La Punition
(La vérité est un bien public, donc un service public.)
Def. de « Punir » (Dictionnaire de l’Académie française) : Issu du latin punire, « punir, châtier », dérivé de poena, « compensation, réparation ; châtiment, peine », lui-même emprunté du grec poinê, « argent versé aux parents d’une victime par les responsables de sa mort », puis « châtiment, vengeance ».
« La vie entière est une punition, car tout ce qui est contrainte par autrui est punition. »
On ne donne ni cadeau ni punition à quelqu’un qui n’existe pas encore : un non-existant ne saurait être concerné par quoi que ce soit. De même qu’une bouteille qui n’a pas encore été fabriquée n’est pas qualifiée de « non-existante » au sens où on lui refuserait quelque chose ; elle n’existe tout simplement pas. Un cadeau ou une punition suppose toujours un existant. Or, une fois la vie commencée, elle peut se dérouler de façon plus ou moins heureuse, plus ou moins douloureuse, en totalité ou par fragments. C’est seulement dans son vécu qu’elle pourrait être considérée comme un cadeau ou une punition, si l’on considère que l’on aurait pu avorter après avoir initié l’existence de la personne, afin d’éviter ses souffrances et sa mort inutiles.
L’animal apprend à survivre par l’expérience directe : distinguer ce qui est comestible, reconnaitre le danger, agir dans son environnement sans qu’aucune règle extérieure ne l’y contraigne. Il suit les mécanismes de sa nature et de la nature. L’humain, au départ en tant qu’animal, suit cette même logique. L’animal et l’humain apprennent l’autonomie dans la nature.
Mais avec l’invention du langage, une rupture majeure se produit. L’expérience devient transmissible, discutée, mémorisable ; ce qui était instinctif se transforme en autonomie pensée, réflexive et sociale. L’individu ne se contente plus d’agir : il peut décrire, commenter, projeter et, surtout, être jugé par les autres.
L’autonomie individuelle ne suffit plus dès lors que les humains vivent en groupe : chaque action a des conséquences sur autrui. C’est la société qui invente la responsabilité en convoquant les individus fautifs, en corrigeant ou sanctionnant leurs actes pour maintenir la cohésion. Ensuite, l’éducation transmet ces notions : les individus intègrent les idées de devoir, de faute et de compensation, souvent sans les remettre en question, surtout lorsque l’humanité entière légitime et utilise ces concepts. Ainsi, ce que l’on croit être une conscience personnelle de responsabilité est en réalité le produit d’un mécanisme social intériorisé. L’individu finit par se croire responsable, il se sent responsable, alors que la notion vient d’abord du collectif qui l’en a imprégné inconsciemment.
(Si la nature a ses règles, l’humain invente des règles ce qui complique la vie des individus au lieu de l’améliorer. La puissance permet d’augmenter le nombre d’humains, ce qui augmente mécaniquement la souffrance, et ce n’est pas un progrès.)
Dès ses origines, la punition est liée à la compensation d’une perte. Dans les sociétés archaïques, la mort d’un membre de la famille représentait un déficit concret : perte de force de travail, d’appui pour les travaux agricoles, ou d’assistance pour les parents âgés. La punition du coupable, ou de sa famille, prenait la forme d’une amende ou d’un paiement matériel, visant à réparer la perte.
Cette logique transforme la vie humaine en valeur économique : le temps, le travail et la survie deviennent des unités échangeables. La punition, en établissant un prix sur les torts, esquisse ce que l’on pourrait appeler une ébauche du capitalisme. Elle ne relève pas d’abord de la morale, mais de la comptabilité sociale et matérielle.
Si la responsabilité nait comme construction sociale, la punition en est l’un de ses corolaires immédiats. En citant en justice l’individu déclaré fautif, la communauté lui applique une sanction, à la fois pour rétablir un ordre perturbé et pour dissuader la répétition de l’acte. Mais ce geste collectif a des effets plus profonds : il institue un rapport d’évaluation permanente entre l’individu et la société. L’existence de la punition implique qu’il y ait des critères pour juger les conduites, et donc, par contraste, qu’il existe des comportements jugés « bons », « conformes » ou « exemplaires ».
De cette logique binaire — faute/sanction, conformité/récompense — émerge progressivement la notion de mérite. Si certains actes entrainent une punition, d’autres doivent logiquement conduire à un bénéfice, à une reconnaissance sociale. Ainsi, la punition n’est pas seulement un instrument de régulation, elle est la matrice qui engendre l’idée de mérite. L’un ne va pas sans l’autre : c’est parce qu’on peut être jugé coupable que l’on peut aussi être reconnu digne de louanges.
Le mérite apparait donc comme la face lumineuse de la punition : il n’est pas pensé comme un principe indépendant, mais comme l’inverse positif de la sanction. Là encore, l’individu intègre cette construction par l’éducation et finit par croire que son « mérite » lui appartient en propre, alors qu’il est d’abord défini et décerné par la société. Puisque nous avons été fabriqué et éduqué, personne ne mérite ses facultés bonnes ou mauvaises, jugées bonnes ou mauvaises, personne ne mérite légitimement. Le capitalisme, naissant avec la punition, s’affirme avec le mérite.
(On ne peut en vouloir aux capitalistes puisque les gouvernants sont stupides, car ce sont nos choix qui font nos représentants, donc le capitalisme et la croyance, puis s’ensuivent la pauvreté, la misère, la souffrance, etc., et tout ça pour rien…)
En pesant les actions des individus, ceux-ci perdent leur égalité, ils doivent mériter une existence qui leur a été imposée.
Au fil du temps, la punition devient aussi un outil de régulation sociale : elle évite la vengeance privée, canalise la violence, et affirme le pouvoir des chefs, des juges ou de l’État. Elle est peu à peu instrumentalisée pour distraire, impressionner ou contrôler, en introduisant une dimension symbolique et morale. (Question : pourquoi les chefs d’État, qui interdisent la violence entre leurs citoyens, s’autorisent-ils à la violence entre Nations, donc entre chefs d’État ? La Loi n’est-elle pas valable pour tous ?)
(Le capitalisme supprime l’égalité des individus. Les êtres humains ont une valeur marchande selon qu’ils sont plus ou moins désirés par les autres membres de la société, alors qu’ils ont été désirés avant que les parents ne lancent leur fabrication. La vie est un besoin mécanique de se reproduire, les humains ont inventé le besoin d’avoir une progéniture pour servir leurs intérêts personnels. Ainsi, nous devenons tous esclaves d’esclaves.)
Avec la complexification des sociétés, la punition se codifie et se monopolise. Elle n’est plus seulement réparation familiale, mais instrument de l’État et de la société pour gérer les pertes et maintenir l’ordre. La victime individuelle disparait derrière la perte sociale : le mort n’est plus seulement un fils ou un frère, mais un travailleur, un contribuable, un soldat potentiel. Le procureur et la justice incarnent cette logique : ils défendent les intérêts collectifs, gèrent les déficits humains, et assurent la cohésion du système.
Les règles écrites remplacent les réponses arbitraires. La responsabilité devient impersonnelle, l’acte est imputé à la loi plutôt qu’aux seuls juges ou à la famille. On passe de la réparation concrète à la sanction abstraite, à la dissuasion et à l’exemple ; or dissuasion et exemple ne sont pas, par définition, de la Justice.
Lorsqu’on indemnise les parents d’une victime, on reconnait en eux des victimes à part entière, en raison de leur lien de filiation. Mais pourquoi, dans ce cas, les parents de l’auteur ne sont-ils pas considérés comme responsables de ses actes, du moins de sa « fabrication » et de son éducation ? Pourquoi cette dissymétrie : d’un côté, le lien parent-enfant est renforcé, de l’autre, il est effacé ? Cette incohérence révèle que la logique juridique se fonde moins sur une rationalité cohérente que sur une gestion émotionnelle : soulager la douleur des uns, tout en protégeant les autres d’un excès de culpabilisation.
Dans ce cadre, la punition perd sa légitimité morale : elle ne sanctionne pas la « faute » naturelle de l’individu, mais régule l’impact social et économique de ses actes.
Dans cette évolution, l’éducation joue un rôle crucial : elle transforme des obligations sociales imposées en intériorisation de la culpabilité. Les individus croient agir par choix moral, mais ils reproduisent en réalité un cadre social qu’ils ont appris et accepté.
Du point de vue rationaliste et déterministe, la responsabilité individuelle telle que nous la concevons est une fiction, pas une donnée naturelle. Les individus ont été fabriqués totalement. Ils sont le produit de leur éducation, de leur environnement, de leurs contraintes biologiques et sociales. La punition, en tant que système de sanctions, ne reflète pas la nature des êtres, mais les besoins de la société pour maintenir l’ordre et gérer les pertes.
Elle perd donc sa justification morale : la « faute » n’existe pas en soi. La seule perspective cohérente consiste à transformer la punition en prévention, protection, réparation et transformation.
Même dans un univers déterministe, agir reste nécessaire : laisser faire serait inefficace et nuisible. Mais ces actions n’ont plus pour objectif la rétribution ou la vengeance, mais la régulation rationnelle et la préservation collective.
Reconnaitre la généalogie de la notion de culpabilité — c’est-à-dire son origine historique et son façonnement par des rapports de pouvoir et de discipline — permet de dépasser l’illusion qu’elle serait une vérité naturelle ou éternelle. La punition apparait pour ce qu’elle est : une construction sociale, économique et symbolique, façonnée par le besoin de préserver les ressources humaines et de maintenir le fonctionnement collectif. L’humanité ne peut plus se contenter de reproduire ces mécanismes archaïques : elle peut envisager des sociétés qui reconnaissent l’innocence d’exister permanente, où l’ordre se construit par la rationalité, la prévention et l’éducation plutôt que par la vengeance et la rétribution.
La liberté consiste à faire ce que l’on veut au moment où on le décide. Toute contrainte qui limite cette liberté agit comme une punition. Or, la liberté est inhérente à la condition d’un être vivant : en tant qu’animal auto-mobile, elle fait partie de son existence même. Mais la vie, telle qu’elle est imposée, relève de la servitude : nous avons été fabriqués pour servir les désirs ou les besoins de nos parents. Elle devient un chantage permanent : il faut se nourrir pour survivre (travaille ou crève de faim), et obéir à des lois auxquelles nous n’avons jamais consenti (respecte-les ou sois sanctionné). Enfin, la vie reste un risque permanent, car le corps est fragile et le moindre incident peut compromettre une existence « normale », imposée par notre simple appartenance à l’humanité.
Et puis il y a la punition infligée aux enfants qui n’obéissent pas à leurs parents, à leurs tuteurs ou à leurs éducateurs. Ce n’est ni une réparation ni une compensation : c’est un formatage, destiné à forcer l’enfant à se plier à la normalité, à la culture ou au culte du lieu. C’est ainsi que commence la normopathie. Les parents, incapables de « fabriquer » ou d’éduquer correctement un enfant, punissent en réalité les erreurs qu’ils commettent eux-mêmes. Si l’enfant résiste, c’est parce qu’il est mal façonné et mal éduqué par vous ; vous en êtes responsables.
Société complice, tu es pire qu’un baudet ! Un baudet réagit ; vous, vous agissez — prétendument « intentionnellement ». Tous les parents punisseurs sont stupides. Tous les éducateurs punisseurs sont stupides. Tous les législateurs sont stupides. Rares sont ceux qui échappent à cette stupidité punitive. Mais d’ailleurs, ce dressage fonctionne-t-il ? Apparemment non : malgré l’arsenal des psychologues, psychiatres et psychanalystes, rien n’y change. Les prisons se remplissent, elles s’agrandissent au rythme de la bêtise de nos parents, éducateurs, législateurs et gouvernants, véritables causes premières du désordre public mondial.
(Sur la balance, mettez sur un plateau vos prix Nobel et sur l’autre plateau installez les taulards. Comparez et vous pourrez lire la valeur de votre QI national.)
Pourquoi utilise-t-on le terme de « punition » pour les enfants ? Le but n’est pas le même que pour les adultes. Dans le cas des adultes, on pourrait croire que la punition sert à dissuader les autres membres de la société. Mais en réalité, elle vise surtout à faire peur : c’est une forme de dressage au fouet. L’enfermement, par exemple, fonctionne davantage comme un spectacle d’intimidation que comme une solution réelle ; la société se fait peur à elle-même.
En effet, c’est la société qui crée les lois, par l’intermédiaire de ses représentants. C’est donc elle qui enferme certains de ses propres membres — ceux qu’elle a elle-même mal fabriqués ou mal éduqués. Ainsi, en punissant ses membres, la société se punit elle-même, car chaque individu puni renvoie à une faute collective : complicité dans la fabrication et l’éducation.
De ce point de vue, parents de victimes comme parents de criminels, tout autant que victimes et criminels eux-mêmes, sont associés — par la loi et ses représentants — à un système qui les victimise et les punit. Les parents deviennent, par association, les bourreaux de leurs propres enfants : enfants contraints d’être partie prenante de ce système, et qui en viennent parfois à s’emprisonner ou à se détruire eux-mêmes « légalement ».
L’histoire de la punition révèle que ce que nous considérons comme naturel — culpabilité, faute, responsabilité — est en réalité une construction sociale, héritée de mécanismes économiques et pragmatiques, un pragmatisme à court terme. L’humain passe de l’autonomie instinctive à l’autonomie pensée, puis à la responsabilité intériorisée et finalement à la punition institutionnalisée. Reconnaitre cette origine permet de dépasser les notions de faute individuelle et d’inventer des sociétés qui prennent en compte soit l’aresponsabilité (absence de la notion de responsabilité dans un univers déterministe) soit l’innocence d’exister permanente, en organisant l’ordre non pas par la vengeance, mais par la rationalité, la prévention et l’éducation.
N’avez-vous jamais entendu parler du déterminisme de l’univers et de nous-mêmes par la même occasion, monsieur mon Représentant ? Et de l’innocence d’exister permanente ? Non ! Encore moins ! Vous devriez vous renseigner, ça rend intelligent.
La procréation est un féminicide ! Le patriarcat est également un féminicide !
Fin — E. Berlherm
(L’obligation d’exister implique l’innocence d’exister en permanence, ce qui est vrai pour les loups comme pour les moutons.)
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