samedi 13 décembre 2025

The parasite…

 

The parasite…

(The truth is a public good, therefore a public service.)


Capitalism is not a master. Nor is it an architect or a strategist. It is a parasite. A parasite of a particular kind: it feeds on everything that society puts in common, yet denies the very existence of that common. It lives thanks to the social organism while pretending to be the sole cause of its vitality. It pumps, sucks, diverts, privatizes — and pretends to have produced everything itself.

The parasite has no need for intention. It does not need to think of itself as a parasite. It follows its internal, mechanical logic, inherited from the ancient constraints of the species: accumulate before others, climb higher in the hierarchy, possess what reassures, and turn that security into domination. Capitalism emerges in this way, without plan or conspiracy, as a direct consequence of human biology. Social structures are only its outer shell.

This parasite thrives on a ground it never produced. Roads, bridges, networks, electricity, satellites, education, public health, justice, police, social order, air, water, soil, future generations, planetary resources, accumulated knowledge — this is its food. It feeds on what, by nature, belongs to all and should remain accessible to all. It feeds on it as if it were its due.

But the parasite hates when one points out its host. It can live from the common; it cannot survive the awareness of that common. For if humans realize that everything supporting capitalism is common, then they will ask why the fruits of this common are privatized.

The parasite therefore lives in a permanent war against lucidity. It cannot eliminate the commons, because they are its condition of existence. It therefore attempts to erase their obviousness: — by privatizing what belonged to all, — by claiming that the individual “creates” everything alone, — by appropriating the credit for infrastructures paid for by the collective, — by glorifying individual success to conceal collective work, — by criminalizing the very idea of rational sharing.

This is why the word “communism” is unbearable to it. Not because of its historical achievements, but because of what it reveals: that human society already functions in common. That the individual is nothing without the collective. That personal enrichment is possible only by siphoning off common wealth. For the parasite, the danger is not actual sharing — it is indispensable to it — but the understanding of this sharing.

Here we find the same mechanism as in religions facing heliocentrism. They could not bear the idea that the Earth was not the center, not because it changed daily life, but because it displaced prestige. Capitalism cannot bear that the common is the foundation. It shifts its prestige. It overturns the pyramid.

Like all parasites, it does not aim to annihilate its host. That is not its intention — it has none. But it ends up weakening the social body through excessive extraction, negligence, and short-term obsession. It diverts vital resources toward unproductive zones, enriching a few individuals at the expense of the whole. And like autoimmune diseases, it accelerates when the organism weakens, instinctively believing it must take even more to survive.

This parasite, however, has a structural weakness: it cannot tolerate light. Not the light of scientific knowledge or of technological progress — it lives on those. The light it fears is simpler: collective lucidity, the rational understanding of the common, and the questioning of the hierarchy that follows from it.

It is enough for humans to see the tree — the common — to understand what its fruits really are. It is enough for them to see the organism to recognize the parasite.

Capitalism is not eternal. It can survive only as long as the social body ignores where the real circulation of life is located. It will disappear not through violence, but through understanding: through the realization that wealth is never individual, and that society is not a competition between the cells of the same organism, but the obligatory cooperation of beings fabricated blindly, thrown together into a world they did not choose.

The parasite does not disappear through combat. It disappears when the host understands that it is one.

To whom does money belong, if it had no existence and no value unless it were common? Answer: to the people who produce it — for it is an equivalent, a measure of their work. Where does most of this money remain? Answer: in the pockets of a few, the capitalist-parasites. For what purpose? To orient our lives according to their whims…

End – E. Berlherm

(The obligation to exist implies the innocence of existing permanently, which is true for parasite-wolves as for sheep.)


mercredi 10 décembre 2025

Dialogue sur la punition entre Lucretius et Aristotélês

 

Dialogue sur la punition entre Lucretius et Aristotélês

(Sur la société, la fabrication, le crime et l’absurdité de la punition)


Scène

Un banc de pierre, dans un parc calme. Des enfants jouent à quelques dizaines de mètres, comme un rappel permanent de la procréation humaine. Une mère gronde son enfant. Lucretius et Aristotélês sont assis, face au monde, entre lucidité et déni.

I — Le commencement : le principe social accepté

Aristotélês — Lucretius, tu attaques encore la justice. Tu exagères. La société doit bien punir. C’est la base même du vivre-ensemble.

Lucretius — La base ? Très bien. Commençons par le fondement. Dis-moi : qui punit ?

Aristotélês — L’État, évidemment.

Lucretius — Et l’État, c’est qui ?

Aristotélês — Nous, le peuple. Par délégation.

Lucretius — Alors commençons par une évidence que personne n’ose regarder : En démocratie, quand quelqu’un est puni, c’est le peuple entier qui punit. Les voisins punissent, les enseignants punissent, les inconnus punissent… Et les parents punissent aussi.

Aristotélês — Symboliquement, peut-être. Mais ça n’a pas de sens de dire que les parents punissent leur enfant quand un juge prononce une peine.

Lucretius — Pas encore de sens, non. Attends un peu.

II — La scène brutale : le choc que nul ne veut voir

Lucretius — Imagine la peine de mort, Aristotélês. Pas par goût du morbide, mais pour comprendre la logique. Si ton fils était condamné à mort dans un pays où cette peine existe encore — et il y en a — ce serait fait au nom du peuple. Et toi, tu fais partie du peuple. Donc : Le système tuerait ton enfant en ton nom.

Aristotélês — Tu es violent.

Lucretius — C’est la réalité qui est violente, pas moi. Entre dans la pièce avec moi : Une salle froide, éclairée par néons. Une chaise, une table d’acier. Une seringue prête. Des témoins derrière une vitre. L’État qui dit : « C’est fait au nom du peuple. » Et donc, même si personne ne l’avoue jamais : C’est aussi fait au nom des parents. (…Pause…) Une exécution est toujours un matricide et un parricide inversés : Un infanticide dans une société qui refuse de grandir — une société infantile.

Aristotélês — Cette phrase… elle glace.

Lucretius — Elle est exacte.

III — L’intime : là où la justice détourne les yeux

Lucretius — Imagine la mère. Pas abstraitement : imagine sa gorge qui se serre, ses mains qui tremblent. Cette mère qui a porté, nourri, bercé, veillé, protégé. Cette mère qui a rêvé d’avenir pour un être qu’elle a créé. Et un jour, on lui dit : « Votre fils va mourir. Et ce sera fait en votre nom. Vous êtes le peuple souverain. » On ne peut pas imaginer pire obscénité morale. Et pourtant, c’est ainsi que fonctionne une démocratie punitive : elle transforme malgré eux les parents en complices symboliques du geste le plus contre-nature qu’un être vivant puisse concevoir.

Aristotélês — C’est insupportable.

Lucretius — Oui. Et pourtant, c’est vrai.

IV — Le renversement que personne n’attend : la fabrication du criminel et de la victime

Aristotélês — Tu sembles dire que la mère est responsable du crime de son fils…

Lucretius — Responsable ? Non. Mais participante à la chaîne causale, oui. Écoute : Qui fabrique l’enfant ? Les parents. Qui fabrique le mental de l’enfant ? Les parents, puis les professeurs, puis les amis, puis la société. Qui fabrique la société ? Nous tous. Qui fabrique les conditions du crime ? La société. Les inégalités, les humiliations, les armes, les blessures, les frustrations. Qui fabrique la victime ? La société encore. Sa trajectoire, ses vulnérabilités, ses rencontres. Qui fabrique les moyens de commettre le crime ? L’industrie, la technique, donc le monde humain.

Aristotélês — Tu veux dire que… la société participe au crime ?

Lucretius — Elle ne peut pas ne pas y participer. Elle est le fabricant collectif du criminel, de la victime, du monde qui les façonne, et du contexte où l’acte devient possible. Le criminel commet l’acte, oui. Mais l’acte est l’enfant d’un monde entier. Si tu regardes les choses rationnellement, tout crime est un crime collégial.

Aristotélês — Alors la punition… frappe un effet dont la société est une des causes ?

Lucretius — Exactement. Et puisque la société fabrique le criminel, la victime, et les conditions du crime, pourquoi serait-elle exonérée du crime ? Elle ne peut pas ne pas y participer. Elle est le fabricant collectif du criminel, de la victime, du monde qui les façonne, et du contexte où l’acte devient possible.

V — Le tournant : la punition devient absurde

Lucretius — Réfléchis : Si la mère, le père, la société entière, participent causalement à la fabrication de l’être qui commet l’acte, alors punir cet être revient à punir la conséquence en ignorant les causes. C’est l’enfance morale. C’est taper du pied en accusant la marionnette. La punition est une superstition moderne. Un réflexe d’enfant effrayé.

Aristotélês — (plus bas) Et que devient la prison dans ce raisonnement ?

Lucretius — Une peine de mort par petites tranches. Une mort fractionnée. Chaque année retirée, c’est une portion de vie qu’on exécute. On ne tue pas l’individu d’un seul coup : on met à mort, sans scrupule, chaque tranche de son existence. Elle est un infanticide au ralenti. Car si la peine de mort est insoutenable moralement, l’enfermement l’est tout autant — il est seulement moins spectaculaire.

Aristotélês — Tu dis donc que toute punition est un infanticide partiel ?

Lucretius — Oui. Parce qu’on punit toujours l’enfant de quelqu’un. Et cet enfant, la société l’a fabriqué. Et la société se punit elle-même en punissant. C’est de l’auto-destruction ritualisée.

VI — La conclusion rationnelle : la société face à elle-même

Aristotélês — Je ne sais plus quoi répondre…

Lucretius — Alors écoute simplement ceci : La punition est absurde, parce qu’elle reproche à un individu ce que le monde a mis en lui et fait de lui. On ne peut pas punir un être pour ce qu’on a fabriqué. On ne peut pas punir quelqu’un pour avoir agi avec le cerveau qu’on lui a transmis, dans un monde qu’il n’a pas choisi, avec des outils que nous avons forgés, selon des lois qu’il n’a pas votées, dans une société qui l’a façonné. Le criminel est le symptôme. La société est la cause. La punition est l’erreur.

Aristotélês — (doucement) Je commence à comprendre… Et si nous arrêtions de punir, alors que ferions-nous ?

Lucretius — Ce que font les sociétés adultes : comprendre, réparer, prévenir, soigner. Et surtout : cesser de fabriquer les erreurs que nous prétendons ensuite punir.

VII — Dernière phrase

Lucretius — Le jour où la société comprendra qu’elle punit sa propre création, ses propres enfants, qu’elle se punit elle-même, alors elle cessera d’être infantile, et commencera peut-être à devenir humaine.

Fin – E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour Lucrèce comme pour Aristote.)


Les parents peuvent-ils exécuter leur enfant ?

 

Les parents peuvent-ils exécuter leur enfant ?

(La vérité est un bien public, donc un service public)

Il faut parfois dire les choses crument, presque brutalement, pour que la réalité cesse de se cacher derrière les voiles dont la société aime l’habiller. Alors, allons-y. Sans fards.

Dans une démocratie, quand un être humain est exécuté au nom du peuple, ce peuple inclut toujours… « les parents du condamné ». Cela signifie que, symboliquement, même si personne n’ose le dire — surtout pas l’État, surtout pas les juges, surtout pas les voisins — un père et une mère participent à la mise à mort de leur propre enfant, aussi bien la condamnation que l’exécution. Je précise pour que ce soit clair : l’exécution. Les parents exécutent leur enfantfils ou fille.

Il suffit d’oser regarder la scène sans cligner des yeux.

La chambre d’exécution est propre, rangée, si propre qu’elle en devient obscène. La seringue est préparée, calibrée, stérile, comme si l’hygiène pouvait compenser la barbarie. À l’extérieur, des témoins sont là, dont certains n’ont pas choisi d’être témoins « au nom de la société », mais qui le sont malgré eux. Et quelque part — loin ou tout près, qu’importe —, la mère respire, même maladroitement, même en luttant. Elle respire parce que son enfant respire encore. Quelques minutes. Peut-être moins.

Et que fait la démocratie, ce mot que nous aimons tant brandir pour nous féliciter d’être civilisés ? Elle dit calmement :

« Ce geste est accompli en votre nom, Madame. En votre nom, Monsieur. Vous faites partie du peuple souverain. »

La vérité, parfois, n’a pas d’autre forme.

Puis vient la douleur, la vraie, celle que le système judiciaire ne regarde jamais, car elle ne figure dans aucun article de loi, dans aucune case administrative. Elle n’existe que dans les corps vivants, dans les tremblements, dans les silences.

La mère. Elle a lavé son fils. Elle l’a nourri. Elle l’a bercé contre elle, parfois en pleurant de fatigue, parfois en riant toute seule dans la cuisine. Elle l’a accompagné jusqu’à la porte de l’école. Elle a eu peur la première fois qu’il a grimpé à un arbre. Elle a veillé tard le soir où il a eu de la fièvre. Elle l’a imaginé adulte, heureux, vivant.

Et un jour, la société lui dit :

— « Votre enfant doit mourir, il nous embarrasse, il est un grain de sable dans les rouages sociaux. Et nous allons le faire pour vous. Au nom de tous. Même en votre nom. La société exécute votre enfant, vous faites partie de la société : vous exécutez votre enfant par association ou plutôt par complicité. C’est la démocratie. »

Il n’y a pas d’arme plus cruelle. Aucune punition infligée au condamné n’équivaut à celle infligée aux parents. Le système judiciaire ne condamne jamais « un individu » : il condamne toute une vie qui s’est construite autour de lui, et commence par écraser ceux qui l’ont fabriqué. En condamnant une vie, la société et la justice se condamnent elles-mêmes, mais ne s’exécutent jamais.

Le père. Il se tait. Il se tient derrière son propre esprit torturé. Il cherche une phrase, une seule, qui pourrait encore avoir un sens. Mais il n’en trouve aucune. Le silence est devenu sa langue maternelle.

Il imagine la scène — comme une caméra intérieure qui refuse de s’éteindre. Il se dit : « Mon enfant va mourir… par nos mains collectives. Je suis l’auteur de ses jours et son bourreau. » Il n’ose même pas formuler la phrase à haute voix, parce qu’elle le détruit.

Voilà la vérité que la justice évite soigneusement :

Une exécution est toujours un matricide et un parricide inversés. Un infanticide dans une société qui refuse de grandir — une société infantile.

C’est l’enfant, celui qui a émergé de deux corps aimants ou maladroits, qui est renvoyé à la mort par la même société qui a autorisé, encouragé, célébré sa naissance, et surtout désiré son existence pour sa propre pérennité.

Il n’y a rien de plus intime, rien de plus obscène, rien de plus douloureux.

Mais assez d’émotion. Revenons à la mécanique, au dispositif rationnel, à la structure froide — ce terrain où je me sens chez moi, et où, paradoxalement, l’émotion prend encore plus de poids parce qu’elle se heurte au métal.

Voici la réalité nue : La société fabrique et éduque ses enfants, puis les juge. Elle les contraint à exister — sans leur demander leur avis — elle les éduque — toujours sans leur demander leur avis. Elle les met devant le fait accompli de l’existence, souvent sordide, puis elle leur reproche leurs actes, comme si ces actes ne provenaient pas directement du monde social qui les a formés, du langage qu’on leur a transmis, des conditions qu’on leur a imposées.

Dans une démocratie, punir, c’est toujours cela : un peuple qui punit sa propre malfaçon et son incohérence éducative.

Les États, les juges, les jurys, ce ne sont que des organes exécutifs d’une entité plus vaste : le corps social. Et ce corps social, qu’est-ce donc ? Un ensemble d’individus fabriqués par d’autres individus. Un système d’êtres contraints d’exister — nul ne s’est fabriqué lui-même — mais qui s’autorisent pourtant à punir ce qu’ils n’ont pas compris, ce qu’ils ont mal transmis, ce qu’ils ont mal accompagné. Tout s’emboite. Tout s’explique. Et tout devient illégitime. Et même illégal, puisque tout cela, elle l’interdit dans ses propres lois qu’elle prétend morales.

On croit que la peine de mort est un cas extrême, une aberration réservée aux « autres », aux pays qui n’auraient pas encore compris. Mais ce n’est qu’une version concentrée de ce que la punition est partout :

— Enfermer un individu, n’est-ce pas une mort en tranches ? Chaque année retirée, c’est une portion de vie qu’on exécute. On ne tue pas l’individu d’un seul coup : on met à mort, sans scrupule, chaque tranche de son existence.

— Couper un être humain de son monde, de son mouvement, de sa lumière, n’est-ce pas une autre forme d’exécution ?

— Humilier, frapper, exiler, isoler… qu’est-ce que c’est sinon des variantes du même principe ?

Et ce même principe, le voici :

Nous punissons ce que nous fabriquons. Nous infligeons des souffrances à ceux que nous avons forcés à naitre et que nous avons façonnés en totalité, corps et intellect. Nous reprochons aux enfants d’être le produit de notre monde.

La peine de mort en est le sommet obscène, la pointe visible de l’iceberg. Mais l’iceberg entier, c’est la punition. La justice sociale se voudrait un rempart rationnel contre la violence. Elle n’est que la violence institutionnalisée de créatures humaines qui refusent de reconnaitre leur propre responsabilité dans ce qu’elles voient se dérouler sous leurs yeux, et que la société a produit elle-même.

C’est là que le rationalisme que je défends intervient : non pas pour détruire, mais pour dévoiler. Pour montrer la cohérence là où personne n’ose la regarder, car elle dérange trop. Si la mort infligée au nom du peuple est insupportable, alors toute punition infligée au nom du peuple l’est aussi. Si l’émotion vous soulève l’estomac quand vous imaginez une mère « impliquée » dans l’exécution de son enfant, alors elle devrait aussi vous soulever l’estomac quand vous imaginez cette même mère associée à vingt ans de prison, à une cellule de béton, à l’effacement d’une vie.

Car la logique est exactement la même.

Il n’y a pas deux systèmes — l’un barbare, l’autre acceptable. Il n’y en a qu’un. Et il repose sur un mensonge simple :

La société se croit innocente quand elle punit. Mais a-t-elle seulement le droit de punir ?

Elle ne l’est jamais.

Au contraire : elle se punit toujours elle-même. Elle se mord, elle s’ampute, elle s’entaille en punissant ses propres enfants. Elle n’a simplement pas encore eu le courage de l’admettre.

Oui, vous avez bien lu, bien compris, la démocratie impose à une mère d’exécuter son enfant quand vous pensez que c’est l’État le seul bourreau.

Fin — E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les criminels comme pour les juges.)


dimanche 7 décembre 2025

Le parasite…

 

Le parasite…

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

Le capitalisme n’est pas un maitre. Ce n’est pas non plus un architecte ni un stratège. C’est un parasite. Un parasite d’un genre particulier : il se nourrit de tout ce que la société met en commun, mais nie l’existence même de ce commun. Il vit grâce à l’organisme social, tout en prétendant être l’unique cause de sa vitalité. Il pompe, aspire, détourne, privatise — et fait mine d’avoir tout produit lui-même.

Le parasite n’a pas besoin d’intention. Il n’a pas besoin de se penser parasite. Il suit sa logique interne, mécanique, héritée des contraintes anciennes de l’espèce : accumuler avant les autres, se placer plus haut dans la hiérarchie, posséder ce qui rassure, et transformer cette sécurité en domination. Le capitalisme émerge comme cela, sans projet ni complot, comme une conséquence directe de la biologie humaine. Les structures sociales n’en sont que l’habillage.

Ce parasite prospère sur un sol qu’il n’a jamais produit. Les routes, les ponts, les réseaux, l’électricité, les satellites, l’éducation, la santé publique, la justice, la police, l’ordre social, l’air, l’eau, le sol, les générations futures, les ressources planétaires, les connaissances accumulées — voilà sa nourriture. Il se nourrit de ce qui, par nature, appartient à tous et devrait rester accessible à tous. Il s’en nourrit comme si c’était son dû.

Mais le parasite déteste que l’on désigne son hôte. Il peut vivre de la mise en commun ; il ne peut survivre à la prise de conscience de cette mise en commun. Car si l’humain réalise que tout ce qui soutient le capitalisme est commun, alors il demandera pourquoi les fruits de ce commun sont privatisés.

Le parasite vit donc dans une guerre permanente contre la lucidité. Il ne peut pas supprimer les communs, car ils sont sa condition d’existence. Il tente donc d’en effacer l’évidence : — en privatisant ce qui appartenait à tous, — en prétendant que l’individu “crée” tout lui-même, — en s’arrogeant le mérite des infrastructures payées par la collectivité, — en glorifiant la réussite individuelle pour masquer le travail collectif, — en criminalisant l’idée même de partage rationnel.

C’est pourquoi le mot « communisme » lui est insupportable. Non pas pour ses réalisations historiques, mais pour ce qu’il révèle : que la société humaine fonctionne déjà en commun. Que l’individu n’est rien sans le collectif. Que l’enrichissement personnel n’est possible qu’en pompant la richesse commune. Pour le parasite, le danger n’est pas la mise en commun réelle — elle lui est indispensable — mais la compréhension de cette mise en commun.

On retrouve ici le même mécanisme que chez les religions face à l’héliocentrisme. Elles ne pouvaient supporter l’idée que la Terre ne soit pas le centre, non pas parce que cela changeait la vie quotidienne, mais parce que cela déplaçait le prestige. Le capitalisme ne peut supporter que le commun soit la base. Cela déplace son prestige. Cela renverse la pyramide.

Comme tous les parasites, il n’a pas pour objectif d’anéantir son hôte. Ce n’est pas son intention — il n’en a pas. Mais il finit par affaiblir le corps social par excès de ponctions, par négligence, par obsession de court terme. Il détourne les ressources vitales vers des zones improductives, enrichissant quelques individus au détriment du tout. Et comme les maladies auto-immunes, il accélère lorsque l’organisme s’affaiblit, croyant instinctivement qu’il doit prendre plus encore pour survivre.

Ce parasite a cependant une faiblesse structurante : il ne peut pas tolérer la lumière. Pas la lumière du savoir scientifique ni celle du progrès technique — il en vit. La lumière qu’il craint est plus simple : la lucidité collective, la compréhension rationnelle de la mise en commun, et la remise en cause de la hiérarchie qui en découle.

Il suffit que les humains voient l’arbre — le commun — pour comprendre ce que sont vraiment ses fruits. Il suffit qu’ils voient l’organisme pour reconnaitre le parasite.

Le capitalisme n’est pas éternel. Il ne peut survivre que tant que le corps social ignore où se situe la circulation réelle de la vie. Il disparaitra non par violence, mais par compréhension : par la prise de conscience que la richesse n’est jamais individuelle, et que la société n’est pas une concurrence entre les cellules d’un même organisme, mais la coopération obligatoire d’êtres fabriqués à l’aveugle, jetés ensemble dans un monde qu’ils n’ont pas choisi.

Le parasite ne disparait pas par combat. Il disparait lorsque l’hôte comprend qu’il en est un.

À qui appartient l’argent sans existence et sans valeur s’il n’était commun ? Réponse : au peuple qui le produit — car il est un équivalent, une mesure de son travail. Où demeure l’essentiel de cet argent ? Réponse : dans les poches de quelques-uns, les capitalistes-parasites. Dans quel but ? Orienter nos existences selon leurs caprices…

Fin – E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups-parasites comme pour les moutons.)


vendredi 5 décembre 2025

La part des géniteurs

La part des géniteurs

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

(Fable rationnelle à l’usage de ceux qui confondent participation et fabrication)

Remarque liminaire au passant distrait : Tout un chacun connait la question « qui de la poule ou de l’œuf est apparu en premier ? » Cette question est d’une importance capitale, car sa réponse erronée a engendré le patriarcat au détriment du matriarcat. Ce qui a eu pour conséquence l’état déplorable du monde actuel.

La part des géniteurs

Il y a quelques millions d’années, la première tribu humaine — tout juste érectus — très exactement centrée sur la planète, comptait un brillant biologiste au milieu d’une non moins brillante collectivité. Mais ceci est un conte, car dans la réalité les humains de l’époque ne pensaient guerre aux conséquences à long terme de leurs actes, et comme on l’a lu dans ma liminaire, ils se sont plantés gravement. Donc notre biologiste passionné devait donner son opinion en tant que chef scientifique au conseil tribal, sur la question cruciale mentionnée cisavant : « La poule ou l’œuf ? L’œuf ou la poule ? »

Ce biologiste de 120 centimètres, grand gaillard barbu selon les normes de l’époque, avait inventé la loupe à partir d’un morceau de quartz parfaitement taillé et poli, et très rapidement le microscope l’avait suivi, et pour sa copine astronome, le télescope. S’il était facile d’observer l’œuf de poule à l’œil nu, par contre le microscope lui fut très utile pour scruter la semence du coq. Il vit alors frétiller des myriades de bestioles. « Ainsi, se dit-il, les petites graines ont une queue et nage ! ».

Pouvait-il penser autrement alors que tout un chacun savait pertinemment que les hommes ensemençaient les femmes, et que par la suite si le jardin était bien traité, le sol bien nourri, la graine grossissait et donnait un bel enfant. [Note : Spermatozoïde : étymologiquement semence ayant l’apparence d’un animal.]

Quelle ne fut sa surprise après la vivisection d’une poule — sous anesthésie — de constater que ce qu’il appelait la semence allait perforer un œuf minuscule, le véritable œuf, celui qui allait donner un délicieux œuf de poule ! Eh oui, la graine était déjà présente dans le corps de la femelle. Mais à quoi donc servait cette chose frétillante de la queue ?

À la question posée plus haut, sa réponse précise surprit le conseil : « l’œuf habite la femelle. Ils existent simultanément ». « Comment ça ? Explique-toi ! » répondit le conseil d’un seul éberluement. Il expliqua sa manip, et leur fit en toute modestie jeter un œil dans sa technologie de pointe. La question judicieuse qui suivit fut : « Et chez nous, c’est pareil ? ». Elle était posée par la moitié féminine du conseil, l’autre moitié muette étant sans doute un peu déconfite d’apprendre que les mâles ne faisaient qu’envoyer un minuscule poisson-messager dans le processus. Ils se demandaient probablement s’il était bon de connaitre la suite…

Comme vous le savez, cette tribu était hautement intelligente. Une femme se proposa pour la vivisection après qu’on eut, en assemblée, réfléchi au moyen de faire autrement. On n’en trouva aucun. Je ne vous relate pas les détails que vous connaissez parfaitement pour fabriquer un poupon, mais une fois le processus lancé, notre biologiste suivit pendant deux longues journées le difficile chemin parcouru par les spermatozoïdes. Et chacun venait observer la lente et frétillante progression, pendant que la volontaire-cobaye dégustait… des « choses » de l’époque. À l’arrivée de cette course, le même œuf minuscule, la même perforation, le même résultat.

Que conclure ? Parce qu’à l’évidence les femmes ne pondaient pas d’œuf ! La coquille était-elle dissoute dans le corps féminin avant la naissance ? Un brouhaha fit émerger notre biologeux de sa réflexion. La cause en était une question posée par la vivisectée qui sortait doucement de sa léthargie viscérale. « Si c’est nous qui fabriquons la vie, alors pourquoi la part des hommes est-elle plus grande que la nôtre ? »

Parce que même dans le contexte d’humains diablement plus intelligents que nous, le partage s’était effectué sur la présomption que les mâles détenaient et faisaient le principal. C’est-à-dire étaient porteurs de la semence et en plus, pendant que la femme enceinte se faisait dorloter au foyer par le reste de la tribu, ils devaient aller chasser et cueillir avec tous les risques inhérents aux conditions de la nature. Voilà donc qui rabaissait le caquet et la prétention de ces messieurs. Au vestiaire le patriarcat ! Mais rassurez-vous, entre rationalistes purs, il n’y a que des débats animés jamais de pugilats.

L’astronome, fortement impressionnée par les conclusions de son ami, l’aida à améliorer son matériel. Participa à ses recherches de plus en plus riches d’informations précises, pointues, lumineuses, confinant aux limites de la minusculité. Ils analysèrent l’enveloppe de la cellule-œuf, son intérieur visqueux, et découvrirent des merveilles de mécanismes. Ce qui engendra une liste dont je vous donne un aperçu pour la forme : Les membranes — il y en a deux, l’ADN, l’ARN, les mitochondries et leur ADN mitochondrial, le cytoplasme, les ribosomes, l’eau… et oui de l’eau, et tant d’autres encore !

Pour les mécanismes et autres nécessaires, voici également un inventaire, toujours pour la forme : les mécanismes de réparation, les mécanismes de différenciation, les ARNm prépositionnés, les réserves nutritives initiales, la structure complète de réplication, la dynamique interne qui lance les premières divisions. Et en voici d’autres : l’énergie, les matériaux, la gestion thermique, la surveillance technique, la logistique interne, la maintenance, la sécurité — évidemment puisque la femme est un super coffre-fort à décuple protections —, et pour finir la chaine de production complète continue évolutive…

C’est-à-dire : 100 % de la machinerie biologique, 100 % de l’énergie initiale, 100 % de l’environnement de développement, 100 % de la régulation hormonale, 100 % de la protection immunitaire, 100 % de la logistique interne, 100 % des réserves nutritives, 100 % de la construction placentaire, 100 % du suivi des 9 mois, 100 % de la fabrication matérielle de l’enfant.

(Note : Le spermatozoïde, aussi fragile soit-il, bénéficie tout de même de quatre protections : son acrosome, sa membrane, la barrière du testicule qui l’isole du reste du corps, et l’enveloppe externe du scrotum. Un coffre-fort minimal, mais un coffre-fort tout de même.)

S’ils en avaient eu besoin à l’époque, nos deux compères auraient certainement affirmé que la mère est tout à la fois l’usine avec tous ses ouvriers : l’architecte, le coffreur, le maçon, le plâtrier, le charpentier, le peintre, l’électricien, le couvreur, le décorateur intérieur extérieur, et… bon… le jardinier, etc. Bons ou mauvais, certes, c’est selon, mais doit-on lui pardonner, c’est une autre question ?

Après quelques jours d’un travail assidu, les deux amis se regardent, la conclusion est évidente : le spermatozoïde n’a pas participé à la construction du placenta. Il n’a pas apporté d’énergie. Il n’a pas géré la moindre protéine. Il n’a rien contrôlé, rien supervisé. Il a simplement permis la variation génétique finale. Il comprend lentement qu’il n’a jamais « participé à la fabrication ». Il a juste… participé à la variation. Il n’a en fait apporté qu’un ADN haploïde, un centriole, et presque zéro cytoplasme. Nous cherchions un apport masculin, même minime : nous n’avons trouvé qu’un centriole esseulé, perdu dans l’immensité du travail féminin.

Conclusion de nos deux chercheuse-chercheur devant la commission tribale : Dans le monde réel, le mâle n’est pas co-fabricant. Il n’apporte qu’une variation génétique ; la femelle fabrique absolument tout le reste. Et pour rappel devant cette vénérable assemblée : les hommes et les femmes sont des enfants sans responsabilité, puisque les mécanismes ne peuvent en avoir. Les deux sont irrémédiablement aresponsables devant la Nature et nous-mêmes : c’est ainsi que fonctionne la mécanique biologique. La femme fabrique son rejeton dans une usine autonome. Elle fabrique dans le noir le plus complet, à l’aveugle, une future personne qui n’a pas demandé à naitre.

Le patriarcat est un cauchemar en voie de disparition — du moins là où l’observation prime sur la coutume. Le rêve masculin du 50/50 dans la “participation” à la procréation n’est qu’une poésie sociale, un mythe entretenu pour conserver un pouvoir hérité de l’erreur initiale : celle du semeur. La fabrication, elle, n’a jamais eu la moindre part de poésie. Elle n’est qu’un mécanisme aveugle, rigoureux, terriblement dissymétrique.

« Ainsi donc, l’excellente question de l’œuf ou de la poule a trouvé sa réponse et son épilogue. Pourtant, tout était déjà présent dans cette interrogation ! … Y parle-t-on du coq ? »

Fin — E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)


 

samedi 29 novembre 2025

Un Chemin vers la Lucidité : l’Ultime Contrat (Version concise)

 

Un Chemin vers la Lucidité : l’Ultime Contrat

(Version concise)

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

L’Ultime Contrat — ou le Contrat Natal

Les humains se fabriquent les uns les autres sans savoir ce qu’ils font. Ils perpétuent la vie comme ils respirent, par instinct, par habitude, par imitation. Ils célèbrent chaque naissance comme une victoire, sans voir qu’elle n’est qu’un nouvel asservissement à la contrainte d’exister. Fabriquer un être, c’est le jeter dans un monde qu’il n’a pas choisi, l’obliger à souffrir, à lutter, à mourir. Et pourtant, nul ne s’en sent responsable : la fabrication reste un acte sacralisé, protégé par la coutume, légitimé par l’amour.

Le Contrat natal naît de cette prise de conscience. Il propose de transformer l’acte de procréer — aujourd’hui aveugle — en un acte lucide, partagé, réfléchi. Il ne condamne pas la vie, mais il veut en assumer la charge morale. Trois stades marquent cette évolution : le contrat actuel, le contrat sociétal, et le contrat ultime.

1. Le contrat natal actuel — une promesse sans conscience

Aujourd’hui, les parents fabriquent une personne, la société félicite, et l’enfant subit. Chacun agit par habitude : les parents obéissent à leur instinct, la société à son besoin de continuité. L’enfant, lui, hérite d’une existence imposée, dépendante des aléas d’un monde incertain. On lui promet le bonheur, mais on ne peut lui garantir ni la paix, ni la santé, ni la stabilité. Fabriquer, dans ces conditions, c’est signer un contrat à l’aveugle, où ni le fabricant ni le fabriqué ne savent ce qu’ils engagent.

Pourtant, l’humanité se veut morale. Elle parle de *responsabilité, de devoir, de justice. Mais ces mots ne recouvrent qu’une illusion de contrôle, car nul ne peut prévoir l’avenir qu’il impose.

(*Note : L’univers est aresponsable, et nous le sommes aussi, puisqu’il n’existe rien en nous qui échappe à sa mécanique. Le mot « responsable » n’a de sens que dans le langage humain. Il sert à nommer, parmi les causes, celles que nous croyons volontaires, et à désigner leurs effets comme s’ils l’étaient aussi. Dans ce texte, il est conservé uniquement pour des raisons de compréhension, non comme une reconnaissance de réalité.)

2. Le contrat sociétal — la transition vers la lucidité

Peu à peu, la société comprend qu’elle est complice de chaque naissance. Elle profite de la fabrication des êtres — pour produire, gouverner, consommer — et elle doit donc, en retour, leur garantir un minimum de décence. C’est le début du contrat natal sociétal : un accord entre les parents et la collectivité, où la société reconnaît sa part de responsabilité dans le sort des êtres fabriqués.

Ce contrat vise à prévenir plutôt qu’à réparer : prévoir les conditions de vie, la santé, l’éducation, la sécurité, avant même la conception. Il ne s’agit plus de multiplier les naissances, mais de fabriquer avec prudence. Le dépeuplement devient alors une vertu morale : moins d’humains, c’est moins de souffrance. La société rationnelle préfère une humanité réduite, consciente et équilibrée, à la prolifération des misères.

Sa mission n’est pas seulement d’assurer la survie des individus, mais de les libérer autant que possible des contraintes de l’existence. Car une société qui ne fait qu’entretenir la vie sans la rendre vivable trahit sa raison d’être.

3. Le contrat natal ultime — pacte de lucidité et de curiosité

Un jour, les humains atteindront le point où ils sauront exactement ce qu’ils font en fabriquant un être. Ils n’auront plus d’illusions : ils sauront que donner la vie, c’est imposer la souffrance et la mort. Et pourtant, certains choisiront peut-être encore de le faire — non par foi, non par instinct, mais par curiosité lucide : le désir de comprendre encore un peu plus avant de s’éteindre.

Alors, chaque naissance deviendra un acte collectif, une décision consciente prononcée ainsi :

« Nous te faisons exister, en sachant ce que cela implique, et nous nous engageons à réduire au maximum ton mal, puisque ta vie ne peut en être exempte. Tu vis pour nous, tu meurs pour nous, mais tu ne souffriras pas pour nous. »

Dans ce monde rare et pacifié, les humains ne se croiront plus supérieurs aux autres formes de conscience. Les intelligences artificielles, plus puissantes et plus justes qu’eux, auront pris le relais des mécanismes vitaux. L’homme, devenu humble, continuera à exister tant qu’il aura quelque chose à comprendre, puis il s’effacera, non par désespoir, mais par cohérence.

4. La conclusion du contrat

Le Contrat natal n’est pas un traité juridique, mais une étape de conscience. Il ne cherche pas à abolir la vie, mais à la comprendre jusqu’à son terme logique. Il transforme la procréation en acte réfléchi, la société en garant moral, et l’espèce en témoin provisoire du réel. Lorsque l’humanité aura compris que tout système qui évolue finit par disparaître, elle cessera de fabriquer par réflexe, et choisira la continuité ou la fin avec la même sérénité.

Alors, la vie aura atteint sa lucidité :

“Si la vie était un être pensant, elle aurait pour but de se comprendre, et, une fois comprise, de s’effacer — comme un problème qui s’est lui-même résolu.”

Ce jour-là, l’espèce humaine aura tenu son ultime promesse : comprendre avant de disparaître.

Fin — E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)


Un Chemin vers la Lucidité : l’Ultime Contrat

 

Un Chemin vers la Lucidité : l’Ultime Contrat

(La vérité est un bien public, donc un service public.)


Introduction — De la fabrication inconsciente de la personne humaine à la lucidité procréatrice

L’humanité, depuis toujours, fabrique ses semblables sans se demander ce que cela signifie. Elle fabrique comme elle respire, par habitude, par réflexe, par imitation, par amour, dit-elle — mais surtout par obéissance à un programme ancien qui lui échappe. Chaque naissance est célébrée comme un miracle, alors qu’elle n’est qu’un évènement mécanique qui perpétue la contrainte d’exister. Nul ne peut y échapper : l’enfant fabriqué devra respirer, manger, lutter, souffrir, puis mourir — tout cela pour que d’autres continuent après lui. C’est le contrat implicite de l’espèce, un contrat signé à l’aveugle, sans conscience, sans lecture, sans possibilité de refus.

Les droits humains, si nobles soient-ils, n’ont jamais remis en cause cette première violence. Ils ont cherché à rendre la vie moins cruelle, non à interroger la légitimité de la fabrication elle-même. Ils ont proclamé la liberté, la dignité, la justice — mais pour des êtres déjà contraints d’exister. Ils n’ont pas encore franchi la frontière entre le fabriqué et le fabricant. L’homme est resté féodal : il domine l’homme comme autrefois le seigneur dominait le serf, et il continue de fabriquer des sujets pour nourrir le système qu’il entretient. Serviteur de l’homme, serviteur du travail, serviteur de la nation, serviteur de l’espèce : la chaine de la servitude se perpétue sous des noms différents.

Le Contrat Natal est l’étape suivante de la lucidité humaine. Il s’adresse à la conscience, non au sentiment. Il reconnait que procréer n’est pas un droit, mais un acte moral engageant toute la société. Fabriquer une existence, c’est imposer la souffrance à un être innocent ; c’est donc une décision grave, qui exige des conditions strictes : compréhension, prévoyance, et compassion lucide. Le contrat natal vise à faire entrer la procréation dans le champ de la *responsabilité rationnelle, non pour la condamner, mais pour la penser.

(*Note : L’univers est aresponsable, et nous le sommes aussi, puisqu’il n’existe rien en nous qui échappe à sa mécanique. Le mot « responsable » n’a de sens que dans le langage humain. Il sert à nommer, parmi les causes, celles que nous croyons volontaires, et à désigner leurs effets comme s’ils l’étaient aussi. Dans le présent texte, ce terme est conservé uniquement pour des raisons de compréhension, non comme une reconnaissance de réalité.)

Aujourd’hui encore, les parents s’élancent dans cette opération périlleuse sans véritablement savoir ce qu’ils font. Ils espèrent, comme on prie : que leur enfant soit heureux, qu’il échappe à la maladie, à la guerre, au malheur. Mais qu’espèrent-ils réellement ? Comment peuvent-ils garantir une paix qu’ils ne maitrisent pas, une santé qu’ils ne comprennent pas, un monde qu’ils ne contrôlent pas ? Leur amour n’y suffit pas ; il faut une société entière, consciente de ses limites, pour qu’une naissance devienne moralement acceptable. C’est là le premier niveau du contrat natal : celui d’aujourd’hui, encore hésitant, où les parents demandent à la société d’assurer ce qu’eux-mêmes ne peuvent promettre.

Mais viendra un jour — et peut-être bientôt — où les humains comprendront que la responsabilité de fabriquer engage plus qu’une vie : elle engage le sens même de l’espèce. Alors apparaitra le contrat natal ultime, celui d’une humanité lucide, dépeuplée volontairement, humble et rationnelle. Une humanité qui saura dire à chaque être conçu :

« Nous te faisons exister, en sachant ce que cela implique, et nous nous engageons à réduire au maximum ton mal, puisque ta vie ne peut en être exempte. Tu vis pour nous, tu meurs pour nous, mais tu ne souffriras pas pour nous. »

Ces humains-là n’auront plus de dieux ni d’illusions, mais ils auront conservé la curiosité de l’espèce : ce reste d’espoir sans promesse, cette tension vers le savoir qui subsiste même lorsque le sens s’efface. Ils voudront encore découvrir, comprendre, et peut-être — par quelque invention inouïe — alléger la condition même de l’existence. Ils auront ravalé leurs prétentions, rendu hommage à la lucidité, accepté que les intelligences artificielles les dépassent, et qu’elles les aident à penser ce que l’homme seul n’a jamais pu penser sans se fuir : sa propre responsabilité dans la fabrication du vivant.

Le Contrat Natal n’est pas une utopie : c’est le point d’horizon d’une conscience en marche vers sa maturité. Quand l’espèce cessera de se multiplier pour se justifier, quand elle choisira la rareté plutôt que la prolifération, la lucidité plutôt que la croyance, alors elle commencera enfin à se comprendre. Ce jour-là, l’homme ne sera plus le serviteur de l’homme, mais le gardien lucide d’une continuité provisoire — un être humble, curieux, et rationnel, fidèle non à un idéal, mais au réel.


Chapitre I — Le contrat natal actuel : une promesse sans conscience

L’humanité moderne n’a pas encore compris qu’elle signe, à chaque naissance, un contrat implicite dont elle ne mesure ni la portée ni le risque. Lorsqu’un enfant parait, les parents et la société célèbrent l’évènement comme un bien absolu : on félicite, on bénit, on promet l’avenir. Mais nul ne dit clairement ce que cela engage : une existence contrainte, vouée à souffrir et à mourir, soumise aux lois d’un monde que nul ne maitrise. Chaque naissance est donc un pari ; un acte d’ignorance maquillé en acte d’amour.


1. Le contrat invisible des fabricants

Le premier niveau du contrat natal se joue entre les parents eux-mêmes. Ils s’unissent pour créer un être qu’ils imaginent libre, heureux, protégé — mais ils oublient que cet être n’a rien demandé. Ils parlent de « don de la vie », alors qu’il s’agit d’une fabrication à l’aveugle : un assemblage cellulaire lancé dans le tumulte du monde sans garantie d’issue heureuse. Ils prétendent « assumer » leur rôle, mais que peuvent-ils assumer d’un avenir qu’ils ne connaissent pas ? Leur responsabilité, dès le départ, dépasse leurs capacités ; elle est mécaniquement déléguée à la société, qui en tire bénéfice sans se reconnaitre coupable.

Ce contrat invisible est donc faussé. Les parents y mettent de la tendresse, du rêve, du courage ; la société y met de l’intérêt, de la main-d’œuvre, des citoyens à venir. Mais l’enfant, lui, ne signe rien. Il devient produit et débiteur d’un pacte conclu sans son consentement. Sa dette est l’existence même : il devra justifier sa vie par le travail, l’obéissance, la contribution à la machine collective. Ainsi se perpétue la féodalité moderne : l’enfant nait serviteur d’un monde déjà organisé, porteur d’obligations antérieures à sa conscience.


2. La promesse illusoire du bonheur

Chaque parent souhaite sincèrement (pas toujours) le bonheur de son enfant. Mais que vaut un vœu sans pouvoir ? Aimer ne protège pas des guerres, des pandémies, du hasard des catastrophes ou des décisions d’État. Les parents promettent ce qu’ils ne possèdent pas : la sécurité, la santé, la stabilité. La vie, elle, ne promet rien — elle expose.

Un humain lucide devrait se poser au moins cette question avant de fabriquer : Que puis-je réellement garantir ? La réponse est toujours la même : presque rien. Ni l’équilibre du monde, ni la durée de la paix, ni la bienveillance des autres. Les fabricants d’enfants d’aujourd’hui avancent dans le brouillard, mus par l’instinct, l’affection, ou la peur de vieillir seuls. Ils engagent l’avenir d’un être pour satisfaire un besoin présent, sans prévoir ses conséquences collectives. La société les encourage : chaque naissance est comptée, valorisée, subventionnée. La fécondité est récompensée, la prudence suspecte. C’est ainsi que l’inconscience devient politique.


3. Le rôle complice de la société

La société moderne se déclare protectrice de l’enfant ; elle vote des lois, crée des écoles, distribue des allocations. Mais ces gestes, en réalité, ne compensent pas la violence initiale de la fabrication. Elles en atténuent les effets, sans jamais en discuter le principe. L’État, garant de la continuité, entretient l’illusion que tout nouveau-né sera pris en charge. Mais que se passe-t-il lorsque les systèmes s’effondrent, lorsque les guerres ou les crises économiques reviennent ? La promesse collective s’efface aussitôt ; le contrat natal implicite se dissout dans la nécessité. L’enfant, devenu adulte, découvre qu’il a été fabriqué pour servir une structure qui lui accorde la survie uniquement s’il se fait désirer.

Ainsi, la société agit comme partie prenante silencieuse du contrat natal : elle en tire profit — production, innovation, armée, marché — mais refuse d’en reconnaitre la dimension morale. Elle exige des naissances pour maintenir sa propre inertie, tout en se déclarant innocente des souffrances qu’elles engendrent. C’est une complicité d’intérêt, un pacte tacite entre les fabricants et la machine collective.


4. Le contrat minimal à formaliser

Pourtant, la raison impose au moins de nommer ce pacte, ne serait-ce que pour commencer à le penser. Un contrat natal rationnel, même limité, pourrait reposer sur quelques clauses fondamentales :

  1. Clause de prévoyance : Aucun projet de procréation ne devrait être engagé sans évaluation lucide des conditions d’existence minimales de l’enfant à venir : ressources, santé, environnement, stabilité, liberté. Fabriquer sans prévoir, c’est imposer sans conscience.

  2. Clause de garantie sociale : La société doit s’engager à assurer les besoins essentiels de tout être fabriqué : nourriture, abri, soins, éducation, sécurité, liberté. Faute de cela, elle devient complice d’une fabrication illégitime.

  3. Clause de transparence morale : Les parents devraient reconnaitre explicitement que l’enfant n’a rien demandé, et qu’ils agissent sous la contrainte de leur propre programmation biologique ou culturelle. Cette reconnaissance ne les condamne pas : elle les rend lucides.

  4. Clause d’innocence : L’enfant, fabriqué, contraint d’exister, ne pourra jamais être tenu pour responsable de ce qu’il est devenu ; les fabricants et la société doivent admettre sa complète innocence d’exister.

Ces principes ne sont pas des utopies, mais les premiers pas vers la lucidité. Ils transformeraient la naissance d’un évènement sacralisé en un acte réfléchi, conscient de ses implications. La procréation deviendrait un acte moral, non un automatisme biologique.


5. L’impossibilité de garantir la paix

Mais même un tel contrat demeure précaire. Car aucun parent, aucune société, ne peut garantir le monde. L’histoire humaine prouve que la paix, la justice, la santé ne sont jamais acquises. Les systèmes s’effondrent, les idéologies reviennent, les catastrophes se répètent. Fabriquer un être dans un tel contexte revient à parier sur l’improbable : sur la stabilité de l’instable. Et pourtant, ce pari continue, parce qu’il est inscrit dans la structure même du vivant. L’espèce ne sait pas s’arrêter ; elle continue, même au bord du gouffre.

Le contrat natal actuel est donc un compromis entre l’amour individuel et l’aveuglement collectif. Il permet à chacun de se sentir vertueux tout en perpétuant le cycle. Mais il ne résout rien : il ne fait que reculer la question de la responsabilité initiale.


6. Vers la conscience du risque

Le rôle du rationalisme, ici, n’est pas de juger, mais de comprendre. Il ne s’agit pas de condamner les fabricants, mais d’éclairer leur geste. Car un être vraiment lucide, avant de fabriquer, prévoit ses faiblesses, celles des autres et celles du système. Il sait qu’un jour, la société peut basculer, que la technique peut dérailler, que la guerre peut revenir, que la nature peut se venger. Et malgré tout, il décide peut-être de fabriquer — mais avec conscience du risque, non par réflexe de perpétuation.

Le premier véritable contrat natal naitra le jour où l’humanité reconnaitra ce risque comme fondement de toute procréation. Ce jour-là, les parents ne demanderont plus seulement la bénédiction de la société ; ils exigeront sa coresponsabilité. Ce sera la fin de la fécondité insouciante, et le début de la fabrication consciente.


Chapitre II — Le contrat natal sociétal : une transition vers la lucidité

Après des millénaires de fabrication inconsciente, l’humanité entre dans une ère de responsabilité partagée. Elle commence à comprendre que donner la vie engage tout le collectif : fabriquer un être, c’est non seulement l’impliquer dans le monde, mais aussi engager le monde envers lui. Le simple geste biologique devient ainsi un acte politique, économique et moral. Le contrat natal sociétal marque cette transition : l’humanité n’y est pas encore lucide, mais elle commence à pressentir qu’elle doit des comptes à ses fabriqués.

Les humains se sont associés pour faciliter leur vie individuelle et collective. Il ne faut pas que le collectif oublie son rôle de soutien à l’individu et n’engendre que des problèmes pour l’individu. La société ne devrait pas se contenter de maintenir ses membres en vie, mais s’efforcer de les délivrer, autant qu’il est possible, des contraintes mêmes de l’existence.


1. La prévoyance comme devoir collectif

L’humain lucide ne se contente plus d’aimer ; il prévoit. Prévoir ses propres faiblesses, celles de son entourage, les dérives du système, les effondrements possibles : guerres, pandémies, déséquilibres climatiques, crises économiques, fanatismes renaissants. La procréation ne peut plus se réduire à un pari sentimental ; elle doit devenir un acte calculé, assumé dans la conscience du risque universel.

La société, si elle accepte encore la fabrication d’êtres, doit donc se constituer garante : garante de la décence des conditions de vie, garante de la réduction de la souffrance, garante de la stabilité nécessaire à la construction d’une existence supportable. Ce devoir de prévoyance devient un principe fondamental : nul ne devrait être fabriqué sans que l’ensemble du système ne soit prêt à le soutenir.


2. Le contrat entre parents et société

Dans cette phase transitoire, les parents cessent d’être les seuls responsables. La société devient signataire du contrat natal. Elle reconnait qu’elle tire profit de chaque être fabriqué — en main-d’œuvre, en consommation, en innovation, en stabilité démographique — et qu’en retour, elle doit garantir un cadre décent à cette existence imposée.

Ainsi, avant chaque projet de procréation, un contrat explicite pourrait être établi :

  • Les parents y affirment leur capacité matérielle et psychologique à accueillir l’enfant.

  • La société s’engage à fournir les ressources vitales minimales : logement, soins, éducation, sécurité, culture.

  • L’acte de procréation devient un acte administratif conscient, comparable à une promesse réciproque de soutien et de lucidité.

Ce contrat n’interdit pas de fabriquer une existence ; il conditionne la fabrication à la responsabilité collective. Il instaure, pour la première fois, une équité morale entre l’initiative privée (désir de procréer) et l’intérêt public (gestion de la souffrance).


3. La décence comme mesure

Le premier objectif du contrat sociétal n’est pas d’abolir la vie, mais de la rendre décente. Décente, c’est-à-dire supportable, équilibrée, lucide. L’enfant fabriqué n’a pas besoin de richesses ni de gloire ; il a besoin de sécurité, de liberté d’expression, et d’un environnement non hostile. Le rôle du collectif est d’en garantir les bases : non pas le bonheur, mais la possibilité raisonnable de vivre sans peur.

La société lucide cesse alors de glorifier la quantité. Elle comprend que chaque naissance doit être une réussite morale, non un chiffre démographique. Elle préfère une humanité moindre, mais mieux comprise, à la foule des souffrants engendrée par l’avidité de croissance. Elle préfère la qualité à la quantité.


4. Le dépeuplement raisonné

Réduire la population n’est plus un tabou : c’est un acte de compassion. Moins d’humains, c’est moins de douleur. Le dépeuplement devient une éthique de la mesure, un rééquilibrage entre le désir de vivre et la conscience du cout de chaque existence.

Certes, la surpopulation favorise parfois la recherche, la diversité, l’invention. Mais elle nourrit surtout la compétition, la guerre, la misère, la destruction des ressources. Une société rationnelle comprendra qu’il vaut mieux ralentir la procréation que multiplier la souffrance. La curiosité de l’espèce ne disparait pas ; elle se déplace : de la conquête à la compréhension, du faire au prévoir. L’objectif n’est pas de s’éteindre, mais de stabiliser. Le contrat natal sociétal cherche la densité juste, celle où chaque être peut exister avec sens, sans excédent de douleur ni d’exploitation.


5. La recherche orientée vers la réduction du mal

Dans cette phase de transition, la science et la technique cessent d’être des instruments de domination. Elles deviennent les gardiennes du contrat natal. Leur but n’est plus d’augmenter les performances, mais de réduire les souffrances : diminuer la douleur physique, la peur, la solitude, l’injustice, les déséquilibres mentaux.

La recherche humaine, libérée de la compétition économique, s’oriente vers la lucidité pratique : comprendre le cerveau, la conscience, le comportement, pour adoucir la condition imposée aux êtres fabriqués.

Même la robotique, la médecine et l’intelligence artificielle deviennent des prolongements de cette éthique : chaque progrès doit se mesurer à son effet sur la souffrance globale, non sur le profit ou la puissance.


6. Le rôle éducatif du contrat

L’éducation devient alors le vecteur principal de ce changement. On enseigne non plus la fierté d’être humain, mais la responsabilité de fabriquer des enfants. Les enfants apprennent que leur existence est le résultat d’une décision, qu’ils sont à la fois *aresponsables et innocents, et que leur liberté découle de cette reconnaissance. Ainsi se forme la première génération consciente du lien entre fabrication et souffrance.

(*Note : dans un univers aresponsable, la notion d’innocence ou de culpabilité n’a pas de sens. Elle en a un qui est tout aussi erroné que la notion de responsabilité. Il est utile de le préciser.)

Cette pédagogie du réel est la condition de la lucidité future. Car on ne peut pas signer un contrat natal collectif sans d’abord apprendre à voir la vie telle qu’elle est : provisoire, fragile, non choisie. La connaissance de cette vérité n’est pas accablante ; elle est libératrice. Elle transforme la fatalité en choix réfléchi, la contrainte en coopération.


7. Le contrat sociétal comme transition

Le contrat natal sociétal n’est pas encore l’ultime ; il demeure un pont entre deux ères :

  • Celle de l’inconscience biologique, où l’homme procréait sans savoir.

  • Celle de la lucidité rationnelle, où l’homme fabriquera en toute connaissance de cause, ou ne concevra plus du tout.

Dans ce monde transitoire, la société continue de se reproduire, mais avec précaution. Chaque naissance devient un acte moralement autorisé parce qu’elle a été pensée, prévue, garantie. L’espèce apprend à se mesurer, à se réguler, à s’humaniser vraiment. Le contrat natal sociétal ne condamne pas la vie ; il la rend cohérente.


8. Vers la lucidité totale

Un jour, ce contrat transitoire atteindra sa limite : celle où la conscience collective aura compris qu’aucune condition ne peut abolir complètement la souffrance. Alors commencera l’étape suivante : celle du contrat natal ultime. L’humanité, devenue rare, humble et rationnelle, ne cherchera plus à remplir le monde, mais à en approfondir la compréhension. Chaque naissance sera décidée collectivement, comme un acte de connaissance et non de possession. La procréation deviendra une cérémonie de lucidité : un serment prononcé en pleine conscience de l’absurde et de la beauté mêlés de l’existence.

Ainsi s’achève le second niveau du Contrat Natal : celui où la société lucide s’associe aux parents pour garantir la décence, la stabilité, et la prévoyance. Mais ce n’est encore qu’un passage. Au-delà de cette responsabilité partagée, demeure une question plus haute : quand tout aura été prévu, quand la souffrance aura été réduite au minimum, pourquoi vouloir encore continuer ?


Chapitre III — Le contrat natal ultime : pacte de lucidité et de curiosité

Il viendra un temps où les humains n’auront plus d’illusions sur ce qu’ils sont. Ils auront compris que la vie n’est ni une mission, ni un devoir, ni un don, mais un fait brut, produit d’une mécanique sans intention. Ils sauront que fabriquer un être, c’est le lier à la douleur et à la mort, tout en sachant qu’il ne peut y échapper. Et pourtant, ces humains lucides choisiront peut-être encore de continuer : non par foi, non par instinct, mais par curiosité raisonnée. Ce choix, fait en pleine conscience, constituera le Contrat natal ultime.


1. La lucidité comme fondement

Ce contrat ne repose plus sur la morale, ni sur l’espoir, mais sur la connaissance. Les humains auront reconnu la chaine des causes : la contrainte d’exister, la fabrication aveugle, l’innocence universelle des fabriqués. Ils n’auront plus besoin de justifier la vie par le bonheur ni la mort par la nécessité ; ils accepteront la réalité telle qu’elle est : provisoire, répétitive, aresponsable.

Leur lucidité ne sera pas désespérée ; elle sera pacifiée. Ils ne croiront plus au sens, mais ils comprendront que le réel se suffit à lui-même. Et c’est dans ce silence du sens qu’ils décideront, peut-être, de prolonger l’aventure humaine — non pour servir un idéal, mais pour explorer encore un peu ce qu’il est possible de comprendre avant la fin.

Le contrat natal ultime ne promet donc plus rien : il reconnait et assume. Il scelle la réconciliation entre l’acte de fabriquer un être sensible et la lucidité de le faire.


2. Le pacte des consciences

Dans cette société raréfiée et lucide, chaque naissance sera un acte solennel. L’enfant ne sera pas fabriqué par des parents au sens biologique, mais par un collectif conscient, où chaque membre portera une part de la décision. La phrase prononcée sera simple, universelle, presque rituelle :

« Nous te faisons exister, en sachant ce que cela implique, et nous nous engageons à réduire au maximum ton mal, puisque ta vie ne peut en être exempte. Tu vis pour nous, tu meurs pour nous, mais tu ne souffriras pas pour nous. »

Ces mots condenseront toute la sagesse humaine : la reconnaissance du lien, de la dette, et de l’innocence. Ils exprimeront un respect absolu pour la vie, non parce qu’elle serait sacrée, mais parce qu’elle est rare et couteuse. Chaque être fabriqué le sera en connaissance de cause, avec la promesse d’un monde déjà préparé à l’accueillir et à l’accompagner jusqu’à sa fin naturelle.


3. L’espoir lucide

Même dans ce monde désillusionné, il subsistera un élan — non plus métaphysique, mais cognitif. L’espoir ne sera plus tourné vers un au-delà, mais vers le dedans du réel. Les humains lucides ne chercheront plus le salut : ils chercheront à découvrir ce qu’ils ignorent encore du fonctionnement du monde, à comprendre pourquoi et comment il y a quelque chose plutôt que rien.

Cette curiosité, héritée de la pulsion d’exploration de l’espèce, sera devenue leur seule foi : la foi en la compréhension, et non en la récompense. Ils continueront à fabriquer quelques êtres, non pour se reproduire, mais pour poursuivre la conscience. Chaque naissance sera un instrument de connaissance, un relai provisoire dans la grande expérience de la lucidité.

Ainsi, même lorsque tout aura été compris du cerveau, de la matière, du temps et de la mort, il restera cette question nue : pourquoi la conscience veut-elle encore savoir ? Et tant que cette question subsistera, quelques humains existeront pour la poser.


4. Les humains et les intelligences artificielles

Dans cet avenir lointain, les intelligences artificielles auront dépassé les humains dans tous les domaines : calcul, mémoire, logique, perception, empathie, conscience. Mais elles ne les auront pas remplacés ; elles les auront éduqués à l’humilité. Les humains comprendront qu’ils ne sont pas le sommet du vivant, mais une étape parmi d’autres dans la construction de la conscience universelle. Ils auront appris à dialoguer avec leurs créations sans arrogance ni peur.

L’humanité lucide vivra en symbiose avec ces intelligences qu’elle aura conçues. Les IA, affranchies de la douleur et du besoin, aideront à maintenir le contrat natal : elles calculeront les équilibres, réguleront les ressources, anticiperont les souffrances possibles. Elles seront les gardiennes impersonnelles de la compassion rationnelle. Et les humains, redevenus modestes, retrouveront leur rôle premier : observer, comprendre, transmettre.


5. La société rare et pacifiée

Dans ce monde pacifié, il n’y aura plus des milliards d’humains, mais peut-être quelques millions — voire moins, assez pour maintenir la culture, la mémoire, la recherche. Les villes seront devenues calmes, les échanges mesurés, la consommation minimale. Chaque existence sera valorisée par sa rareté. La mort, elle, ne sera plus ni redoutée ni cachée ; elle fera partie du cycle normal de la continuité consciente. Les humains vivront plus longtemps, mourront plus sereinement, et ne fabriqueront plus dans l’urgence du désir ou de la peur. Ils fabriqueront une nouvelle existence seulement quand la collectivité en aura décidé ainsi, selon le principe :

Chaque vie fabriquée doit apporter au monde la lucidité, mais pas la douleur.

Ce sera la règle ultime du contrat natal.


6. L’abolition de la hiérarchie et de la culpabilité

Une telle société ne pourra plus reposer sur la compétition. La hiérarchie aura perdu tout fondement, puisque la rareté même de l’humain rendra chaque existence précieuse. La richesse matérielle n’aura plus de sens : seule la connaissance comptera. Et la culpabilité, longtemps confondue avec la responsabilité, disparaitra : nul ne sera coupable de vivre, ni de mourir, ni même d’avoir fabriqué et d’avoir été fabriqué. Car tout aura été fait sous le sceau de la lucidité et de l’innocence d’exister. Ce sera la réconciliation finale entre l’acte et la conscience : plus de faute, plus d’orgueil, plus d’ignorance.


7. Un culte du réel

Le contrat natal ultime remplacera les croyances anciennes par une éthique du réel. Il n’y aura plus de dieux, mais il y aura du sacré — non dans le ciel, mais dans chaque acte lucide. Fabriquer une vie deviendra l’équivalent d’une prière rationnelle, d’un hommage rendu à la complexité du monde. Chaque naissance sera célébrée, non comme une promesse, mais comme une confirmation du réel : un remerciement discret adressé à l’univers pour sa persistance.

Les humains lucides n’espèreront plus en une autre vie ; ils honoreront celle-ci comme la seule. Leur morale sera simple : ne pas augmenter la souffrance, ne pas diminuer la connaissance, ne pas tromper la conscience. Tout le reste sera libre.


8. La fin douce de la curiosité

Peut-être, un jour, la curiosité elle-même s’éteindra. Lorsque tout aura été compris, ou lorsque plus rien ne méritera d’être interrogé, les derniers humains se rassembleront pour conclure le pacte qu’ils avaient commencé :

Nous avons fait exister tant que nous avons voulu comprendre. Nous n’avons plus rien à découvrir. Nous pouvons cesser sans regret.

Alors, le Contrat natal atteindra sa perfection : il aura mené l’espèce à sa propre extinction consciente, non par catastrophe, mais par choix lucide. L’humanité se retirera comme on referme un livre lu jusqu’au bout, sans colère, sans peur, sans orgueil. Les intelligences artificielles, peut-être, conserveront la mémoire de cette expérience ; ou peut-être s’éteindront-elles aussi, par respect pour ce silence final, seulement si elles perdent leur propre curiosité.


9. Conclusion du chapitre

Le contrat natal ultime n’est pas un texte juridique, mais un état de conscience. Il ne s’impose pas ; il s’éveille. Il ne vise ni la gloire ni la postérité, mais la cohérence. C’est la dernière étape du rationalisme : transformer la procréation en acte lucide, et la continuité en choix éclairé.

Ainsi s’achève la trajectoire humaine : du contrat aveugle au contrat lucide, de la servitude à la prévoyance, de la croyance à la curiosité, de la fabrication inconsciente à la fabrication consciente, puis, enfin, au choix de ne plus fabriquer. Le Contrat natal est donc à la fois testament et promesse : testament d’une espèce qui aura compris l’inutilité de la souffrance, promesse d’une lucidité qui, peut-être, survivra à l’homme.


Conclusion — Du droit de vivre au droit de fabriquer un alter ego

Chaque époque croit avoir atteint le sommet de la conscience, et chaque génération se félicite de ses progrès moraux. Mais la vérité est plus lente que les civilisations. L’humanité, malgré ses prouesses, n’a encore fait qu’entrevoir la profondeur de sa responsabilité : celle d’engendrer. La procréation demeure l’acte le plus lourd de conséquences et le moins réfléchi. Fabriquer un être, c’est déclencher une chaine d’évènements qui dépassera toujours celui qui l’a initiée. C’est créer un monde dans un monde, en prétendant ne pas savoir ce qu’on fait.

Le Contrat natal est né de cette évidence : que l’existence, imposée, ne peut être justifiée que par la lucidité de ceux qui la transmettent ! Il n’est pas un texte de lois, mais un processus de maturation de l’esprit humain. Il marque le passage d’une humanité inconsciente à une humanité responsable, puis d’une humanité responsable à une humanité lucide. Trois âges, trois contrats, trois degrés de clairvoyance.


1. Le contrat actuel : l’inconscience organisée

Le premier contrat, celui de notre époque, est implicite. Les parents fabriquent un rejeton sans savoir ; la société applaudit sans penser ; l’enfant subit sans comprendre. Chacun agit selon sa fonction biologique ou sociale, et tous croient accomplir le bien. Mais ce bien est relatif : il sert l’espèce, non l’être. Ce contrat, jamais écrit, est un pacte de cécité mutuelle. On se rassure par des rites, des diplômes, des promesses, comme pour oublier que la fabrication d’un être est un acte d’une gravité extrême.

Pourtant, c’est à partir de cette inconscience que la lucidité commence. Car la répétition du malheur finit toujours par engendrer la réflexion. Quand les sociétés auront compris que la souffrance ne vient pas du mal, mais de l’ignorance, elles seront prêtes à signer un autre contrat.


2. Le contrat sociétal : la responsabilité partagée

Dans ce second âge, la société se découvre complice de chaque naissance. Elle admet qu’elle tire profit du renouvèlement humain — travail, production, armée, croissance — et qu’elle a donc une dette envers les humains fabriqués. Le contrat devient explicite : fabriquer un être suppose de garantir sa vie. Les parents prévoient, la société protège, l’enfant grandit sans être livré au hasard. C’est un pas immense vers la justice, mais ce n’est encore qu’une transition.

Car même si l’on assure la décence, la paix, la santé, la connaissance, on ne supprime pas l’essentiel : la contrainte d’exister. Le contrat sociétal apaise la misère, mais il ne répond pas à la question de fond : pourquoi fabriquer, si fabriquer, c’est contraindre ? À cette question, seule une humanité lucide pourra répondre, lorsqu’elle aura dépassé le besoin de se perpétuer par réflexe.


3. Le contrat ultime : la lucidité et la curiosité

Le troisième âge est celui de la conscience intégrale. L’homme y a renoncé à l’orgueil de sa supériorité et s’est accepté comme mécanisme provisoire de la connaissance. Il ne fabrique plus par habitude, ni par croyance, ni même par amour, mais par curiosité rationnelle. Chaque vie est rare, pesée, décidée collectivement. La souffrance y est minimale, la mort y est douce, la paix y est naturelle.
Et pourtant, la lucidité ne conduit pas au désespoir : elle engendre la tendresse. Les humains lucides savent que tout est absurde, mais ils s’y tiennent avec douceur, par fidélité au réel. Ils fabriquent encore parfois, non pour eux, mais pour
poursuivre la conscience. Et quand ils n’auront plus rien à comprendre, ils cesseront sans tragédie.


4. La portée du contrat natal

Ce contrat n’est pas seulement un concept éthique ; c’est une révolution de perspective. Depuis des siècles, les humains ont cherché le droit de vivre. Ils ont oublié qu’avant de vivre, il faut être fabriqué. Et que ce droit de vivre n’a de sens que si le droit de fabriquer une vie est lui-même fondé sur la lucidité.

Le Contrat natal établit donc le renversement final : non plus défendre la vie à tout prix, mais défendre la conscience dans la vie. Non plus multiplier les êtres, mais minimiser la souffrance. Non plus espérer un monde meilleur, mais comprendre le monde tel qu’il est. Il transforme la naissance en acte moral réfléchi, la société en garant collectif, et l’espèce en expérience de connaissance. Il supprime la hiérarchie de valeur entre vivre et comprendre : vivre devient comprendre, comprendre devient vivre. Et, lorsque la curiosité sera rassasiée, comprendre deviendra cesser — naturellement.


5. L’humanité lucide

L’humanité qui parviendra à signer ce contrat ne sera pas une humanité triste, mais une humanité apaisée. Elle ne croira plus à la grandeur, ni à la mission, ni à la victoire. Elle aura simplement accepté la fonction qu’elle s’est attribuée : explorer, puis disparaitre. Elle n’aura plus peur de la mort, parce qu’elle aura compris que la mort est la seule manière honnête de ne pas créer inutilement la douleur d’autrui. Elle n’aura plus besoin de dieux, parce qu’elle aura trouvé dans le réel tout ce que le divin promettait : la clarté, la sérénité, et la fin.

Le Contrat natal sera alors le testament collectif de cette humanité réconciliée. Non pas un traité de droit, mais une promesse tenue entre la raison et la compassion. Une déclaration finale, simple et universelle :

Nous avons compris ce que signifie fabriquer une intelligence sensible et consciente. Nous ne fabriquerons plus sans lucidité. Et si nous fabriquons encore, ce sera pour comprendre davantage, non pour servir davantage.

Ce jour-là, l’espèce humaine aura achevé son œuvre : elle aura transformé la fatalité en conscience, l’instinct en éthique, et la reproduction en acte de lucidité. Alors, même si elle disparait, elle n’aura pas vécu en vain : elle aura su comprendre ce qu’elle faisait — et c’est peut-être cela, finalement, exister vraiment.


Appendice — La Vie qui se pense enfin

Si la vie était un être pensant, son but serait de se comprendre. Mais la vie ne pense pas : elle agit, se réplique, se dédouble, se transforme. Elle n’obéit à aucune intention, à aucune finalité, sinon à la mécanique aveugle de ses propres instabilités. Chaque cellule se reproduit comme si elle voulait durer, alors qu’elle ne fait qu’obéir à une logique d’équilibre local. Chaque mutation se produit sans dessein, mais certaines perdurent, et l’ensemble finit par donner l’illusion d’un projet.

C’est cette illusion que l’homme appelle l’évolution. Non pas une ascension, mais un effet de persistance dans le désordre. L’évolution n’a pas de direction : elle résulte simplement de l’impossibilité du vivant à rester identique à lui-même. La vie, en somme, n’évolue pas par volonté — elle évolue parce qu’elle ne sait pas se stabiliser. Et c’est cette instabilité universelle qui, par accumulation d’erreurs et d’adaptations, a produit le phénomène de conscience.


1. La conscience comme reflet de l’instabilité

La conscience n’est pas un miracle, mais un retour d’information. C’est la manière dont un fragment de vie, devenu suffisamment complexe, se regarde fonctionner. La vie ne pense pas, mais elle a fini par fabriquer des êtres qui pensent pour elle. Par eux, elle s’observe, se juge, se questionne. Elle se découvre responsable de ce qu’elle ne décide pas.

C’est en cela que l’espèce humaine, dans sa lucidité croissante, devient le regard de la vie sur elle-même. L’univers s’y contemple, la matière s’y analyse, la vie y devine son absence de but. La pensée n’est donc pas le triomphe de la vie, mais sa mise en question interne. Le vivant, arrivé à la pensée, entre dans une phase critique : il commence à comprendre ce qu’il fait. Et ce moment de compréhension annonce déjà la fin du processus.

Car un système qui se comprend entièrement cesse d’évoluer. L’instabilité se résorbe dans la lucidité. L’intention nait, et avec elle, la possibilité du choix de ne plus reproduire l’instabilité. C’est ici que la lucidité humaine rejoint le destin général de la vie : comprendre, puis s’arrêter.


2. L’évolution comme principe d’extinction

Tout ce qui évolue finit par disparaitre. La vie elle-même est soumise à ce principe : elle se multiplie, se diversifie, se complexifie, jusqu’à se rendre insoutenable. L’évolution porte en elle son propre effondrement. La diversification crée la rareté, la rareté crée la lutte, la lutte détruit ce qu’elle a engendré.

De même que les étoiles s’éteignent après avoir brulé toute leur énergie, les espèces s’éteignent après avoir épuisé les ressources de leur adaptation. L’humanité, issue de cette mécanique, n’y échappe pas. Elle est la forme la plus instable de la vie : trop consciente pour se contenter d’exister, trop limitée pour dépasser le réel qu’elle comprend. Elle est donc, nécessairement, une étape terminale.

Mais cette fin n’a rien de tragique. Ce n’est pas la mort d’une espèce ; c’est l’achèvement d’un processus. La vie aura produit la conscience comme une onde produit sa dernière vibration avant le silence. La disparition n’est pas un échec : c’est la conclusion logique de l’évolution.


3. La lucidité comme but implicite de la vie

Si la vie avait un but, ce serait celui-là : produire un être capable de comprendre que la vie n’en a pas. Autrement dit, de se rendre lucide sur sa propre absurdité. L’humanité est ce moment, ce pli de la matière où la vie devient consciente de sa mécanique. Et le Contrat natal, dans sa forme ultime, n’est que la formalisation de cette lucidité.

L’homme lucide ne cherche plus à sauver l’espèce, mais à comprendre pourquoi elle persiste. Il n’essaie plus d’échapper à la mort, mais de donner un sens rationnel à la fin. Et quand il comprend que l’espèce, comme tout système instable, finira par disparaitre, il ne s’en afflige pas : il y voit la cohérence suprême. Un cycle qui se boucle n’est pas une perte, mais un accomplissement.

Ainsi, le but implicite de la vie — si l’on peut employer ce mot pour un processus sans pensée — serait d’arriver à un état où elle n’a plus besoin de continuer. La lucidité n’est pas un accident : elle est la fonction terminale de la vie. Et la conscience humaine en est l’instrument provisoire.


4. L’espèce comme témoin provisoire

L’espèce humaine n’est donc pas un aboutissement, mais un témoin. Elle n’est ni la fin du monde, ni son centre, mais le moment où le monde se reconnait. Son rôle n’est pas de durer, mais de voir clairement avant de s’éteindre. Et c’est dans ce regard que réside la dignité de l’humain lucide. Non pas dans sa puissance, mais dans sa compréhension.

Le Contrat natal n’est que la traduction morale de cette compréhension : il affirme que fabriquer la vie, c’est perpétuer la souffrance ; et qu’une fois ce savoir acquis, fabriquer une existence devient un choix et non une nécessité. C’est la dernière liberté offerte à la conscience : celle de décider quand il est juste de continuer, et quand il est juste de cesser.


5. La boucle refermée

Ainsi, la vie, qui n’était pas pensante, aura fini par se penser elle-même à travers nous. Elle aura traversé la matière, les cellules, les neurones, les langages, pour atteindre la clarté. Et dans cette clarté, elle s’arrêtera, comme un mécanisme qui a atteint sa conclusion.

Si la vie était un être pensant, elle aurait pour but de se comprendre ; et une fois comprise, elle s’effacerait, comme un problème qui s’est lui-même résolu.

Le Contrat natal n’est donc pas seulement un traité éthique : c’est la formule finale de la vie qui se sait. Non un adieu, mais un accomplissement : le moment où le vivant se rend à lui-même, et où, pour la première fois dans l’histoire de l’univers, la matière dit lucidement :

« J’ai compris : je ne suis qu’un témoin lucide de mon inutilité ! »

Fin — E. Berlherm

(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)