samedi 16 décembre 2017

Coupable ou innocent


Nous savons tous que nos lois sont artificielles, c’est-à-dire qu’elles sont fabriquées par les hommes pour gérer les hommes. Mais il y a également des lois naturelles qui sont ce que le corps nous commande. Ce sont pour les plus évidentes, respirer, boire, manger, déféquer, dormir et je rajouterais nos faibles capacités musculaires et intellectuelles comparées à… qui vous voulez de bien meilleur que soi dans le règne animal ou imaginaire.

Quelle raison a une loi sociale ? C’est simple, cela signifie qu’il n’est pas naturel de faire ce que la loi vous commande, sinon elle ne serait pas nécessaire. Par exemple, comme dirait le monarque du Petit Prince, « je vous ordonne de respirer. » Il faut donc brider les récalcitrants. Les gouvernants aiment brider, c’est la seule manière qu’ils ont de montrer leur pouvoir. Exemple de loi stupide, « je vous ordonne de vous lever et de vous coucher quand je le décide, c’est moi qui commande. » Il s’agit de la loi sur le changement d’heure qui ne sert à rien d’autre que montrer la puissance du gouvernant sur tout le petit peuple. C’est la seule loi qui implique tout le monde sans qu’aucun puisse y échapper.

Supposons que vous fassiez un enfant librement, handicapé ou non vous et lui, orphelin ou non vous et lui (être handicapé ou orphelin et faire un enfant est tout à fait aberrant, plutôt immonde c’est-à-dire une saloperie innommable, car vous savez que ça peut lui arriver et ça n’a pas l’air de vous poser le moindre souci.) Vous le fabriquez donc en toute connaissance de cause et d’effet sur le pauvre morpion avec l’aval tacite de vos associés concitoyens. Vous infligez l’existence à votre enfant, qui est une personne tout comme vous, ainsi que les commandes de la Nature. (Si ça ne vous chagrine pas de donner des ordres, cela implique que vous acceptez les ordres, pourtant je sais par ouï-dire que vous ne les aimez pas beaucoup.) Ces ordres sont vos ordres puisque la procréation de votre enfant est volontaire et que vous espérez que le petit sera aussi parfait que possible… après vous être regardé dans un miroir en excluant les accidents courants qui surgissent dans la vie inopinément. Votre enfant n’est pas encore sorti du ventre de sa mère, vous peut-être, que vous lui donnez des ordres (vous peut-être si vous n’en êtes pas mortes), à commencer par celui d’exister. L’enfant va ensuite passer ses 18 premières années à subir vos autres ordres et apprendre les lois sociales avant d’être lâché comme associé à part entière dans le bouillon de culture. J’espère que vous ne vous êtes loupé nulle part. Dix-huit ans c’est beaucoup, et c’est aussi la preuve qu’il est très compliqué d’insérer une personne dans le monde, puisqu’il faut près d’un quart de sa vie (de riche occidental sinon ce sera 1/3 ou 1/2 voire moins) pour lui inculquer l’essentiel. Quant à moi, je n’ai toujours rien compris à la société qui refuse de comprendre ce qu’est un être humain, là où je ne vois aucune difficulté ! Je vous rappelle que cette personne n’a pas fait la demande d’exister, tout comme vous d’ailleurs, ce qui ne vous donnait pas l’autorisation de lui infliger la même peine, au pire ou au mieux vous auriez pu vous « venger » sur vos géniteurs. Esclaves d’esclaves d’esclaves d’esclaves d’etc., ainsi sommes-nous.

Pour l’instant je ne vois pas à quel moment votre enfant aurait pu acquérir la culpabilité d’une quelconque de ses actions, même si cette action ne vous enchante guère et contrevient aux lois sociales. À mon humble avis si la/le Frankenstein and Co que vous êtes s’est planté dans la fabrication ou l’éducation du mouflet, le blâme vous revient. Personnellement je vous l’ai octroyé, ce blâme, dès que vous avez manifesté l’envie de copuler pour donner naissance à… personne ne sait quoi à l’avance. Bon, en tant qu’animal que nous sommes tous je vous pardonne, et en tant qu’associé citoyen esclave quasi humain, je vous désapprouve totalement, car vous ne m’avez même pas demandé mon assentiment que je ne vous aurais pas accordé de toute façon, la vie étant bien trop dangereuse et surtout absurde pour être vécue. Passons.

Aujourd’hui l’enfant français ne subit pas le service militaire, ce qui fut mon cas. Mineur jusqu’à 21 ans, j’étais donc enfant soldat. Ils m’apprenaient à accepter la mort violente, et à la donner sans remords. J’étais un des moutons esclaves de service apprenti tueur de moutons adverses. Tiens, il y a des adversaires dans le jeu de la vie ! Chouette, heureux de l’apprendre ! Le monde où vous m’avez balancé n’est donc pas sain ? Et vous dites que vous m’aimez ? À l’époque j’étais un mouton domestique inconscient, formaté à l’obéissance, ils pouvaient me faire accepter n’importe quoi. Mes parents étaient de parfaits associés concitoyens fabricants d’esclaves moutons à la chaine, baby boom ! En contrepartie du boum nucléaire de Hiroshima/Nagasaki et du pilonnage de Dresde à rendre sourds les morts déchiquetés eux-mêmes. À deux mois près, j’allais au Tchad participer à la surveillance de ces bandits d’Africains toujours prêts à en découdre avec les gentils colonisateurs (GC). Seize mois d’emmerdements maximum comme dirait la loi de Murphy, encore une. Suis-je coupable de quelque chose ? Ai-je acquis un potentiel de culpabilité qui annule mon innocence d’exister tel que je suis à la demande parentale et sociale, parents et sociétés incapables de contrôler ce qu’ils font ? Je n’en ai pas l’impression.

Cherchons plus loin où cette culpabilité d’exister qui transcenderait l’innocence d’exister peut bien se cacher.

Sais-tu qu’ils t’ont fabriqué avec un sexe ces couillons ? C’est sérieux le sexe, regarde plus bas, entre tes jambes, ça s’ouvre ou ça se brandit, c’est selon. C’est tellement sérieux qu’il y a plein de lois sur le sujet. Il y a même plein de films dans la loi et hors la loi. Pourtant cette chose les parents ne t’en parlent pas, ou à peine, ils n’osent pas, alors qu’il a bien fallu qu’ils pratiquent assidument pour te contraindre à exister. C’est plus sérieux que la nourriture le sexe, c’est plus grave pour autrui, mais ils te parlent de bouffe trois étoiles à longueur de journée et jamais de libido, jamais de copulation, jamais d’intromission, jamais d’orgasme, jamais d’érection, jamais de maladie sanguine chronique. Tu apprendras la chose par surprise, un gourdin s’est dressé, le sang dégouline. Es-tu coupable quelque part de posséder l’existence et ces ordres du bas-ventre pas plus désirés que la vie elle-même ? T’ont-ils bien appris ou mal appris à contrôler tes pulsions ? Es-tu coupable de tes hormones, de posséder des hormones ? Je ne vois toujours pas où la sexualité pourrait me rendre coupable plus qu’ailleurs.

Mais au fait comment t’apprennent-ils les choses tes éducateurs ? Par quel moyen astucieux gribouillent-ils dans ton cerveau les messages de leurs lois ? Sache d’abord que la masse de neurones qui grésille entre tes oreilles tu l’as obtenue avec tout le reste, et sans aucune garantie du constructeur, c’est-à-dire Maman aidée, très peu, de papa. Tu n’en es pas responsable. C’est là-dedans que l’essentiel de notre humanité se passe. Au départ c’est comme un dico blanc sans rien écrit de culturel dedans, sans aucune définition, sans aucune connaissance, sans aucune signification, car le cerveau sera un dico qui va te donner tout à la fois information, signification, et commande corporelle, puis aussi les rêves et tout ça, les hallucinations, les croyances, et encore tout le reste. Mais c’est censé devenir une sorte de dico, ou plutôt une encyclopédie brouillonne sans signature. Tes éducateurs comme toi-même vous n’écrivez rien dans ce bouquin, ça se débrouille tout seul. Tes yeux sont ouverts, clic comme des caméras, ça enregistre on ne sait pas quoi ni où ni comment. Tes oreilles, micros, elles, sont toujours en éveil, sinon il faut mettre des tampons pour les obturer, mais ça fonctionne quand même. Comme pour les yeux le cerveau s’active en continu, on ne sait pas ce qu’il fait, mais en général ça se débrouille, et papa maman sont contents de toi quand tu répètes « parallélépipédique » sans faute ou « maman » c’est plus facile. Ils font comme si c’était toi l’opérateur de ton propre cerveau. Tu vas vite devenir un génie, quand tu n’es pas autiste. Pour la suite des milliers de mots, de millions d’actions, tout se passe de la même façon, et c’est d’autant plus de la bidouille, qu’il y a de choses enregistrées sans que tu y sois pour quoi que ce soit. Tu n’es toujours pas responsable d’exister, n’est-ce pas ? Alors pourquoi serais-tu coupable d’une action commise par un truc qui fonctionne tout seul et que tu n’as pas fabriqué, c’est-à-dire toi-même en chair et en os ?

Et pourtant, fais gaffe aux punitions. Tu n’as pas demandé à exister, mais les torgnoles peuvent se succéder, les brimades, les privations de dessert, la geôle, le bagne, Cayenne, de nos jours c’est le portable confisqué ou la console, l’argent de poche supprimé. Ils sont fort les parents pour te culpabiliser alors que tu n’es pour rien dans ce jeu de la vie ce jeu de société stupide. Mais puisqu’on leur a fait la même chose, ils répètent bêtement, c’est normal. Qui va briser l’enchainement des stupidités ? Moi moi moi moi MOI, mouah…

Les parents t’ont appris le système punitif. Il est bien ancré en toi, et tu crois qu’il est juste, que ta conduite doit être méritante, sans faute. La société prend alors le relai des punitions. Elle est complice du crime de la fabrication de ton existence, mais jamais elle ne se punira elle-même des erreurs de fabrication et d’éducation. Car elle aussi elle éduque sans savoir comment, et te punis que tu n’en sache pas plus qu’elle sur « comment as-tu pu déconner alors qu’ils sont si bons avec toi de prendre soin de toi ? » La société t’apprend à dire « je » et à prendre la responsabilité de ce corps qui a pour étiquette « je » (le patronyme que la société t’a donné), alors que la chose fonctionne toute seule. Toutes les cellules qui te composent, les milles milliards et les autres, sont toutes des automates qui n’ont aucune idée de ton existence, elles fonctionnent pour elles-mêmes, aussi égoïstement que chaque système vivant sur la planète et ailleurs. Or tu es le résultat des activités de ces cellules et du reste. Et tout ça t’a été imposé avec le démarrage de la fabrication de ton existence par la joyeuse copulation de tes parents, par la division (la multiplication) d’un ovule fécondé. Es-tu responsable de cet ovule débonnaire, de ce spermatozoïde vif et musclé qui se fraie un chemin à travers la membrane ? À quel moment deviens-tu responsable d’exister ? À quel moment ton éducation prend-elle le pas sur ton innocence d’exister ? À quel moment le « logiciel » que tes éducateurs ont tenté d’installer en toi devient-il ta responsabilité d’être ce qu’il est ? Oui, tu es tout ça, ce corps et cet intellect, mais tu n’y es pour rien. Et quand tu dis « je », c’est la chose mentale, le logiciel acquis, qui active ta bouche imposée et te fait dire « je ». Et c’est elle, ma propre boite noire mentale, qui me fait écrire tous ces mots, et je ne sais toujours pas pourquoi j’en suis arrivé là…


Y a-t-il une loi que l’on connaitrait avant notre naissance qui proclame qu’une nouvelle existence doit respecter des lois qu’elle n’aurait pas signées avant d’exister ?

Tu n’es coupable de rien puisque tu n’es pas responsable d’exister, ni d’exister tel que tu es. L’innocence de l’existence englobe toute ton existence du début à la fin, ce qui mécaniquement englobe l’univers, lui-même innocent d’être.

Nous sommes coupables quand nous dérogeons aux lois sociales. Nous sommes malgré cela innocents quand les lois sont illégitimes. Tous les coupables légaux sont enfermés illégitimement, car nous sommes tous innocents d’exister.

Innocent ou coupable ? Le juré que je suis affirme notre innocence.



Fin - E. Berlherm


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