(La vérité est un bien public, donc un service public.)
(La vérité se répand, elle ne s'étouffe que dans la bouche du dictateur.)
Si maitre Badinter avait connu et compris le principe d'innocence d'exister, il aurait pu interpeler les députés de cette manière :
Mesdames, Messieurs les députés,
En cet instant solennel, je me tiens devant vous pour plaider une cause qui transcende l’abolition de la peine de mort elle-même : celle de l’abolition de toutes les peines qui infligent à un être humain une rétribution fondée sur la notion de responsabilité. Ce plaidoyer repose sur un principe fondamental, trop souvent ignoré, celui de l’innocence d’exister. Je viens démontrer que cette notion doit être le fondement de toute justice véritable.
L’humanité a parcouru un long chemin depuis qu’elle a aboli les pratiques les plus barbares, comme l’esclavage et la torture, mais elle continue de s’enfermer dans un paradigme qui repose sur une erreur fondamentale : celui de croire que l’homme est responsable de ses actes. Or, nous savons aujourd’hui, grâce aux progrès de la science et de la raison, que l’univers, dans sa structure même, est dépourvu de volonté. Il est régi par des lois naturelles, implacables et neutres. En tant que parties de cet univers, nous, êtres humains, ne faisons pas exception.
La notion de responsabilité, qui sous-tend notre système judiciaire, repose sur une fiction : celle de l’autonomie absolue de l’individu. Pourtant, tout dans notre existence – notre génétique, notre environnement, nos expériences – est le fruit de causes qui nous précèdent. Nul ne choisit de naître, nul ne choisit les conditions dans lesquelles il agit. En ce sens, chaque être humain est innocent dans son existence et dans ses actes. Cette vérité, si difficile à admettre, est pourtant incontournable.
Prenons un instant pour examiner la peine elle-même. Quelle en est la finalité ? Elle se présente comme une réponse aux actes répréhensibles, une tentative de justice visant à compenser une atteinte causée à la société ou à un individu. Mais cette réponse repose sur une logique qui confond causalité et culpabilité. La causalité – le fait que certains événements mènent à d’autres – est une réalité. La culpabilité, en revanche, suppose une intention et une liberté d’agir qui sont des illusions dans un univers déterminé. Lorsque nous appliquons une peine, nous faisons peser sur l’individu la charge d’une volonté qu’il ne possède pas.
Il ne s’agit pas ici de nier la nécessité de protéger la société contre certains comportements dangereux. Cette protection est essentielle. Mais elle doit se dégager de l’idée punitive. Nous devons évoluer vers une société qui soigne plutôt qu’elle ne châtie, qui prévient plutôt qu’elle ne condamne. La détention, si elle demeure, ne devrait être qu’une mesure de sécurité temporaire, accompagnée d’un véritable effort de réhabilitation et de compréhension des causes ayant mené à l’acte.
C’est ici que la notion d’innocence d’exister prend toute sa force. Chaque être humain, qu’il soit auteur ou victime, est le produit d’un enchaînement de circonstances qui échappent à son contrôle. En reconnaissant cette vérité, nous pouvons transformer la justice : d’une machine punitive, elle peut devenir une institution réparatrice et éclairée. Une justice qui ne cherche plus à réprimer, mais à comprendre ; qui ne s’acharne plus à punir, mais s’efforce de guérir les plaies sociales et personnelles.
Lorsque nous avons aboli la peine de mort, nous avons franchi un cap moral décisif. Nous avons déclaré que la vie humaine est inviolable, que nul n’a le droit de prendre celle d’un autre, même au nom de la justice. Mais si la vie est inviolable, alors pourquoi accepterions-nous que la liberté ou la dignité soient violées par des peines, fondées sur des prémisses erronées ? Pourquoi persister dans un système qui s’appuie sur des concepts de faute et de rétribution dépassés ?
Imaginez une société où la justice ne condamne plus, mais éduque. Une société où l’accent est mis sur la prévention des comportements antisociaux, grâce à l’éducation, au soutien psychologique et à l’accompagnement. Une société qui investit dans la compréhension des mécanismes humains plutôt que dans l’entretien de prisons surpeuplées. Cette société n’est pas une utopie inaccessible ; elle est à notre portée si nous avons le courage de repenser les fondements de notre justice.
Mesdames, Messieurs, l’heure est venue de faire un choix audacieux et éclairé. En reconnaissant l’innocence d’exister, nous pouvons construire une justice qui reflète les idéaux les plus élevés de l’humanité. Une justice qui ne tue pas, mais qui répare. Une justice qui ne punit pas, mais qui éveille. Une justice qui, loin de diviser, réunit dans un effort commun pour comprendre et prévenir.
Le chemin sera long, mais il est le seul qui soit digne de notre condition humaine. Je vous invite aujourd’hui à entamer cette marche avec courage et détermination. Ensemble, faisons de la justice une source d’espoir plutôt qu’un instrument de peur.
Je vous remercie.
Discours qui aurait pu être prononcé par l'émanation de Maitre Badinter. La société attend son Justicier.
« Croire c'est perdre la raison, que gagnent les humains à perdre ce qui les différencie des animaux ? »
Fin – E. Berlherm