refus qui rend la fabrication si injustifiable. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de protestation qu’il n’y a pas d’injustice.

L’éthique ne commence pas au moment de l’apparition du langage, ni même de la conscience : elle commence dans la capacité à se mettre à la place de l’autre, y compris de celui qui n’existe pas encore. Les êtres rationnels devraient pouvoir imaginer la condition d’un être jeté dans le monde sans avoir été consulté, condamné à survivre, souffrir, mourir, dans un corps qu’il n’a pas choisi, dans une société qui l’a formaté, avec des gènes distribués au hasard.

Or les raisons réelles de la procréation sont rarement tournées vers l’intérêt de l’enfant. Elles relèvent de l’égoïsme, du désir personnel, de la pression sociale, ou de la dynamique animale de reproduction. C’est pourquoi il faut rappeler cette vérité : fabriquer une personne, c’est prendre la responsabilité de tout ce qu’elle subira, sans son accord, et souvent en toute inconscience.

Si l’on juge absurde de s’inquiéter de l’avis d’un non-existant, alors pourquoi s’inquiéter de l’avis du futur soi, du futur citoyen, du futur climat, du futur vieillissement de sa propre descendance ? Pourquoi s’inquiéter de demain ? Et pourquoi éduquer un enfant à se soucier de son propre avenir, si l’avenir d’autrui nous est indifférent ?

La non-existence mérite une place dans notre réflexion éthique. Non pour sacraliser le néant, mais pour délégitimer la fabrication irréfléchie. Pour obliger chaque société à justifier moralement l’acte de faire apparaitre un être souffrant là où il n’y avait rien. Pour rappeler que le véritable respect de la vie, c’est peut-être de s’abstenir de la faire surgir sans nécessité.

Ce passage de la non-existence à l’existence, opéré par la fabrication procréative puis par l’éducation sociale, ne peut en aucun cas transférer une quelconque responsabilité à l’être qui en est le produit. L’enfant n’a ni voulu naitre ni choisi son corps, ses parents, sa culture, ni les représentations du monde qu’on va lui inculquer. Il subit une double imposition : celle de l’existence elle-même, et celle de la formation mentale et sociale par ceux qui l’entourent. Même ses comportements futurs, ses gouts, ses croyances, ses valeurs, seront largement façonnés par les interactions avec un environnement qu’il n’a pas plus choisi que sa propre vie. Dans un tel cadre, comment lui attribuer une quelconque culpabilité pour ce qu’il devient ? Il n’a été que modulé, modelé, réglé par un système préexistant qui l’a absorbé dès les premiers instants. C’est pourquoi l’être fabriqué est et demeure innocent d’exister, quelles que soient ses actions : tout ce qu’il est procède de forces extérieures à lui-même, de mécanismes biologiques, éducatifs, sociaux, linguistiques et affectifs qu’il n’a pu ni choisir ni refuser. Toute société qui punit ou juge un individu sans reconnaitre l’imposition initiale de l’existence, et la coaction totale exercée sur sa construction, manque son propre rendez-vous avec la justice.

Fin – E. Berlherm

[L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence.]