dimanche 19 octobre 2025

 

Expression libre de la sexualité

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

Le corps humain remplit des fonctions vitales par des mécanismes qu’il n’a pas choisis : respirer, manger, dormir, se reproduire. Parmi eux, la sexualité présente une particularité : elle unit le plaisir et la conception dans un même geste. Mais ces deux fonctions, bien que liées par la nature, ne coïncident pas dans la pratique. La conception est un évènement rare, alors que le plaisir sexuel est recherché bien plus souvent, parfois sans aucune finalité reproductive. Le cerveau humain a, au cours de l’évolution, émancipé le plaisir de son utilité biologique : il en a fait un moyen d’expression, de lien et d’équilibre.

Ainsi, l’acte sexuel n’est plus seulement un acte de reproduction ; il est devenu un langage du corps. Comme la parole traduit la pensée en sons, la sexualité traduit la pensée affective et érotique en gestes corporels. Elle est une communication sensorielle, silencieuse, et souvent sincère. La société, pourtant, continue à juger certains langages du corps comme acceptables, et d’autres comme condamnables. Le langage des signes, par exemple, est reconnu comme une forme de pensée gestuelle : il permet de s’exprimer, de communiquer au moyen du corps, des mains et du visage. La sexualité, elle, est un langage plus intime ; mais c’est encore une manière pour un être conscient d’exprimer sa pensée par le corps. Si l’on admet la liberté d’expression verbale et gestuelle, il est rationnel d’admettre aussi la liberté d’expression corporelle, tant qu’elle ne nuit à personne.

L’homosexualité, la bisexualité, ou toute autre orientation ne sont, sous cet angle, que des structures mentales du plaisir : des formes d’organisation de la sensibilité, acquises et consolidées par l’apprentissage, comme toute autre habitude du cerveau. Dire qu’un individu « pense » son plaisir différemment d’un autre n’a rien d’immoral ; c’est une simple diversité fonctionnelle du mental humain. Réprimer une orientation revient donc à interdire une forme d’expression de la pensée. Si le droit à la liberté d’expression a un sens, il ne peut s’arrêter aux frontières du langage articulé.

La société humaine se contredit : elle nous fabrique avec les conditions du désir. Elle diffuse partout des images érotiques, des modes, des stimulations sensorielles, mais elle prétend ensuite moraliser ce même désir. Elle crée le potentiel qu’elle veut ensuite contrôler. Cette contradiction vient de l’origine même du pouvoir social : contrôler le corps, c’est contrôler l’individu. Or, la rationalité ne peut admettre qu’un pouvoir légitime repose sur la contradiction.

La comparaison avec la nourriture éclaire profondément la sexualité. Manger, c’est d’abord se reproduire soi-même : à chaque repas, nous régénérons nos tissus, réparons nos cellules, remplaçons les parties usées de notre corps. C’est une reproduction quotidienne de soi, un entretien continu de l’individu par assimilation du monde extérieur. La sexualité, elle, est une reproduction différée : elle ne régénère pas directement le corps, mais engendre un autre être qui prolonge la structure biologique et parfois mentale de celui ou de celle qui l’a produit. Dans les deux cas, il s’agit du même principe : la vie se reproduit elle-même, soit dans le même organisme, soit à travers un nouvel organisme. Les deux mécanismes associent plaisir et nécessité, comme si la nature avait inscrit le plaisir au cœur du processus vital pour en assurer la continuité. Si l’on considère normal de choisir librement sa nourriture, son rythme, ses compagnons de table, pourquoi juger différemment le choix des partenaires ou des formes de plaisir sexuel ? Manger et aimer sont deux expressions d’une même loi : celle de la reproduction de la vie par la jouissance du vivant.

Les religions et les morales traditionnelles renforcent le contrôle en affirmant que la sexualité n’a de sens que dans la reproduction. Pourtant, elles-mêmes s’y opposent sans le savoir. Beaucoup affirment que la vie commence à la conception ; c’est-à-dire que le fœtus serait déjà une personne dès la conception. Mais si tel est le cas, pourquoi continuer d’avoir des rapports sexuels après la conception ? Et à quel moment cesser ces rapports ? Ces mêmes personnes — qu’elles soient croyantes ou non — poursuivent la relation charnelle, alors que, selon leur croyance, un être humain est déjà présent dans le corps de la mère. Elles imposeraient donc à cet être, supposément « sacré », la proximité immédiate d’un acte qu’elles jugent impur entre adultes. La nature, elle, n’interdit rien : elle ignore la honte. C’est la morale qui crée la contradiction, non la biologie.

D’un point de vue rationnel, la sexualité ne doit pas être jugée par son utilité, mais par sa cohérence avec le principe de non-nuisance. Deux adultes consentants qui trouvent dans le corps un langage commun n’enfreignent aucune loi naturelle. Ce qu’ils expriment, c’est une pensée corporelle qui leur appartient. Interdire cette expression, c’est restreindre la liberté fondamentale de l’esprit : celle d’utiliser son propre corps comme instrument de communication et de plaisir.

L’expression libre de la sexualité n’est donc pas une revendication marginale, mais une conséquence directe de la liberté de penser. Celui qui contrôle la parole contrôle la pensée ; celui qui contrôle le corps contrôle la conscience. Un rationalisme conséquent doit refuser ces deux formes de censure : la censure du verbe et celle du geste. La morale qui prétend sauver l’humanité du plaisir ignore que c’est par le plaisir que la vie s’est inventée.

Fin – E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)

 

Le rationalisme en quelques mots

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

Le cerveau humain peut à la fois raisonner et croire. Il est construit ainsi. Que vaut-il mieux, croire ou raisonner, alors qu’on sait parfaitement que la majorité des humains se trompent dans leur croyance ?

Cette question n’oppose pas deux attitudes morales ; elle révèle simplement deux fonctions du même organe : celle qui cherche à comprendre, et celle qui cherche à se rassurer. La croyance stabilise, la raison explore. Le rationalisme commence lorsque l’esprit comprend ce mécanisme et choisit, autant qu’il le peut, de ne pas se laisser conduire par l’automatisme.

L’origine de la croyance

La croyance ne vient pas d’une erreur du cerveau, mais de l’éducation. Dès que les animaux ont dû instruire leurs petits, ils ont transmis des comportements indispensables à la survie. L’enfant, pour vivre, devait suivre l’adulte. Il n’avait ni le temps ni les moyens de vérifier ce qu’il imitait. Il a donc appris à obéir avant de comprendre, et cette obéissance a fondé la fonction de croyance.

Ce mécanisme, d’abord pratique, est devenu mental. Chez l’humain, l’éducation s’est transformée en langage : l’enfant hérite d’un monde déjà nommé, déjà organisé, saturé de mots et d’idées toutes faites. Il lui faut des années pour distinguer ce qu’il a compris de ce qu’il répète. La croyance est donc la trace de cette dépendance initiale : un mode d’apprentissage devenu réflexe de pensée. Il est évident que nous ne pouvons pas tout remettre en cause et le faire constamment, cela conduirait au TOC.

Le rationalisme commence quand l’adulte, conscient de ce conditionnement, revient examiner ce qu’il a tenu pour vrai. C’est la poésie du rationalisme : remettre en cause les recettes de grand-mère, non par mépris, mais pour voir si elles cuisent encore juste.

Ce qu’est le rationalisme

Le rationalisme n’est pas une foi dans la raison ; c’est une méthode de vérification. Être rationaliste, c’est savoir que son propre cerveau n’est pas infaillible, qu’il invente des liens et des causes pour donner sens à ce qu’il ignore. Le rationaliste ne se croit pas au-dessus des autres : il se surveille lui-même. La raison n’impose rien ; elle observe, compare, rectifie. Elle ne cherche pas à détruire les croyances, mais à comprendre leurs fondements et leurs effets afin de proposer un meilleur système.

Le rationalisme est une hygiène de la pensée. Il demande de maintenir le champ mental propre : pas stérile, mais débarrassé des illusions collées par l’habitude, la peur ou la tradition.

Le rationalisme dans la forme et dans le fond

On peut être rationaliste en habit de clown, sur un petit vélo, ou en poète. Le rationalisme, c’est le contenu, pas la forme. Ce n’est pas le messager qui compte, c’est le message. Toute expression — écrite, peinte, dansée, chantée, chuchotée — peut être rationaliste si elle porte une idée juste, argumentée, nécessaire et partageable.

La raison n’est pas l’ennemie de la sensibilité : elle la traverse pour en extraire la clarté. L’art, la musique, la parole sont des instruments de vérité quand ils cherchent à éclairer plutôt qu’à séduire.

L’éthique rationaliste

Le rationalisme ne s’arrête pas à la logique ; il conduit à une éthique. Raisonner, c’est mesurer les conséquences de ses actes. Le rationaliste reconnait l’innocence d’exister : personne n’a choisi de naitre, donc nul ne mérite ni blâme ni dette d’existence. L’être humain n’a pas à se faire désirer puisqu’il a été désiré.

L’être humain ne doit pas se faire désirer puisqu’il a été désiré. La seule responsabilité est celle de ne pas nuire par ignorance, surtout lorsqu’on participe à la fabrication à l’aveugle d’autres existences. Cette lucidité ne condamne pas la vie : elle la rend consciente. Elle cherche à réduire la part d’absurde et de souffrance que l’irréflexion perpétue.

Conclusion : la liberté de penser

Avant de croire à nos propres idées ou à celles des autres, il faut s’assurer que la pensée est libre et que nous pouvons l’exprimer librement. Le rationalisme est ce travail permanent de dégagement intérieur : il nettoie la pensée de ses automatismes et la rend capable de se voir fonctionner. Il ne promet pas la vérité, mais la liberté de la chercher.

Le rationalisme est une discipline sans dogme, une vigilance tranquille, une manière de tenir son esprit debout dans le tumulte des certitudes humaines.

Fin – E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)


Industrialisation de l’être Humain

 

Industrialisation de l’être Humain

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

Par un chantage permanent inhérent à notre fabrication, les humains ont appris à utiliser les autres humains pour leur propre service, après ou avant avoir appris à utiliser les autres animaux. Mais là, on ne fait que changer de catégorie. L’humain est moins souple que l’animal, mais beaucoup plus efficace, plus rentable. Certains humains, essentiellement les mâles, ont perfectionné l’art de la servitude. Les plus outranciers ont été les esclavagistes directs, et ceux-là, on les a interdits par des lois et des traités pour mieux dissimuler la continuité de leur œuvre. Il reste les plus dangereux : ceux qui abusent de la stupidité générale et des faiblesses d’un système fondé sur la gestion de l’homme par l’homme. Ce sont les riches, et les gouvernants à leur service. Ils font croire que ce système est le meilleur possible et sabotent toute remise en cause, car ils savent que leur pouvoir tient à la structure même de l’humain : un être fabriqué dépendant, contraint de survivre, soumis dès l’origine à ses besoins vitaux. Le chantage fondamental — manger, boire, se protéger du froid, durer — vient de là, de notre fabrication même. Nous sommes façonnés avec ces failles, et c’est ce qui rend possible notre dressage, notre formatage, notre obéissance.

Vous avez été fabriqué avec le besoin d’alimenter votre corps ; on va donc vous vendre votre nourriture, après avoir accaparé les sols qui la produisent. En réalité, vous achetez votre propre corps, puisque la nourriture que vous payez devient votre chair après l’avoir ingérée. Et cela, s’il y avait un véritable droit, serait interdit : nul ne devrait avoir à racheter ce qui le constitue.

Vous avez été fabriqué avec des faiblesses corporelles ; on va donc vous vendre les produits nécessaires à la réparation de votre corps. Ces produits proviennent de la nature, d’où voulez-vous qu’ils viennent ? Vous achetez des éléments naturels pour continuer d’exister, pour prolonger la durée de votre fabrication. Là encore, vous payez pour votre corps, pour votre vie, et cela aussi devrait être interdit. Vous avez été fabriqué pour mourir, et même cette mort, ils la marchandent de multiples façons : par l’industrie funéraire, les assurances décès, les contrats obsèques, les pierres tombales, les cérémonies, les crémations, les urnes, l’entretien des tombes, la revente de vos biens, et parfois de vos organes.

Avant même que vous ne soyez fabriqué, vos fabricants — mère et père — sont déjà soumis à l’arnaque générale : ils doivent acheter pour nourrir, abriter, équiper, préparer votre arrivée. L’industrialisation du corps commence dès la grossesse : suivi médical, examens, médicaments, vêtements de maternité, objets prénataux, lait maternisé, chambres décorées, tout un commerce organisé autour de la fabrication biologique. Le bébé lui-même devient le premier marché : couches, biberons, tétines, poussettes, jouets dits éducatifs, peluches connectées, vitamines, vaccins, écrans. Le conditionnement de l’humain commence par la dépendance du nourrisson ; on s’y engouffre avec tendresse marchande.

Puis vient la crèche, et avec elle l’étape du formatage collectif : apprentissage de la soumission, de la hiérarchie, de l’attente, de la récompense. L’école poursuit la même œuvre : on y apprend non pas à penser, mais à fonctionner. On y façonne l’individu pour qu’il entre dans le rouage social, avec sa dose de compétition, d’obéissance et d’angoisse. On lui vend les outils de son dressage : fournitures, manuels, uniformes, cours particuliers, tablettes éducatives, écrans de dépendance cognitive. Même l’éducation est devenue une industrie.

Le corps grandissant, le commerce s’intensifie : vêtements, chaussures, produits de beauté, normes esthétiques, abonnements sportifs, soins de santé, dentistes, orthodontistes, nutrition, chirurgie, médicaments, tout devient matière à profit. Le corps humain est une mine biologique dont on extrait le rendement jusqu’à la fin.

Et lorsque vient l’âge de travailler, l’esclavage devient officiel : il s’appelle « travail », « emploi », « boulot ». Vous avez été fabriqué, donc contraint d’exister, mais la société qui vous a fabriqué ne se sent pas responsable de votre existence. Vous devez la mériter, la rentabiliser. Fabriqué pour elle, désiré par elle, vous travaillerez pour elle ou pour sa voisine, et le comble ! vous devrez vous faire désirer. Vous avez besoin de travailler pour entretenir la fiction d’un monde qui aurait besoin de vous. Vous échangez votre temps de vie contre des unités de survie, pour racheter ce qu’on vous a rendu vital : logement, nourriture, énergie, transport, vacances — vacances nécessaires pour supporter le travail lui-même. Même le repos est vendu comme un produit de réparation.

Puis vient la retraite, et si vous n’avez pas bien servi comme rouage-esclave, alors ce ne seront pas les vacances finales, mais la Bérézina finale : les mêmes rapaces vous reprendront ce qu’ils vous ont généreusement prêté. Vous serez à nouveau marchandisé : médicaments, soins, maisons de retraite, assurances, aide à domicile. Vous payerez pour durer un peu plus, puis pour mourir un peu mieux. Et ils s’arrangeront pour que vos derniers restes, vos meubles, vos souvenirs, soient eux aussi revendus, recyclés, valorisés.

À aucun moment de votre existence le chantage originel ne vous quitte : il est inscrit dans votre corps, dans vos besoins, dans votre peur de la faim, du froid, de la douleur et de la mort. C’est par cette architecture même de votre fabrication que l’humanité s’est rendue exploitable, et que l’industrialisation de l’homme par l’homme a pu devenir totale.

L’industrie de la maladie, elle, est devenue la plus stable des industries humaines. Elle repose sur le fondement même de notre faiblesse biologique : nos corps, mal construits, imparfaits, se dégradent, se fatiguent, se dérèglent. Chaque cellule malade, chaque douleur, chaque organe usé est une promesse de croissance économique. Des milliards d’individus constituent une mine inépuisable de symptômes à entretenir. Les industries médicale, pharmaceutique, alimentaire, cosmétique, se partagent la gestion de cette misère organique qu’elle entretient sous couvert de la soigner. Le corps est un marché vivant dont chaque fragment, chaque molécule, peut être rachetée, prolongée, modifiée. L’humain malade est l’humain parfait pour la société : il travaille pour payer sa guérison, et meurt au moment où il n’est plus rentable.

Mais la maladie, parfois, ne suffit plus à équilibrer la grande mécanique des naissances et des morts. Alors l’industrie de la guerre prend le relais : l’autre visage de la même rationalité. Là encore, le corps humain devient matière première : chair à produire, chair à armer, chair à détruire. L’arme n’est qu’un instrument de régulation, un outil économique qui recycle les surplus d’humains en surplus de profits. La guerre, comme la maladie, soigne le déséquilibre du monde industriel ; elle relance les productions, vide les stocks, reconstruit les ruines qu’elle a provoquées. Elle est la grande ordonnatrice, celle qui fait tourner la machine lorsque les corps cessent d’être utiles individuellement. On fait mourir en masse pour continuer à vendre en masse. Et dans cette logique, la mort elle-même devient un produit, un service, une ligne comptable.

C’est ainsi que tout s’achève et recommence : la maladie prépare la guerre, la guerre régénère l’économie, l’économie refabrique des hommes pour les revendre à la maladie. Le cercle est parfait : la fabrication de l’humain nourrit la fabrication du monde qui le broie.

Fin — E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)

Où sont les mots ?

 

Où sont les mots ?

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

« Quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui se consume. » C’est vrai, mais dans cette bibliothèque intérieure, nul rayon, nul dictionnaire, nul ordre alphabétique. Rien ne permet de retrouver les mots, sinon le besoin qu’on en a. Et pourtant, ils surgissent. Pas un ne se perd, ou presque. Le cerveau, cet étrange amas de mémoire, retrouve tout sans jamais savoir où quoi que ce soit est rangé.

Mais alors, où sont les mots ? Où se trouve « bonjour » ? Où sommeille « merci » ? Où résident le 3, le 4, le 9 ? Nous parlons, nous écrivons, nous pensons, sans jamais percevoir le lieu d’où proviennent ces signes qui nous traversent. Le mot arrive quand il le faut, comme un miracle banal. Et si je tente de sentir d’où il vient, je ne perçois rien : pas de signal, pas de localisation, pas de conscience d’un stockage. Juste un surgissement.

Ce qui est sûr, c’est que le cerveau n’a pas besoin de savoir pour faire. Il ne sait pas comment il fonctionne, et pourtant il fonctionne. Il ne connait pas ses circuits, il les emploie. Il ne comprend pas la parole, il la produit. C’est une machine qui s’ignore. D’ailleurs, si on lui demandait directement : « Eh ! Cerveau ! Comment fonctionnes-tu ? », il ne répondrait rien. Il est muet sur lui-même, comme une horloge incapable d’entendre son propre tic-tac.

Demandez-lui où sont les mots, il restera coi. Il les évoque sans les connaitre, comme s’il faisait apparaitre des bulles de sens à la surface de son propre silence. Les mots sont là quand il les faut, non parce qu’ils sont « quelque part », mais parce que des connexions apprises s’allument au bon moment. Ils ne résident pas dans des cases, mais dans des configurations momentanées d’un réseau mouvant. Quand une pensée cherche à se dire, elle déclenche un enchainement d’activations qui finit par tomber sur le mot juste… ou sur un lapsus. L’erreur elle-même témoigne de cette mécanique aveugle : parfois, le courant prend une autre voie, et c’est une vérité cachée qui s’échappe par accident.

Le cerveau ne se connait pas, mais il s’utilise très bien. Il agit, il parle, il pense, sans comprendre ce qu’il fait. Et c’est peut-être grâce à cette ignorance qu’il fonctionne si bien. Le problème n’est pas là : il commence quand cette machine, satisfaite d’elle-même, se met à proclamer qu’elle est « intelligente ». Car si quelque chose s’est vraiment développé chez les humains, c’est moins l’intelligence collective que la stupidité bien organisée : celle d’un ensemble de cerveaux qui s’ignorent chacun, mais qui, mis ensemble, croient former une conscience supérieure.

Alors, où sont les mots ? Partout et nulle part. Dans le frémissement d’un réseau qui s’active à la demande. Dans le murmure d’un cerveau qui parle sans savoir. Dans le champ d’une humanité qui s’exprime sans se comprendre. Ce qui brule quand un vieillard meurt, ce n’est pas seulement une bibliothèque : c’est un miracle quotidien d’ignorance fonctionnelle qui s’éteint — et avec lui, la manière unique qu’avait ce cerveau-là de ne pas savoir comment il faisait pour parler.

Fin — E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)

lundi 6 octobre 2025

 

L’égalité homme-femme : une avancée ou une illusion ?


(La vérité est un bien public, donc un service public.)

L’égalité homme-femme : une avancée ou une illusion ?

Quand on parle d’égalité homme-femme, de quoi parle-t-on vraiment ? S’agit-il d’une égalité réelle entre tous les êtres humains ou simplement d’une égalité d’accès à un système déjà inégalitaire ?

L’égalité dans le système actuel

Aujourd’hui, l’égalité revendiquée consiste surtout à donner aux femmes les mêmes possibilités qu’aux hommes : grimper dans la hiérarchie, accumuler richesses et pouvoir. Mais cette égalité-là n’est qu’une égalité de façade : elle ne fait que renforcer la logique existante, celle d’un système féodal modernisé qu’on appelle démocratie.

En intégrant pleinement les femmes à cette mécanique, on ne libère pas l’humanité : on double la puissance du système féodal. Car une fois que toute l’humanité joue le même jeu de la compétition et de l’enrichissement individuel, il devient presque impossible d’imaginer une alternative.

La vraie égalité

La véritable égalité ne peut pas se réduire à l’égalité des chances dans une course hiérarchique. Elle suppose que tout ce qui est nécessaire à la vie soit gratuit et accessible à chacun, afin d’abolir le chantage initial inhérent à notre condition humaine — cette contrainte issue de notre fabrication — que sont la faim, la soif, le froid, la santé, etc.

Elle suppose aussi qu’on abolisse la hiérarchie sociale et l’accumulation individuelle de richesses, qui contredisent par essence le principe d’égalité.

D’ailleurs, un détail révélateur : en 1789, la Déclaration française des droits affirmait que les hommes « naissent et demeurent libres et égaux en droits ». En 1948, la Déclaration universelle a supprimé le mot « demeurent ». Nous serions égaux à la naissance, mais après… basta ! C’est reconnaitre implicitement que l’égalité n’existe pas vraiment.

La contrainte d’exister et l’aresponsabilité

À ce constat s’ajoute une donnée fondamentale : nous n’avons pas choisi de naitre. Chaque être humain est placé devant le fait accompli, sous la contrainte d’exister. De ce fait, il est aresponsable de son existence, donc de ses actes en permanence : nul ne devrait être jugé, pénalisé ou hiérarchisé simplement pour le fait d’exister.

Or, dans nos sociétés hiérarchisées et inégalitaires, c’est exactement ce qui se produit : on classe, on valorise, on dévalorise des individus qui n’ont jamais choisi les conditions de départ de leur vie ; qui n’ont pas tous les capacités physiques ou intellectuelles ou simplement le désir de grimper les échelons de la hiérarchie sociale. N’avons-nous pas tous été désirés par la société ?

Une révolution manquée… et à venir

En 1789, les révolutionnaires ont manqué la « bonne » révolution : ils ont proclamé l’égalité sans supprimer la hiérarchie ni l’enrichissement individuel. Aujourd’hui, l’égalité homme-femme, telle qu’elle est mise en avant, risque d’être une nouvelle révolution manquée : une avancée en surface, mais qui laisse intact le cœur du problème.

La véritable révolution ne serait pas d’élargir l’accès au système existant, mais de le mettre à plat, pour que l’égalité cesse d’être un mot et devienne enfin une réalité pour chaque être humain.

La féodalité doit être abolie sous toutes ses formes.

Fin — E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)

Cœur pour cœur : l’unique loi de la réciprocité

 

Cœur pour cœur : l’unique loi de la réciprocité

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

Tout être humain naît sans avoir choisi d’exister. C’est la contrainte d’exister : nul n’a décidé de sa venue au monde, nul n’a choisi son corps donc son intellect son milieu ou son histoire. De ce fait, chacun est aresponsable de son existence : il ne peut être tenu coupable d’être ce qu’il est.

De cette donnée radicale découle une conséquence simple : puisqu’aucun être humain n’est coupable d’exister, la seule attitude rationnelle est de ne pas nuire. C’est l’éthique implicite que l’on retrouve déjà chez Hippocrate : « Premièrement, ne pas nuire à autrui. » Dans le Code de la route, c’est encore ce principe premier qui prévaut : ne pas mettre en danger, ne pas blesser, ne pas tuer. Les règles écrites ne sont que des précisions de cette loi fondamentale.

L’éthique trouve son noyau dans la réciprocité empathique : reconnaître en autrui un autre être contraint d’exister, innocent comme soi. On pourrait la résumer ainsi : « Cœur pour cœur. » C’est la véritable loi de la réciprocité, qui invite à traiter autrui comme on voudrait être traité, non par devoir transcendant, mais par simple logique de coexistence.

La loi du talion (« œil pour œil, dent pour dent ») est une perversion de ce principe. Elle détourne l’empathie originelle en vengeance, en faisant comme si autrui était responsable de ce qu’il est. Sa puissance historique vient de l’émotion négative, violente et cruelle, qui marque plus que la normalité tranquille de l’entraide. Mais elle repose sur une illusion : on punit des êtres aresponsables de leur condition.

Origine biologique et sociale de l’éthique : Les êtres monocellulaires et la plupart des animaux n’ont pas d’éthique : ils manifestent seulement des comportements de survie et de coopération sans conscience d’espèce. Les humains, eux, ont nommé et conceptualisé cette tendance naturelle à l’empathie et à l’association. Ce que nous appelons « éthique » n’est que l’habillage rationnel d’une disposition biologique à coopérer, sans laquelle aucune société ne pourrait durer.

De la pratique à la revendication : Nommer l’éthique lui a donné une autonomie : elle est devenue l’objet des philosophies et le noyau des religions. Mais cette universalité proclamée est fragile. Souvent, les puissants respectent la loi écrite sans se soucier de l’éthique, et transforment même la réciprocité en perversion : punir au lieu d’associer, exploiter au lieu de partager.

De là découle une critique rationnelle de la concurrence : elle érige en vertu l’affrontement d’individus qui partagent pourtant la même contrainte d’exister. Elle oppose les uns aux autres au lieu de les associer, alors que rien n’est plus logique que de coopérer.

Ainsi, replacée dans son contexte fondamental, l’éthique n’est ni morale religieuse ni simple coutume : elle est la conséquence directe de l’innocence d’exister. La véritable loi humaine n’est pas œil pour œil mais cœur pour cœur : la réciprocité bienveillante entre êtres aresponsables, unis par la même condition d’avoir été mis devant le fait accompli.

Fin – E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)

vendredi 3 octobre 2025

« J’ai un cerveau », « J’ai un corps »… ou l’art de se tromper en parlant

 

« J’ai un cerveau », « J’ai un corps »… ou l’art de se tromper en parlant

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

Il est courant d’affirmer : « J’ai un corps », « J’ai un cerveau ». Ces formules paraissent anodines, presque banales. Pourtant, elles reposent sur une illusion grammaticale : dire « j’ai » suppose l’existence d’un sujet distinct, d’un « je » qui possèderait un corps ou un cerveau comme un objet extérieur. Or ce « je » n’existe pas indépendamment : il n’est rien d’autre que le corps vivant lui-même, en activité.

Ces phrases peuvent être comprises comme des formes elliptiques pratiques : elles simplifient la communication et permettent de parler rapidement du corps ou du cerveau. Mais elles sont potentiellement trompeuses, car elles induisent l’idée que le corps ou le cerveau seraient possédés par un « moi » séparé. Sans vigilance, elles peuvent nourrir des malentendus philosophiques ou métaphysiques, notamment la croyance en une âme distincte.

Quand la bouche parle

Pour saisir l’absurde que produit notre langage, imaginons la scène : une personne dit « j’ai une bouche ». Pris au pied de la lettre, cela revient à voir la bouche elle-même affirmer qu’elle possède… une bouche. Absurde, car la bouche n’est qu’un organe de phonation, incapable de se posséder. Ce qui parle, c’est le corps tout entier. On peut donc accepter cette phrase comme légitime, de la même manière qu’une voiture pourrait déclarer « j’ai quatre roues » sans que chaque roue se mette à parler.

Mais l’affaire devient plus complexe quand la personne dit « j’ai un corps ». Ici, c’est le corps qui parle de lui-même comme s’il était un objet séparé. La logique devient étrange : comment un corps pourrait-il avoir… un corps ? Et pour « j’ai un cerveau », la situation se complique davantage. Le cerveau n’est pas un organe comme les autres : il est le centre de coordination de l’organisme. Dire que l’on possède son cerveau revient presque à entendre le chef d’orchestre dire qu’il a un chef d’orchestre. Cette construction linguistique installe l’illusion d’un « je » séparé, qui possède et commande, là où il n’y a que le corps et ses mécanismes autorégulés. Trente-sept-mille-milliards de cellules qui ne fonctionnent pas pour le plaisir de l’ensemble.

Origine de l’illusion

Cette erreur s’installe très tôt. L’enfant est présenté à son corps comme à une collection de pièces : « voici ton nez, tes yeux, tes mains… ». Plus tard, les organes internes sont introduits : cœur, foie, cerveau, pancréas. L’enfant apprend à se rapporter à lui-même dans une grammaire de la possession : « mon bras », « mon cerveau ». Cette pédagogie pratique installe une dissociation artificielle : le « je » apparait comme propriétaire d’éléments corporels, au lieu de reconnaitre que le corps lui-même est le « je ».

La notion d’âme comme solution grammaticale

Si « j’ai un corps », il faut bien supposer un « je » distinct pour le posséder. Cette faille logique a été comblée par l’invention culturelle d’un possesseur invisible : l’âme. On peut ainsi formuler l’hypothèse que la notion d’âme n’a pas été découverte par intuition métaphysique, mais inventée comme solution à une erreur de langage.

Platon fit de l’âme la prisonnière du corps, Descartes la sépara de l’étendue matérielle, Nietzsche se moqua du « sujet » supposé derrière l’action, et Ryle dénonça le « fantôme dans la machine ». Plus récemment, Antonio Damasio et Francisco Varela ont montré que l’esprit est inséparable du corps, enraciné dans ses interactions et ses régulations.

Le test révélateur

L’illusion n’est pas seulement théorique. Si l’on demande discrètement à un croyant : « As-tu une âme ? », il répondra avec assurance qu’il en possède une. Mais s’il prenait sa phrase au pied de la lettre, cette âme devrait être le véritable marionnettiste, le « je », et le corps un pantin. Si l’âme existait, ferait-elle ce genre de gaffe ? Ce contraste montre la force du langage : il impose des représentations que la raison critique peine à débusquer.

La réalité

La réalité est plus simple : il n’y a pas de propriétaire derrière le cerveau. Le « je » n’est rien d’autre que ce corps vivant en action, et le cerveau n’est pas un maitre, mais une vaste mémoire active. Il réagit à son environnement, aux signaux internes et à sa propre activité (l’homéostasie, ce fragile équilibre vital).

Ainsi, dire « j’ai un cerveau » est impropre. On devrait plutôt dire : « je suis ce corps vivant animé par un système nerveux ». Mais la langue, façonnée par l’histoire et le dualisme, continue de nous faire croire à un possesseur immatériel, au prix d’un contresens devenu coutume.

Alors, la prochaine fois que vous direz « j’ai un cerveau », souvenez-vous : ce n’est pas vous qui l’avez. C’est lui qui vous a. Et c’est grâce à lui que vous pouvez sourire, en ce moment même, de cette ironie du langage qui nous berne tous dès notre naissance.

Fin — E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)