dimanche 15 juin 2025

Cinq Questions Existentielles

 

Cinq Questions Existentielles

(La vérité est un bien public, donc un service public)


1) Utilité de l’existence : (La Vie dans son ensemble, l’espèce humaine, la société et les nations, l’individu)

2) Comparaison des préjudices : (Personne existante et personne que l’on désire fabriquer)

3) Procréation animale sans contrôle : (Animalité Vs Humanité)

4) Les précurseurs de l’existence : (Ovocyte et spermatozoïde, embryon et fœtus, nourriture)

5) Procréation mère de tous les crimes : (Procréation en tant que crime en soi et par complicité, et génératrice de tous les crimes et de toutes les souffrances)


1) L’utilité de l’existence

La première question à se poser est celle de l’utilité de l’existence. Peut-on justifier de produire un être si son existence même est dépourvue d’utilité ? Fabriquer un être humain sans utilité, c’est réaliser un acte inutile.

Mais de quelle utilité parle-t-on ? Il convient de distinguer :

  • l’utilité de la vie en général,

  • l’utilité de notre espèce en particulier,

  • L’utilité de la société,

  • l’utilité de la nation,

  • et l’utilité de chaque individu.

Pour chacune de ces dimensions, il convient d’examiner l’utilité à trois étapes cruciales : avant, pendant et après la vie. Avant la vie, aucune utilité ne semble évidente, puisqu’il n’y a personne pour en bénéficier. Pendant la vie, l’utilité est souvent perçue mais rarement démontrée objectivement : la société humaine crée des récits, des croyances, des mythes et des valeurs artificielles afin de combler le vide de sens inhérent à l’existence elle-même. Enfin, après la vie, quelle est l’utilité de ce qui a été vécu, sachant que tout individu disparaîtra un jour, et que toute espèce, y compris la nôtre, est vouée à l’extinction ? Quelle est l’utilité de toutes les Cultures variées de chaque peuple, de tout le Savoir humain — la Science, qui vont toutes disparaître sans exception ?

Quand on existe, le seul suspense est de savoir quand la mort surviendra : trop tôt, plus tôt que prévu, plus tôt que « normal ». Mais on va mourir de toute façon. La vie est donc un simple couloir vers la mort.

À l’inverse, quand on n’existe pas, il n’y a pas de risque — et pourtant, c’est là que l’existant impose la vie en la fabriquant à l’aveugle, aléatoirement. On fabrique un être sans qu’il ait demandé à être là. Sans utilité. Avec en prime la certitude pour lui de mourir. On lui donne une existence dont il ne peut tirer ni utilité préalable, ni garantie de bonheur. En fait on ne lui donne rien, car on donne à quelqu’un d’existant. Ce n’est donc ni un cadeau ni un bénéfice d’avoir été fabriqué.

Produire une existence inutile, c’est fabriquer inutilement, et cette inutilité frappe surtout celui qui n’existait pas encore. Pourquoi fabriquer quelqu’un, si c’est pour lui faire courir tous les risques liés à la vie, dont celui non négligeable d’être malheureux — comme le sont d’innombrables humains sur cette planète ? Et comme devrait l’être toute personne empathique devant la souffrance des autres, visible ou pas.

Quelle a été l’utilité de :

  • la première cellule ?

  • la première forme de vie multicellulaire ?

  • la première coccinelle, le premier asticot, le premier oiseau ?

  • le premier être humain ?

Ces créations s’inscrivent dans une chaîne de continuité, mais cette continuité elle-même est-elle utile ? Toute espèce est vouée à disparaître. À quoi bon vouloir pérenniser ce qui ne peut être pérenne ?

Dès lors, quelle est l’utilité de créer un nouvel individu ? Pour lui-même, il n’y en a aucune. L’utilité ne se trouve que du côté du fabricant : compagnon, prolongement de soi, soutien, renfort économique ou politique — un citoyen supplémentaire, un vecteur de PIB. C’est un acte politique que de faire un enfant, dans ce cas.

Mais pour la personne fabriquée ? Quelle est son utilité pour elle-même ? Il n’y en a pas. Et c’est là que l’interrogation éthique surgit.

On pourrait opposer à l’utilité instrumentale une potentielle valeur intrinsèque de la vie ; cependant, même cette notion reste problématique, puisqu’elle est attribuée sans le consentement de l’être créé. Face à l’absence d’utilité évidente, les sociétés humaines inventent des récits (mythes, croyances, philosophies) pour donner l’impression que l’existence possède une valeur intrinsèque.

L’absence apparente d’utilité plonge souvent l’individu dans une quête anxieuse de sens, générant parfois une souffrance psychologique aiguë face à l’absurdité perçue de la vie. » La perpétuation d’une existence sans justification éthique entraîne non seulement une souffrance individuelle, mais aggrave aussi les dommages écologiques irréversibles causés par l’expansion humaine.

L’existence humaine est souvent perçue comme une norme imposée, rarement remise en question ouvertement, renforçant ainsi l’idée erronée d’une utilité implicite et absolue de la vie. Celui qui fabrique une vie sans justification éthique prend une responsabilité immense : il impose une existence potentiellement douloureuse sans possibilité de consentement préalable.

L’utilité prétendue de l’existence humaine est souvent évaluée à très court terme ou à une échelle strictement individuelle. Or, une véritable réflexion sur l’utilité devrait considérer les conséquences globales et à long terme de l’existence humaine, telles que la souffrance future des générations à venir, la préservation des ressources planétaires, ou encore les crises environnementales irréversibles.

La problématique écologique accentue encore ce questionnement. La multiplication humaine incontrôlée, motivée par des besoins sociaux ou économiques immédiats et superficiels, accélère la destruction de l’environnement, mettant ainsi en péril toutes les formes de vie sur Terre. L’absence de réflexion sur l’utilité réelle de l’existence contribue donc directement aux crises écologiques et sociales majeures qui menacent l’équilibre même de notre planète. A-t-on seulement réfléchi à la surpopulation locale comme l’a fait mon matheux d’un lointain passé ?

Il existe également une pression sociale implicite à considérer l’existence comme une obligation naturelle et évidente. Rares sont ceux qui osent remettre en question publiquement le bien-fondé de l’acte de procréation. Cette obligation sociale rend plus difficile la prise de conscience individuelle et collective des responsabilités éthiques associées à l’acte de fabrication d’un être humain.

Si l’humain est capable de réfléchir à l’utilité de ses moindres gestes — alors pourquoi ne s’interroge-t-il pas sur l’utilité d’imposer l’existence à autrui ?

En conclusion, la réflexion sur l’utilité de l’existence dépasse largement la simple interrogation philosophique : elle constitue une nécessité éthique fondamentale pour toute décision consciente et responsable en matière de procréation. Puisque la vie est une question d’éthique et de Justice, alors il faut en passer par la justice ! La justice doit imposer l’éducation.


2) Préjudice absolu et préjudice relatif

Il est essentiel de distinguer deux formes de préjudice : celui que l’on inflige à une personne déjà existante, et celui que l’on inflige en fabriquant une personne.

Le préjudice subi par un individu déjà existant est relatif : c’est une perte, une douleur, un accident, une maladie, parfois même la mort. Mais ces risques font partie intégrante de la condition humaine. La personne, une fois née, peut adopter des stratégies pour réduire ces risques : prudence, prévention, protection. Elle peut même, dans certains cas, se défendre ou chercher réparation. Les aléas sont nombreux, mais non absolus.

En revanche, le préjudice infligé par la fabrication même d’un être est d’un autre ordre. C’est un préjudice absolu, infini, car il n’existait aucun risque auparavant. Le passage du néant à l’existence est un passage de zéro à tous les risques possibles : souffrir, mourir, perdre, être abandonné, subir l’injustice, être torturé, être oublié… Autant de possibilités imposées sans que l’être ait pu s’en prémunir, ni même y consentir. Mathématiquement, les risques sont infinis.

Autrement dit, ne pas exister préserve de tout danger, de toute douleur, de toute perte. C’est l’état de sécurité parfaite, une personne non fabriquée ce sont des souffrances de tout ordre qui n’existeront jamais, qui ne seront pas fabriquées par les existants. Fabriquer un être, c’est le plonger dans une réalité où la souffrance et la fin sont garanties.

L’être déjà existant peut espérer limiter les préjudices. L’être que l’on envisage de fabriquer n’a aucune défense, car il n’a encore aucun pouvoir. Le préjudice initial est donc infini : c’est l’introduction de la vulnérabilité totale.


3) Entre animalité et humanité

La question de la procréation oppose deux dimensions fondamentales de notre condition : notre animalité instinctive et notre humanité réfléchie.

Le natalisme, sous sa forme brute, relève de l’animalité : une pulsion, un automatisme, un réflexe de perpétuation. Les animaux se reproduisent parce que c’est ainsi qu’ils sont programmés. Tant que les conditions s’y prêtent, la reproduction se fait, sans question, sans recul, sans conscience des conséquences. Aucune considération n’est accordée à la souffrance potentielle de la descendance, ni aux risques qu’elle devra affronter. C’est une mécanique aveugle, sourde à la douleur future.

Cette logique a permis à la vie de se répandre partout sur Terre, depuis les premières cellules jusqu’aux espèces dominantes. L’évolution a favorisé les plus adaptables, les plus invasifs, parfois les plus destructeurs. Et dans ce schéma de compétition, l’espèce humaine est devenue la plus forte, imposant sa domination sur les autres vivants, souvent sans réflexion, à l’image d’un processus animal amplifié.

Mais l’être humain possède aussi une autre capacité : la pensée éthique. Là où l’animal procrée, l’humain peut s’interroger. L’antinatalisme, dans cette optique, est l’expression de l’humanité consciente — une voix faible, mais lucide qui s’élève, souvent dans un désert moral, face à l’aveuglement collectif.

Là où l’animal perpétue l’espèce sans souci de justice ou de bien-être, l’humain peut choisir la réflexion éthique, tournée vers la réduction de la souffrance, la liberté, l’égalité, et une justice véritable. L’antinatalisme devient alors un symbole d’humanité aboutie, capable de résister à l’appel aveugle de l’instinct reproducteur.

Le rationaliste rejoint et approuve l’antinataliste dans son raisonnement.


4) Les précurseurs de l’existence : une autre vision de la non-existence

Les débats entre natalistes et antinatalistes font souvent référence à la non-existence. Pourtant, ce mot n’est pas tout à fait juste. Car avant l’existence consciente d’un individu, il y a ce que l’on pourrait appeler des précurseurs de l’existence : les ovocytes et les spermatozoïdes, (c’est ainsi également que sont considérés embryon et foetus).

Ce sont des éléments biologiquement bien réels, vivants à leur manière, et porteurs d’un potentiel. Alors, pourquoi ne parle-t-on pas d’eux ? Pourquoi en sélectionner quelques-uns seulement pour les transformer en personnes, alors que des milliards d’autres sont écartés, détruits, négligés ? Pourquoi ne pas « donner la vie » à tous les précurseurs, si la vie est en soi un bien à promouvoir ? Pourquoi ce tri arbitraire ? Pourquoi ne pas laisser faire l’évolution, la nature ? Que le plus fort gagne ?

Les poissons, eux, libèrent l’ensemble de leurs ovocytes en une seule fois. Certaines espèces, comme la pieuvre, pondent des centaines de milliers d’œufs, dont seuls deux survivront en moyenne temporelle jusqu’à extinction de l’espèce. Chez l’humain, au contraire, on sélectionne et contrôle drastiquement, au nom de la parentalité, de la stabilité sociale, de la gestion économique.

Ce constat rend floue la notion de non-existence absolue. Car les précurseurs existent déjà. Ils sont là, disponibles, vivants, en attente d’un évènement (la fécondation) que certains choisissent d’initier. La non-existence complète n’existe pas vraiment, puisque les éléments biologiques de l’existence sont déjà présents, et que c’est l’acte de fabrication qui les transforme en individus exposés à tous les risques. La copulation est-elle réellement un acte soumis à une volonté libre, éthique, raisonnée, empathique ? Le pouvoir d’imposer (l’existence) est-il éthique, alors que la liberté est un principe fondamental et nécessaire de la vie animale ?

Et l’on pourrait même élargir encore : la nourriture elle aussi précède l’existence ; elle est l’ensemble des briques de notre corps. Elle est disponible, parfois gratuite, présente sur Terre bien avant nous. Elle aussi est un précurseur. Tout est prêt — sauf l’accord de l’être à venir, qu’on n’attendra jamais. Les mères n’ont-elles pas besoin d’être alimentées pour procréer, et bien alimentées pour procréer dans de bonnes conditions ?


5) La procréation, mère de tous les crimes

Dire que la procréation est la mère de tous les crimes, ce n’est pas une formule provocante : c’est une constatation logique. Sans procréation, aucun être humain n’existerait, et donc aucun crime humain ne pourrait être commis. L’existence des crimes est donc, en toute rigueur, conditionnée par la fabrication des individus.

Chaque naissance rend possibles tous les crimes humains — des plus anodins aux plus atroces. Ainsi, celui ou celle qui choisit de procréer introduit un être dans un monde où le crime existe, et où cet être pourra souffrir, tuer, être tué, violer ou être violé, torturer ou être torturé. Ce n’est pas une abstraction : c’est le risque réel de toute existence humaine.

Procréer, c’est donc accepter d’être à l’origine indirecte non seulement de la vie, mais aussi de toutes les violences humaines. C’est aussi valider par avance que d’autres puissent faire de même. En procréant volontairement, on accepte la règle commune : chacun a le droit de fabriquer des êtres sans leur demander leur avis, quels que soient les risques à venir.

Cette acceptation tacite fait du procréateur un complice universel : il ne peut prétendre ignorer les conséquences générales de l’acte de fabriquer un être dans ce monde. Ainsi, la procréation n’est pas seulement la cause première des crimes humains : en tant que complicité généralisée permanente, elle devient aussi le crime originel, celui qui rend tous les autres possibles.

Les humains ont inventé la notion de responsabilité dans un univers qui, lui, fonctionne comme un immense mécanisme totalement dépourvu de responsabilité (aresponsable). Ne devraient-ils pas remettre en question leurs comportements plutôt que de s'attribuer cette responsabilité comme s’ils étaient des êtres divins ? En réalité, aucun humain n'est fondamentalement responsable ; chacun possède simplement un potentiel d’apprentissage lui permettant d'évoluer. Quoi qu'il en soit, puisque votre existence vous a été imposée, vous demeurez innocents d’exister en permanence, malgré les fantasmes de responsabilité que vous entretenez. Un fantasme de plus… Cessez de punir et de vous punir ! Éduquez !

Fin – E. Berlherm

[La contrainte d’existence implique l’innocence d’exister en permanence.]

vendredi 9 mai 2025

Une pièce dans la machine

 

Une pièce dans la machine

(La vérité est un bien public, donc un service public.)

Une pièce dans la machine. Voilà qui pourrait résumer notre condition : avant même d’avoir pu désirer notre propre existence, nous sommes déjà engagés dans un processus de facturation où tout se monnaie, y compris la liberté.

La première forme de liberté apparait dans la faculté de se mouvoir : faire un pas, prendre une inspiration, courir sans but précis, simplement pour ressentir l’existence. Pourtant, ce mouvement initial, que l’on imaginerait spontané, se voit d’emblée assorti d’un prix. Le déplacement s’achète, et pas seulement au prix de la basket, l’inspiration devient un produit, et chacun de nos gestes nécessite une contribution.

Notre venue au monde, déjà, implique une dette. Se nourrir exige un travail, et tout travail est monnayé, tout revenu taxé. Dès la naissance, nous sommes contraints de « rembourser » cette appartenance à l’humanité qui, en théorie, devrait nous accorder sans contrepartie les moyens de subsister.

En effet, les enfants sont désirés. Les travailleurs sont désirés. Mais pour acquérir un semblant de bienêtre, nous devons nous rendre désirables aux yeux d’une société où chaque élément vital est conditionné par le marché. Or, avant même notre « fabrication », avant que l’on nous donne une forme et une place sur cette Terre, nous ne pouvions pas désirer la liberté, puisque nous n’existions pas. Cette liberté nous fut supposément offerte, mais dans un cadre où tout se paie, tout se justifie.

Pourquoi nos « fabricants », qu’il s’agisse de nos parents ou de l’organisation sociale qui nous accueille, ne nous octroient-ils pas cette liberté qu’ils vantent ? L’eau, dont nous sommes en grande partie constitués, est facturée en raison de sa mise à disposition et du filtrage rendu nécessaire par notre surnombre. L’air, que l’on croit gratuit, fait l’objet de taxes, de filtres et d’appareils payants censés le purifier.

Ainsi, même le déplacement, symbole archétypal de la liberté, nous est présenté comme un droit, tout en se révélant onéreux. Les véhicules censés émanciper nos pas deviennent autant de « carrosses d’acier » dont l’entretien et la consommation s’apparentent à une rançon, incluant ce fameux « filtre » qui prétend limiter l’empreinte polluante que nous laissons. À chaque kilomètre, nous repassons à la caisse ; à chaque étape, nous voilà redevables.

Sans eau ni nourriture, pas de survie. Sans air, pas de souffle. Sans mouvement, pas de liberté. Mais tout cela a un cout, entrelacé à nos actes quotidiens, faisant de notre existence un flux constant de transactions.

En outre, si la vie est ainsi imposée, la mort l’est tout autant. Nous ne l’avons pas désirée, pas plus que nous n’avons choisi de naitre. Pourtant, la finitude nous est promise comme une forme de condamnation : qu’on la voie comme un simple terme ou une punition, elle clôt inévitablement le parcours que nous n’avons pas voulu initier, mais que nous ne pouvons cesser d’accomplir. Nous sommes convoqués à l’existence, puis assignés à en sortir, sans égard à nos préférences profondes.

Dès lors, nous voilà, êtres désirés, mais non désirants quant à notre propre origine, désormais conscients du poids économique, social et existentiel que revêt chaque respiration. La machine bureaucratique, censée préserver nos libertés, n’en garantit souvent que l’illusion, au prix d’une facturation incessante. La mort, quant à elle, n’est pas moins imposée que la vie : nous ne la souhaitons pas, du moins pas initialement, mais elle surgit comme un verdict inéluctable, scellant les comptes ouverts dès notre venue.

Finalement, si l’on nous a appelés à vivre, si l’on nous a, d’une certaine façon, « désirés », pourquoi ne bénéficions-nous pas d’emblée de ces ressources essentielles sans condition ? Pourquoi ce système nous contraint-il à payer pour perdurer, puis nous rappelle-t-il, au terme du voyage, que nous n’étions que locataires de cette existence ?

Une pièce dans la machine. Jusqu’à la dernière seconde, nous glissons notre obole dans l’engrenage : un geste qui révèle la paradoxale réalité de notre condition. Nous n’avons pas choisi de naitre, et nous ne voulons pas mourir, mais nous finissons par régler malgré tout le prix du passage.

Fin – E. Berlherm

jeudi 3 avril 2025

 

Le Mythe de Sisyphe


(La vérité est un bien public, donc un service public.)

Sisyphe est condamné par un dieu, qu’il a tenté de rouler dans la farine, à pousser un énorme rocher au sommet d’une montagne, mais avant de parvenir au sommet le rocher lui échappe et dévale la pente.

Ce que la légende ne dit pas, c’est qu’au bas de la montagne il y a des villages habités, ou plutôt pour le dire humainement, des personnes, leurs habitations et leurs champs. Et lorsque le rocher dévale la montagne, il crée une avalanche qui va détruire des vies humaines et autres animaux.

On peut imaginer que Sisyphe met 30 ans pour gravir la montagne (il fonctionne probablement à l’énergie solaire), et que pendant cette escalade de nouveaux habitants vont s’installer au bas de la montagne et faire des enfants, comme ont l’habitude de faire les humains imprévoyants, sans éthiques, inventeurs de contes à dormir debout pour justifier leurs actes et existences, et socialement amnésiques.


La question est : qui est responsable de la mort de ces êtres ? Plusieurs réponses sont possibles :

  1. Personne ou tout le monde,

  2. Le rocher,

  3. Sisyphe lui-même,

  4. Le dieu qui a condamné Sisyphe à produire cet acte absurde ?

  5. Les villageois qui se sont installés au pied de la montagne.

La réponse « personne ou tout le monde » est plausible ; puisque quand il y a trop de causes on ne peut en désigner aucune sauf de responsabiliser l’univers, le grand TOUT (mais qui s’en fout royalement).

La réponse « le rocher » est également possible, puisque pourquoi ne pas responsabiliser une chose mécanique qui n’a pas demandé à être alors qu’humains et dieux n’ont pas plus demandé à exister, et comment donc pourrait-il être responsable d’actions qu’il n’aurait pas commises sans cette existence imposée, tout comme le rocher. (Les humains d’ailleurs sont des machines composées d’organes qui sont actifs sans se soucier de l’humain qu’ils garnissent, car eux-mêmes composés d’éléments auto-actifs (d’ailleurs, quelqu’un peut-il me dire si les particules sont fonction de l’univers ou l’inverse ?). Et quant aux dieux il est tout aussi probable qu’ils ne possèdent pas plus de liberté puisqu’ils fonctionnent comme des hommes à quelques détails de puissance et de temporalité près.)

La réponse « Sisyphe » est la première qui vient à l’esprit, car il pourrait refuser de pousser le rocher, qu’est-ce que ça lui couterait ? Une vie plus courte, si les dieux l’éliminent, et la fin de toute absurdité en ce qui le concerne ! Pourquoi Sisyphe obéit-il ? Si son geste est forcé, alors il n’est qu’une machine ; et s’il ne le sait déjà, c’est du moins ce qu’il devrait se dire du fait de cette contrainte… Ressent-il quelque chose en tant que machine ? Sa pensée libre est-elle prisonnière de la machine corporelle ? Ce serait bien étrange.

La réponse « Zeus » ou « Hadès » ou encore « Prométhée », le premier parce qu’il demande à Hadès de punir Sisyphe, le deuxième parce qu’il punit, le troisième parce qu’il crée les hommes. Ou encore si l’on remonte plus loin, celui qui a créé les dieux et si personne ne les a créés alors personne n’est responsable. La responsabilité étant comme l’inverse des poupées Matriochka, c’est la plus grosse qui gagne le gros lot de la responsabilité générale.

La réponse « les villageois » est tout aussi plausible, pourquoi les villageois se sont-ils placés à un endroit dangereux ? Sont-ils stupides au point de ne pas connaitre les risques de vivre au pied de cette montagne hantée par un demi-dieu pousseur de caillou ? S’ils sont nombreux, la somme de chaque intelligence ne devrait-elle pas donner une intelligence plus grande ?

(Une question que ne s’est pas posée les conteurs de Sisyphe : combien de temps faut-il au rocher pour s’éroder et qu’il devienne si petit que Sisyphe n’ait plus qu’à le mettre dans sa poche ? J’en ai une autre : pourquoi ne pas simplement lui imposer de grimper et de redescendre inlassablement la montagne sans avoir à pousser de rocher ?)

« La vie vaut-elle la peine d’être vécue ? » interroge Camus. Pourquoi le philosophe n’a-t-il pas posé la seule et véritable question : « La vie vaut-elle la peine d’être infligée ? »

Camus parle de l’absurdité de l’existence. Il semble ne parler que de l’existence de l’individu, qui (l’individu) pourrait résoudre ce problème existentiel en se suicidant ; mais en diffusant son opinion Camus s’adresse à l’humanité entière, dans ce cas la question de l’absurdité n’est-elle pas celle de l’existence de l’humanité dans son ensemble ? L’humanité pourrait-elle résoudre le problème d’absurdité de l’existence en se suicidant ? Mais l’humanité n’est pas un être pensant, elle est composée d’individus pensants qui ont chacun leurs idées sur la question, et leur mot à dire.

Pourtant un moyen simple existe, sans avoir à se suicider individuellement, sans douleur autre qu’une petite souffrance psychologique : c’est celui de ne pas avoir à faire se poser la question à des enfants que l’on contraint à exister, et ainsi pas de pérennisation de cette souffrance psychologique et surtout plus aucune autre, et plus de morts du tout. Ne faites pas d’enfant et ainsi l’humanité n’aura pas à se détruire par la violence, mais se dissipera comme une brume, comme une espèce qui s’éteint en douceur. Pas de vie, pas de questionnement, pas de risque, pas de danger, pas de souffrance, pas de mort.

Voici une autre interprétation du Mythe de Sisyphe : pousser le rocher vers le sommet, c’est copuler sans raison. Ensuite le rocher (l’œuf fécondé) dévale la pente, crée une avalanche de rocailles (trente-sept-mille-milliards de cellules qui forment provisoirement un être humain). Inéluctablement l’avalanche estropie et tue les gens qui sont nés de cette copulation et s’amassent, hécatombe de squelettes, au pied de la montagne de façon tout aussi absurde.

Mais Sisyphe est innocent d’exister puisqu’il a été contraint d’exister, et donc non responsable de ses actes, tous ses actes ; ceux qui précèdent sa punition comme ceux qui suivent sa punition. Si même ces dieux de la mythologie n’ont pas compris l’innocence des êtres fabriqués, sont-ils aussi divins que ça ?

Peut-il, Sisyphe le copulateur, cesser d’enfanter pour éviter de faire souffrir et mourir les gens pour rien ? Cela parait évident, n’est-ce pas. Oui, il le peut. Et tant pis pour ces salopards de dieux, de demi-dieux, et de chefs de tous poils, qui sont responsables de nos existences absurdes (responsables, mais innocents de leurs actes !). Qu’ils aillent voir le spectacle d’absurdité ailleurs, et pas au détriment d’êtres capables de souffrir…

[L’obligation d’exister implique le fait de ne pas être responsable d’exister, et donc d’être innocent de ses actes en permanence (innocent légalement et pas seulement légitimement).]

Fin – E. Berlherm